En 2011, j'ai distribué les tatanes par milliers, avec deux poids lourds du beat them all. Pour information, je ne suis pas un grand fan de ce genre de jeu, que j'ai tendance à trouver légèrement bas du front, répétitif et trop orienté vers le skill. Pour parfaire ma culture, j'avais cependant joué au premier God of War lors de sa sortie, sans y prendre un plaisir démesuré mais en appréciant la mise en scène et l'intrigue personnelle qui se découvrait petit à petit, et j'avais lâché sa suite en cours de route, à cause d'un challenge abrutissant auquel je ne trouvais plus guère d'intérêt.

Néanmoins, pas moins sensible qu'un autre à la hype et à la collectionnite (j'ai toujours tendance à croire que je peux ou dois jouer à tous les « gros jeux »), j'ai tout de même cédé aux sirènes cette année, en me laissant tenter par un Castlevania Lords of Shadow et God of War III à petit prix.

Castlevania avait les atours pour me séduire, en premier lieu une direction artistique médiévale fantastique très réussie, avec un protagoniste au design plaisant (il a des cheveux!), et une mise en scène impressionnante. J'avais quelques espoirs au niveau de l'histoire, avec la narration un peu caricaturale mais solennelle des chapitres entrevue dans la démo, et l'histoire d'amour tragique sous entendue avec ce Gabriel apparemment introspectif que j'espérais plus subtil que son cousin Kratos. Pour faire bonne mesure, sous les conseils insistants de mes amis, j'ai également acheté God of War III dont on me vantait le visuel spectaculaire et l'expérience jouissive. Pour couper court au suspens, tout ça c'est effectivement très joli, mais ça ne va pas me faire changer d'avis sur le genre du beat them all..

Univers
Lords of Shadow est le premier titre de la série Castlevania auquel je joue, je n'avais donc pas une idée très précise de l'univers dans lequel je rentrais, mais j'avais tout de même fréquemment entendu parler des autres épisodes, de leurs univers gothiques, des châteaux hantés, de Dracula, des Belmont et de leurs fouets. Tout un folklore plutôt classique, auquel viendrait s'ajouter des créatures médiévales fantastiques dignes du Seigneur des Anneaux si les screenshots étaient à croire. L'introduction succincte et les premiers affrontements contre des loups maléfiques (des Wargs apparemment) ne semblent pas invalider cette supposition, quand soudainement, mon Petit Poney rentre en scène. Un cheval blanc aux rayures bleues fluos qui parle et disparaît dans un nuage de fumée c'est pour le moins inattendu, et pourtant notre héros Gabriel ne sourcille pas une seule fois.

C'est le principal problème de l'univers de ce Castlevania : on voudrait l'aimer, mais on ne le connaît pas. On nous présente Pan comme si on le connaissait, les lieux époustouflants s'enchaînent sans aucune forme de continuité, et le fil rouge scénaristique n'est jamais terriblement explicite : ma copine est morte et il y a des méchants à tuer, mais c'est à peu près tout ce que j'ai compris (comment est-elle morte ? Est-ce que je cherche à la ramener à la vie ? Comment ? Qu'en pense la confrérie ? C'est quoi cette histoire de masques qui sort de nulle part à la fin? Etc). Le jeu essaye bien de donner de l'épaisseur aux personnages et d'étoffer l'univers avec ces pages déclamées entre chaque chapitre, mais cette tentative tombe également à plat. En effet, le décalage entre ce qui est énoncé et ce que l'on constate manette en main pendant les phases de gameplay et les cinématiques est stupéfiant. On nous dépeint un Gabriel tourmenté par ses sentiments alors qu'on ne peut voir qu'un héros apathique nous gratifiant de sa plus inexpressive poker face.

God of War III souffre lui du problème inverse : l'univers nous est familier mais il n'a rien d'attirant. Malgré toutes les libertés qu'il peut prendre avec la mythologie grecque, on n'est jamais trop perdu dans la valse de nos adversaires, Zeus, Athéna, Hermès ou Héphaïstos qui, s'ils ne sont pas spécialement développés, bénéficient de base du bagage culturel qui leur est associé. Mais la direction artistique est très froide, avec une surabondance de tons gris et or, et malgré la surenchère d'effets et les exploits techniques, on n'est pas spécialement transportés. Je ne parle même pas du character design que je trouve affreux. Et ce travers se retrouve également dans l'intrigue : on connaît bien Kratos et ses motivations à présent, mais on ne peut pas dire qu'elles soient transcendantes, au contraire. Loin des tourments légitimes du premier épisode, Kratos est une simple bête assoiffée de sang, qui veut tuer tout l'Olympe, en criant continûment sa rage. On ne risque pas d'être perdu certes, mais ça ne facilite guère l'empathie.

