Dans le briefing à la presse le 7 Mars, un des journalistes présents évoque la rencontre planifiée de Trump, actuel président des Etats-Unis, et crétin le plus influent du monde, avec des représentants de l'industrie du jeu vidéo :

Qu'est-ce qu'il espère accomplir ? Et pourquoi les rencontre-t-il ?

L'attachée de presse de l'administration Trump, Sarah Sanders, répond ainsi au journaliste qui la presse :

Le président souhaite continuer la discussion sur tous les différents sujets possibles pour aider à la sécurité de nos écoles.

Dans sa petite tête comme dans celle de l'administration Trump, la violence certes très présente dans le jeu vidéo serait donc à blâmer. S'il faudrait être fou ou stupide pour ne pas reconnaître le niveau record de corruption et de mensonges sans précédent atteint et régulièrement battu par l'administration actuelle des USA (et de bon nombre de celles et ceux qui siègent dans les deux chambres du Congrès Américain, toutes deux à majorité républicaine), il faut tristement rappeler que l'idée date de bien avant leur arrivée au pouvoir l'année dernière, et qu'elle n'est pas leur apanage.

Un meeting poudre aux yeux

Lorsque Sanders a annoncé pour la première fois le 1er mars que Trump allait rencontrer des représentants de l'industrie du jeu vidéo, personne n'était au courant. L'ESA, le syndicat des éditeurs de jeu vidéo américain (qui représente notamment Microsoft, Electronic Arts, Nintendo, Sony Interactive Entertainment, Capcom, Square Enix, Ubisoft, et Warner Bros. Interactive Entertainment), a déclaré :

ESA et nos sociétés membres n'ont pas reçu d'invitation pour rencontrer le Président Trump. Les mêmes jeux vidéo qui sont joués aux US sont joués partout dans le monde. Pourtant, le niveau de violence par armes à feu est exponentiellement plus élevé aux US que dans tout autre pays. De nombreuses autorités ont examiné les rapports scientifiques et n'ont trouvé aucun lien entre les contenus médiatiques et la violence dans la vie réelle.

L'invitation est arrivée le lundi 5 mars, trois jours avant le meeting, incontestablement assemblé à la va-vite. Il a tout de même eu lieu le 8 mars. Côté industrie, ont été invités :

L'ESA a confirmé sa présence la semaine passée, mais pas les autres. La Maison Blanche a refusé de communiquer une liste officielle des invités à cette rencontre, mais elle a fuité via CNN.

En face, ont été invités une clique constituée entre autres de :

  • Brent Bozell, un conservateur fondateur du Parents Television Council, et patron du Media Research Council. Cette organisation écrit sur son site web : "L'engagement inébranlable du Centre de Recherche des Médias pour neutraliser les biais gauchistes dans les médias et la culture populaire a influencé ce que des millions d'Américains perçoivent comme du soi-disant journalisme objectif". Après le massacre de l'école primaire de Sandy Hook à Newtown Connecticut en 2012, Bozell déclarait que les jeux vidéo dépeignant des incidents sanglants méritaient tout autant d'être examinés avec attention que des associations comme la NRA.
  • La républicaine du Missouri, Vicky Hartzler. Sa plus belle citation, juste après les événements tragiques de Sandy Hook : "interdire les armes à feu n'est pas plus une réponse à la violence qu'interdire les voitures n'en serait une aux morts des accidents de la route". Et d'ajouter : "nous devons avoir une conversation sensée au sujet des problèmes de santé mentale et d'autres possibles contributeurs socio-culturels aux comportements violents, tels que les jeux vidéo". Petit check rapide : oui, elle a voté en faveur de l'abrogation de la Loi de régulation de la vente des armes à feu aux malades mentaux qui avait été introduite sous l'administration Obama.
  • La républicaine de l'Alabama, Martha Roby. Elle a aussi voté pour l'abrogation des contrôles supplémentaires empêchant la vente d'armes aux malades mentaux.
  • Le Lieutenant-Colonel à la retraite Dave Grossman, auteur notamment d'un ouvrage intitulé "Génération Assassinat : Jeux Vidéo, Agression, et la Psychologie du Meurtre" qui prétend s'intéresser à "comment les jeux vidéo ont lancé une nouvelle ère d'homicides de masse".
  • Marco Rubio, le Sénateur Républicain de Floride, qui s'est fait huer comme il le mérite lors d'une assemblée publique organisée par CNN par les rescapés de la fusillade de Parkland pour ses liens avec la NRA et ses positions sur les armes à feu. Au risque de vous surprendre, il a également voté en faveur de l'abrogation des régulations sus-nommées lorsque la proposition est passée au Sénat. Il n'a pas pu participer au motif officiel d'un conflit d'agenda.

Vous voyez le topo. Pas un seul démocrate. Les plus fervents diabolisateurs anti-jeu vidéo que Trump a pu trouver pour soutenir son attaque.

