Incontestablement, la tendance est à la dématérialisation. Dans tous les domaines d'ailleurs : qu'il s'agisse de la musique depuis l'avènement d'iTunes, ou d'offres comme celles de Deezer ou Spotify, dans le cinéma et les séries avec la VOD qu'offrent aujourd'hui toutes les Box, dans la littérature avec le Kindle et autres eBooks, et même de la presse qui cherche à y trouver une seconde jeunesse, qu'il s'agisse d'applis comme celles de Wired ou du Monde, ou dans le jeu vidéo du côté des numéros de Canard PC, ou tout récemment, du lancement de La Semaine du Jeu Vidéo par des anciens de Future/Yellow Media.

Dans le jeu vidéo, on a vu cette semaine au travers du rapport financier de Nintendo que ce dernier, jamais le premier sur ce terrain, comptait bien rattraper son retard pour proposer ses jeux en dématérialisé, qu'il s'agisse de la 3DS, dès Août prochain avec New Super Mario Bros. 2, ou de la future Wii U. Mais cette dernière a encore quelques secrets à nous révéler à l'E3 (en tout cas on l'espère), et la fuite du trailer de Rayman Legends la semaine dernière montre déjà que parmi eux, il y a ce qui semble être la gestion du NFC (ou Communication en Champ Proche en français). Car si l'éditeur, probablement bien embêté, a déclaré depuis que "cette vidéo était destinée aux équipes de production internes qui créent souvent des prototypes de jeux avec des kits de développements non finalisés", Nintendo aurait bien tort de ne pas inclure ces fonctions dans la version finale de la console. Car il y a aussi, aux côtés de la dématérialisation, du génie dans ce qu'on pourrait appeler du coup la "rematérialisation".

A la frontière entre jouet et jeu vidéo

Les premiers à avoir démocratisé cette brillante idée, ce sont bien sûr les développeurs de Skylanders chez Activision. Créer un pont entre des produits bien physiques (des figurines en l'occurrence), et un jeu vidéo, c'est évidemment plus qu'une idée amusante pour les enfants, capable de séduire les cours d'école ; poser une figurine sur un "portail" devant la télé, et prendre le contrôle du personnage qui apparaît alors à l'écran, c'est tout de même assez fort.

Alors que la distribution traditionnelle lutte face à ces tendances "dématérialisationnistes" qui vont tout simplement à l'encontre de son modèle économique, mais aussi contre la volonté clairement exprimée par plusieurs professionnels de castrer le marché de l'occasion qui reste le seul véritable moyen de marger pour les boutiques (Voir notre Podcast 221 : Boutiques de jeu vidéo, attention danger !), les perspectives offertes par cette "rematérialisation" sont énormes, capables de refaire des éditeurs et constructeurs des partenaires de choix pour la distribution traditionnelle. En vendant des figurines (ou autres objets physiques) faisant partie intégrante d'expériences vidéoludiques, tous se retrouvent dans une de ces fameuses situations "gagnant-gagnant". Les revendeurs peuvent espérer marger plus correctement sur des objets qu'on n'est pas prêts de télécharger, et les éditeurs / constructeurs peuvent concevoir des produits plus attractifs encore, où l'aspect collection et l'interaction entre virtuel et réel deviennent partie intégrante de mécaniques de jeu qui appellent les joueurs à revenir souvent vers leur console et leur jeu vidéo. On peut imaginer des exclusivités pour certaines chaînes de boutiques. Des disponibilités en temps limité. En exemplaires limités. La présence de figurines en boutiques, c'est aussi le meilleur moyen de faire venir le client, et de lui faire acheter le jeu sur place, en même temps - la puissance de la flemme étant ce qu'elle est, même pour quelques euros de plus, ce sera quand même plus pratique de repartir avec tout le nécessaire.

Bon sang mais c'est bien sûr

Lorsque Skylanders est sorti, nous avons immédiatement pensé à Nintendo et notamment à Pokémon. Quelle aubaine ! Pourquoi n'a-t-on pas encore entendu parler d'un véritable nouveau Pokémon 3DS ou Wii U ? Peut-être parce que la prochaine grande étape sera de vendre les centaines de Pokémons différents en figurines qui permettront aux joueurs de "tous les attraper" en vrai, sur Wii U. Ubisoft l'a bien montré aussi dans sa vidéo : le système permettrait des tonnes de cross-overs. Une figurine dédiée à telle licence pourrait tout à fait débloquer des surprises amusantes ou exclusives dans un jeu de telle autre licence, justifiant d'autant plus son acquisition, et permettant de fidéliser aux univers d'une seule et même marque. En outre, Nintendo, de part son portefeuille de licences, est probablement le mieux placé pour exploiter le filon. Il n'y a que des avantages : c'est ludique, c'est nouveau, ça permettra de faire passer la pilule aux partenaires de la distribution qui perdront peut-être des parts de marché avec la dématérialisation inéluctable des jeux, mais en gagneront de solides avec ces nouveaux produits. Chaque Wii U vendue proposera cette technologie, l'imposant ainsi plus facilement, tout comme la présence des Wiimote dans chaque boîte de Wii a démocratisé le motion gaming comme aucun autre constructeur n'a pu le faire.

L'idée génère immédiatement une foule d'autres visions, notamment de pur gameplay. Le mélange de figurines ensemble pour créer des fusions de personnages virtuelles. La combinaison d'objets de différents types, par exemple personnage et arme. Le transport d'objets ou de personnages d'une console à l'autre, d'une version du jeu à l'autre, comme le propose déjà Skylanders. Et en dehors du gameplay également : par exemple, la fabrication d'objets exclusifs pour motiver les joueurs à acheter des éditions collector, bien plus que ne le feraient jamais de simples DLC. En d'autres termes, des DLC physiques qui auront nécessairement plus de charme qu'un simple code imprimé sur un feuillet volant. Ils pourraient aussi attirer plus fortement les joueurs dans des salons, des conventions, des événements, desquels ils repartiraient non seulement avec des goodies exclusifs, mais des goodies utilisables dans leurs jeux favoris. Il n'y a qu'à voir par exemple les prix auxquels s'arrachaient les codes pour obtenir le petit familier murlock dans World of Warcraft.

Du NFC partout

En 2011, 50 millions de tablettes tactiles ont été vendues équipées de cette technologie. On prévoit que d'ici 2013, le chiffre passera à 300 millions. Déjà présente dans de nombreux téléphones mobiles, notamment aux Etats-Unis et en Corée du Sud, on parle aussi de son inclusion dans le futur iPhone 5, et on entrevoit ainsi déjà les perspectives pour les éditeurs tiers. Une même figurine pourrait ainsi être utilisable avec une variété de terminaux, renforçant d'autant plus le retour constant aux produits vidéoludiques d'un éditeur, qu'il s'agisse du jeu console ou de l'appli iOS. La technologie, sécurisée, peut être utilisée pour effectuer des paiements, valider une identité, synchroniser des données, etc.

On imagine bien, aussi, les dérives : qui sait si dans Street Fighter 5, il ne faudra pas acquérir tous ses combattants additionnels sous forme physique ? Comment ne pas penser à une authentification de jeu par son boîtier par exemple, pour l'empêcher de fonctionner avec une nouvelle machine ?

Comme toujours, seul l'avenir nous dira comment tout cela sera exploité par les industriels du jeu vidéo, mais une chose est sûre : si Nintendo semble se positionner le premier sur le secteur, la technologie étant déjà largement standardisée et répandue, il serait plus qu'étonnant de ne pas voir Sony et Microsoft en faire autant avec leurs futures machines.