D'abord Double Fine avec Tim Schafer pour Double Fine Adventure, puis inXile avec Brian Fargo pour Wasteland 2, Obsidian Entertainment qui semble prêt à faire ce saut... et d'autres, bien entendu, moins connus, comme The Banner Saga. Des projets de jeux vidéo sur Kickstarter, ça ne date certainement pas d'hier, et il y en a des dizaines et des dizaines.

Mais si la plupart étaient (et sont encore) de petits projets à quelques milliers ou dizaines de milliers de dollars, l'arrivée et le succès de Double Fine et d'inXile semble marquer une nouvelle étape dans ce modèle de "crowdfunding" (financement participatif). Auparavant, sans Kickstarter, il y avait aussi des choses comme MineCraft, bien entendu, qui ont réussi sans intermédiaire. Bref, des projets financés par les fans, circonvenants au modèle traditionnel qui passe par les éditeurs de jeux. Car c'est là le principal intérêt pour les créateurs : s'affranchir des influences extérieures.

Dans une interview accordée à Michael Flutter de Ripten, Brian Fargo, l'ex-PDG d'Interplay auquel on doit une bonne partie des productions RPG 2D d'un âge d'or constitué de titres cultes comme Fallout 1 & 2, Baldur's Gate, ou encore PlaneScape Torment, dresse un portrait peu flatteur des relations qu'entretiennent éditeurs et développeurs cherchant à pitcher leurs projets. On tombe vite dans la caricature de l'homme en costard, financier de formation, qui ne signe jamais un projet sans des études de marché dont les mots clés sont aujourd'hui "Facebook", "FPS moderne" ou encore "Farmville" :

Brian Fargo : Il y a plus de tensions que vous ne sauriez l'imaginer. Vous ne croiriez pas les histoires qu'on entend sur la manière dont les développeurs sont traités aujourd'hui par les éditeurs. C'est épouvantable.

Michael Futter : Pourquoi est-ce qu'on n'en entend pas plus parler ?

Parce ce qu'ils ont peur de parler, parce qu'ils n'auraient jamais de nouveau contrat s'ils le faisaient. Voilà pourquoi. Vous n'imaginez pas... c'est terrible. C'est vraiment difficile. Vous devriez creuser et exposer quelques-unes de ces histoires. Regardez la plus récente avec les pauvres gars d'Obsidian. Ils ont fait Fallout New Vegas, la date de lancement a été avancée, et qui fait le Q&A (le playtesting/validation, ndlr) sur un projet ? L'éditeur est toujours en charge du QA. Quand un projet sort buggé, ce n'est pas la faute du développeur. Le développeur ne dit jamais "je refuse de fixer les bugs", ou "je ne sais pas comment faire". Ils ne font jamais cela. C'est l'éditeur qui fait le QA, donc si un produit sort buggé, ce n'est pas la faute du développeur. Donc Fallout New Vegas sort buggé et ils n'ont pas fait le QA, leur date de lancement est avancée, et ils ratent leur note Metacritic d'un point. Ont-ils eu leur bonus ? Non (Obsidian devait avoir des recettes bonus s'ils atteignaient une certaine note Metacritic, ndlr). Vous trouvez ça juste ? J'ai essayé d'avoir des promesses de don de la part de mes amis éditeurs, pour lesquels j'ai fait beaucoup d'argent par le passé. Vous pensez qu'ils ont donné ? Non. Leurs employés l'ont fait.

On dirait que ces remous sous la surface, c'est une tension "nous contre eux".

C'est le cas. Ce n'est pas tous les éditeurs. Je n'ai pas travaillé avec tous les éditeurs donc je ne peux pas faire de généralités, mais j'ai eu mon lot d'histoires horribles. J'ai des amis qui sont de gros développeurs et on se raconte nos histoires. Les gens les plus intelligents que je rencontre sont les développeurs ; leur sagacité en affaires. Mais ils ne sont pas ceux qui contrôlent le chéquier.

Le chéquier, c'est nous

Même s'il est évident qu'on ne peut condamner purement et simplement le modèle traditionnel et coller à tous ceux qui tiennent le chéquier des éditeurs la même étiquette du financier bas-du-front, il ne fait aucun doute que les relations entre éditeurs et développeurs ne sont pas toujours faciles, et que les premiers ne sont pas des philanthropes.

Il est évident également que les jeux de niche, tels que l'aventure Point & Click de Double Fine ou le RPG rétro Wasteland 2 peuvent, à leur échelle, être de grands succès (si par succès on entend "rentabilité plus que suffisante"). Mais pour beaucoup d'éditeurs, pas un succès suffisant pour satisfaire les impératifs inhérents à leur taille, et/ou demandés par leurs actionnaires. Alors ils consacrent leurs efforts et leurs ressources à autre chose (sans pour autant que cela fonctionne toujours, loin s'en faut). Mais nous avons aussi des ressources : nous avons même toutes les ressources, puisque nous sommes les consommateurs et que nous décidons encore de mettre notre argent où nous le voulons.

Le jeu vidéo n'est pas le seul domaine à profiter du crowdfunding façon Kickstarter. Sur ce dernier site uniquement, on trouve des projets de musique, de cinéma, de BD, même de technologie, de dance, de mode, de gastronomie... il y a de tout. Mais le jeu vidéo semble particulièrement bien adapté à un financement par les fans, en cela qu'il peut être facilement distribué à des utilisateurs éduqués à la consommation directe via internet. Ils sont dématérialisés à la base, au contraire d'une paire de jeans, d'un soda, ou d'une base pour iPhone au design audacieux. Bref : ils sont faits l'un pour l'autre. Il est facile d'imaginer le phénomène prendre de l'ampleur dans les années à venir. Et il est facile de s'en réjouir, puisqu'il permettra à une offre plus variée, plus riche, d'être accessible aux joueurs.