Le meeting a commencé par la projection d'un montage vidéo de séquences ultra-violentes extraites de jeux comme Call of Duty, Dead by Daylight, Wolfenstein : New Order, Fallout 4, Sniper Elite 4 et The Evil Within. Trump, de toute la hauteur de son intellect, aurait commenté ainsi la vidéo après sa diffusion : "c'est violent, non ?"

La Maison Blanche s'est fait un plaisir de la partager sur YouTube, sous le nom "Violence in Video Games".

Une farce de plus à porter au crédit de Trump, qui est lui-même un clown aux numéros tragiquement dommageables non seulement pour les USA mais aussi pour le monde entier. Mais mes opinions politiques mises à part, quelles peuvent donc être les conséquences de cet acharnement contre le jeu vidéo ?

Légalement, rien

Le jeu vidéo est incontestablement protégé par le 1er amendement de la Constitution Américaine (celui sur la liberté d'expression). Par ailleurs, la Cour Suprême américaine, dans un jugement de 2011, a même invalidé l'introduction d'une interdiction de vente de jeux violents aux moins de 18 ans votée en 2005 dans la Loi Californienne.

Les analyses du meeting en question, qui n'était pas public mais dont les discussions ont été partagées par les invités, font état d'une rencontre improductive. Il n'en ressortira probablement rien, donc, si ce n'est les déclarations habituelles visant à détourner l'attention du public et à inquiéter les familles, pendant que les fusils d'assaut continuent d'être vendus à des déséquilibrés qui ont besoin d'être pris en charge et aidés psychologiquement. Si ce n'est pas internés.

L'état de la recherche scientifique sur le sujet

Au sortir du meeting, Hartzler déclarait : "Bien que je sache qu'il y a des études qui ont dit qu'il n'y avait pas de lien causal, en tant que mère et ancienne enseignante de lycée, il semble intuitivement que le visionnage prolongé de violence désensibiliserait une jeune personne". Bien évidemment, n'en déplaise à l'opinion de la républicaine, son statut de mère ou d'ancienne enseignante ne vaut strictement rien. Ce qu'elle en pense n'a pas plus de valeur que l'intuition d'un peintre en bâtiment ou d'un critique de jeu vidéo sur l'opposition entre la théorie de la Supersymétrie et celle du Multivers autour de la masse du Boson de Higgs.

En vérité, ça fait plus de 25 ans que ce débat a lieu, et que des études sont conduites par des gens compétents sur le sujet. Aucune ne montre (et encore moins ne démontre) un lien de causalité entre médias violents, qu'il s'agisse de jeu vidéo, de télévision, de films, de jeux de rôle papier ou de livres, et violences dans la vraie vie.

Même Breitbart News, le site d'actualités tendance extrême-droite qui était dirigé par Steve Bannon avant qu'il ne rejoigne puis se fasse écarter de l'administration Trump, a publié un article récapitulant des études montrant qu'il n'y a pas de lien ! Mais, s'il fallait en citer parmi l'immense corpus d'études rejetant toute causalité entre les "fusillades scolaires" et les médias violents, prenons en trois :

  • En 2002, une étude commandée par le Ministère de l'Education et le Secret Service américains souligne que les tueurs des "mass shootings" ne consomment pas plus de médias violents que le reste de la population, et que seuls 12% ont montré un intérêt pour le jeu vidéo.
  • En 2009, une méta-étude (une étude se basant sur un ensemble d'autres études déjà publiées sur un sujet) conclut : "les résultats de la présente analyse ne soutiennent pas la conclusion que la violence médiatique présente un risque de santé publique significatif."
  • Besoin d'une étude Européenne en complément des américaines ? Besoin d'une réponse pour ceux qui attaquent par le caractère interactif du jeu vidéo, le différenciant d'autres médias ? En 2013, une étude menée sur plus de 11.000 enfants en Grande-Bretagne établit une légère augmentation des comportements problématiques suite au visionnage passif de la télévision, et aucun effet pour la pratique de jeu vidéo.

En bref, toute étude scientifique crédible sur le sujet parvient à la même conclusion. La consommation de jeux vidéo violents ne provoque pas de comportements violents dans la vraie vie. Il y a même certaines études qui parlent plutôt d'un phénomène inverse similaire à une relâche cathartique.

Cela ne veut pas dire pour autant qu'il est souhaitable de laisser des enfants en bas-âge jouer à des titres qui ne sont pas de leur âge - et le respect des recommandations des organismes de classification par les parents reste important.

Mais même pour ces myriades de gamins qui jouent à Call of Duty ou Grand Theft Auto avant l'apparition de leurs premiers poils pubiens, il n'y a pas vraiment lieu de s'inquiéter. Et pour les joueurs au sens large, non plus : ces gens ne parviendront pas à nous empêcher de jouer en rond. En revanche, il faut continuer malgré tout de combattre leurs idées comme leur méthodes, partout et en tout temps, et de promouvoir l'éducation, la poursuite de la connaissance, et le travail de la pensée, car on n'a malheureusement pas fini de se faire pointer du doigt...