Des rythmes de jeu différents
La musique tonitruante, les transitions mêlant artworks et décors magnifiques, quelques plans d'introduction impressionnants, la présentation de Castlevania met vraiment dans l'ambiance. Malheureusement, l'épopée de Gabriel est très hachée par la structure en chapitres. On passe sans transition d'un marécage poisseux à un château enneigé. L'aventure est aussi entravée par les retours en arrière dans les niveaux précédents que le système de progression nous encourage à effectuer, au risque de piétiner les ambitions narratives de l'expérience.

A côté de ça, malgré le fait qu'on visite certains lieux à plusieurs reprises, God of War III nous propose une longue séquence ininterrompue, une progression vers l'avant constante, et semble ainsi bien plus respecter son histoire, malgré son inanité, et ne pas la reléguer au second plan du gameplay.

Bien que Castlevania n'ait pas su ou pas voulu apprendre cette leçon de God of War, son level design et sa direction artistique m'ont fait préférer les phases d'exploration et de plateforme. Pas très éloignées d'Uncharted dans leur maniabilité assistée, et bien aidées par un fouet polyvalent elles sont rythmées et dynamiques à souhait.

Combattre jusqu'à l'écoeurement
Quant au système de combat, c'est une autre histoire. C'est peu dire que je l'ai trouvé frustrant dans Castlevania. Les coups sortent bien, les impacts sont satisfaisants et les techniques à disposition variées et tentantes (voir une animation de l'attaque avant de l'acheter est bien plus parlant qu'une description en deux lignes). Le problème, c'est que je n'ai jamais réussi à utiliser ces techniques. Tu sautes, tu te fais punir. Tu tentes un combo, l'ennemi t'a esquivé avant la fin et tu te fais punir. Tu tentes quoi que ce soit de plus élaboré qu'une esquive ou un coup rapide, tu te fais punir. Alors certes, je suis mauvais, je suis à la ramasse sur les timing, mais il y a vraiment un challenge usant et pas très passionnant quand j'en suis réduit à me contenter de la magie blanche, des esquives et des frappes faibles pendant les 15-20 heures de jeu. J'ai tout de même bien aimé le bestiaire, avec des bêtes velues et des monstres à chevaucher, même si je n'ai jamais véritablement varié mes approches. Le jeu se laisse aller à des inspirations/plagiats à gauche à droite, mais qui tombent un peu comme des cheveux sur la soupe. Battre les colosses est une tâche bien trop balisée et automatisée pour être aussi intéressante que dans Shadow of the Colossus, les puzzles à base de rayons lumineux ont été vus cent fois, et les portails font de la peine. Surtout, la dernière partie du jeu s'enfonce dans des décors de plus en plus ternes et bien moins enchanteurs.

Bref, sans doute un jeu qui conviendra à ceux qui cherchent un challenge retors, qui arrivent à récupérer la magie avec de longs combos et qui se sentent la passion de retourner dans les niveaux pour débloquer les passages avec leurs nouveaux items et réussir les challenges spécifiques. Ce n'est pas donné à tout le monde.

God of War III ne propose malheureusement pas tellement mieux. Le jeu est calibré pour être plus accessible, et les combos sortent plus facilement. Cependant, hormis les passages ou les Cestus sont obligatoires, je m'en suis tenu aux très fiables L1+Carré et Carré Carré Triangle. Certains nouveaux coups ont du mérite, comme celui ou l'on se propulse vers l'ennemi grâce aux chaînes, ou qu'on prend un ennemi comme bouclier pour rentrer dans les autres, mais ce sont de brèves distractions qui ne pallient pas durablement à la monotonie de la formule. On passe la majeure partie à taillader et lacérer une quantité gargantuesque de grunts et autres ennemis aussi peu remarquables (on parle de quantité parce qu'ils constituent une masse informe indéfinissable, mais sérieusement je ne sais pas qui ces monstres sont censés représenter sur l'Olympe), jusqu'à l'écœurement. Même les affrontements contre les boss ont été décevants. Très scriptés, tirant peu parti de leur gigantisme pour proposer des phases nouvelles, ils ont par contre entretenu la tradition horripilante de nécessiter plusieurs phases pour en venir à bout (sérieux, Zeus...).

Beaucoup de bruit pour rien
Et c'est d'ailleurs là-dessus que je conclurais. Ces deux titres essaient d'évoquer des batailles épiques contre des ennemis colossaux, mais malgré les inspirations plus ou moins littérales, aucun ne semble avoir saisi ce qui faisait la réussite de Shadow of the Colossus. Quand ce dernier nous proposait en tout et pour tout 16 combats mémorables, ils nous font subir des vagues innombrables d'ennemis génériques. Au lieu de nous laisser en contrôle et de nous forcer à faire preuve d'ingéniosité pour surmonter l'adversité, ils balisent une chorégraphie vaguement interactive. Ils essaient de nous vendre un Gabriel introspectif et un revirement improbable de Kratos, sans jamais parvenir à toucher aussi sincèrement les joueurs que la quête désespérée de Wanda.

Ça flashe partout sur l'écran, ça fait de jolies images et de grands bruits, ça occupe quelques heures, mais c'est bien dispensable.