Dans le monde du jeu vidéo japonais, le Wagon Sale est la destination traditionnelle des surplus de stock. Les titres y sont bradés 1.000 yens moins chers, voire à la moitié du prix de lancement. C'est un pôle d'attraction pour des clients qui y jettent un œil curieux. Mais les changements profonds survenus avec la présente génération de consoles ont transformé ces Wagons Sales en véritable baromètre de l'industrie. Rapidement, ces bacs sont devenus de grandes tables, croulant sous des piles de jeux à 980 yens... une fraction de leur prix initial, tout juste un mois ou deux après leur sortie, si ce n'est quelques semaines ou quelques jours.

De plus en plus de noms autrefois prestigieux (à l'image d'un certain Metal Gear Solid 4) atterrissent sur ces tables et symbolisent une industrie qui peine à maintenir l'attention des joueurs sur elle. C'est comme si rien, aucun titre, aussi prestigieux soit-il, ne pouvait échapper au Wagon Sale. Les éditeurs sont souvent réticents à recourir à ces soldes, car elles peuvent nuire à la notoriété d'un de leurs hits. Ils peuvent tenter une braderie contrôlée (juste 1.000 yens de réduction) ou préférer injecter plus de moyens pour tenter de relancer les ventes.


Photo © D.R.

Seule une poignée de jeux forts et populaires peut prétendre à des ventes massives au lancement. Pour la plupart, la fenêtre du succès se limite à une poignée de jours, du lancement le jeudi à la fin du week-end le dimanche, ce qui rend la promotion d'un titre plus importante que jamais. Un jeu ne vendant que la moitié de son stock de lancement verra le spectre du Wagon Sale pointer à l'horizon...

Rapidement, les joueurs japonais touchés par la crise ont compris l'importance d'être patient, au détriment de la tradition d'acheter par principe un jeu à sa sortie. À un moment ou à un autre, en seconde semaine ou quelques mois plus tard, il sera possible de mettre la main sur le soft désiré à un prix cassé, et neuf. Ce comportement amplifie le problème.

Mais les ventes en Wagon Sale permettent également de transformer une contre performance commerciale en succès chiffré, en nombre d'exemplaires vendus. Une telle opération peut paraître cosmétique, cachant un échec avec des chiffres. Cependant, cela permet parfois de laisser la porte entr'ouverte à une suite. Mieux : le Wagon Sale peut tout simplement faire connaître un jeu passé inaperçu à sa sortie, perdu dans le flot continuel de nouveautés.

Aujourd'hui, le Wagon Sale est mieux maîtrisé par les éditeurs, qui ont une meilleure compréhension de leur marché domestique. Ils produisent moins d'exemplaires que par le passé, un volume adapté à l'audience qu'ils visent avec chaque titre. L'avénement de la virtualisation totale du marché du jeu vidéo sonne la disparition de l'occasion (et de l'import). Le Wagon Sale peut encore espérer y survivre, à l'image des soldes pratiquées sur Steam. Mais peut-on encore parler de "Wagon Sale" ?

Ces braderies virtuelles annoncent en tout cas une nouvelle ère, dans laquelle les éditeurs seront à nouveau entièrement en contrôle de leur marché. Le bac à trésors en magasin pourrait être à court terme une image du passé. La distribution commence déjà à penser au futur, à imaginer comment remplir les étages où autrefois ils vendaient à la pelle de la musique, des films et des jeux.

Christophe Kagotani

Christophe Kagotani

Japonais ou français, comme ça l'arrange, le Kago (comme on l'appelle) est correspondant permanent pour le magazine anglais EDGE depuis pas loin de 10 ans. Il a néanmoins débuté aux mêmes fonctions dans le magazine Joypad, pour un échange de légende qui l'a ensuite emmené chez Consoles+ "tu le crois ça ?" magazine (© AHL, 1798).

Ecrivant également pour la presse locale nipponne, il a évolué vers un rôle d'analyste et d'homme à tout faire dans le monde du jeu vidéo japonais.