Ça serait trop facile de crier de joie. De se dire que c'était le plus gros E3 depuis sa création. C'est sans doute vrai en un sens, mais je voudrais ici essayer de mettre un contrepoids. Je ne vais pas descendre en flèche ce que j'ai vu, bien au contraire. J'ai eu mes moments d'enthousiasme que j'ai d'ailleurs partagé dans un podcast où j'étais invité par Sirocco. Mais tout n'était pas aussi rose qu'on pourrait le croire.

Ce qui a donné la sensation globale d'un E3 de folie, c'est la conjonction de deux phénomènes. La nouvelle génération de consoles d'une part ; ce que cela donne de mystères, de révélations et d'images encore plus belles a apporté l'émerveillement que l'on obtenait qu'avec parcimonie les années précédentes. Et d'autre part, ce que cela a entraîné dans la conférence de Sony, ce moment historique où Jack Tretton, tel Michael Jackson à Wembley en 1988, a juste besoin d'être sur scène et de dire des mots clés pour que le public tombe dans les pommes.

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Première chose donc, les jeux de nouvelle génération étaient là en quantité surprenante et en qualité visuelle non moins épatante. Alors que l'on s'était laissé légèrement démystifier (à juste titre sans doute) par les premières analyses des specs de la PS4 et de la XboxOne, qui nous indiquaient que l'on avait à faire à un PC haut de gamme sans être le fin du fin, à l'arrivée le gap technique est là et sur plusieurs plan. Graphiquement, ça en met plein les yeux. Certes, les amateurs de l'univers PC auront à cœur de nous signaler que c'est déjà comme ça, avec une plus grosse résolution depuis un moment sur ordinateur et que probablement dans un ou deux ans, les consoles seront de nouveau à la ramasse. Toujours est-il que les démonstrations effectuées sur les prochaines consoles, si tant est que ça soit effectivement ces versions que l'on ait vu, envoient vraiment. Surtout, cela surprend d'autant plus qu'on a affaire à une démocratisation du monde ouvert.

C'est le second point qui donne cette sensation d'émerveillement et qui a mon sens véhicule aussi une idée d'un renouvellement. Alors que la génération actuelle aura été trustée par les game-design restreint par les scripts à foison et la linéarité des endroits traversés, toutes les annonces et/ou démonstrations de nouveaux jeux nous ont donné à voir du monde ouvert et donc sensiblement plus de liberté. Non pas que les jeux seront moins linéaires (ça n'a rien à voir) mais au moins seront-ils un peu moins oppressants de scripts et de dirigisme permanent. The Witcher 3 : The Wild Hunt, MGSV : The Phantom Pain, The Crew, Watch Dogs, Mirror's Edge, The Division...que des promesses de bac-à-sable. Ça ne plairait pas à tout le monde, mais en ce qui me concerne, c'est une bonne nouvelle, friand que je suis de ce type de game-design et ce malgré les soucis qu'il entraîne en terme de récit.

On s'est pris quand même pas mal de coups de poing dans la tronche. Dans mes annonces coup de coeur blockbuster, Mirror's Edge 2 bien sûr, mais aussi le retour de Star Wars Battlefront ou l'arrivée de The Division.

Troisième chose, malgré la régression de la politique favorable de Microsoft à l'égard des petits poissons du marché (abandon du XNA), les indépendants étaient là et avec des propositions intéressantes. D'une manière générale, on sent que l'on veut donner une image diversifiée, en particulier chez Sony.

Les jeux un peu plus risqués, au moins en terme visuel et de gameplay se trouveront comme d'habitude chez les indépendants. Pour le coup, on ne pourra pas reprocher à cet E3 de les avoir complètement exclus, notamment grâce à la conférence Sony.

En parlant de Sony, cela m'amène à mon dernier point qui aura donné un goût de pleine réussite à cet E3. Sony a fait un coup d'éclat magistral. Il sera temps de discuter des choix judicieux ou non de cette politique quand la console se sera lancée pour de bon. En attendant, l'Histoire du jeu vidéo retiendra ceci : l'annonce de la XboxOne ne s'est pas fait sans heurt. Après une présentation en Mai qui n'aura pas plu aux joueurs (ça, à la rigueur, c'est pas le problème) Microsoft a essuyé une rude journée où les spécificités de la console n'ont pas fait d'heureux d'une manière générale ; connexion obligatoire toutes les 24h, DRMs en natif, Kinect 2.0 allumé en permanence. Chaque caractéristique aura rebroussé le poil d'un public différent (ou de tous les publics d'un coup). Alors Sony a choisi de brosser le joueur dans le sens du poil ou plutôt de ne pas le brosser en arrière.

Comme dans un meeting politique, Jack Tretton arrive avec en décors un mauvais powerpoint, fait probablement quelques heures auparavant. Avec cette aide claire et large, il va tout simplement dire « nous ne changeons rien ». Les éclats de joie sont apparemment sans précédent dans un E3. Le clou du spectacle, l'annonce d'un prix de 100$ moins cher que la concurrence suffit à enterrer spirituellement pour cet E3 la XboxOne qui depuis est dans une descente constante en terme de communication.

 

Pourtant, m'est avis que l'euphorie générale à laquelle j'ai participé n'est pas complètement méritée. Je vais revenir sur l'audacieux (et risquée en terme financier) hold-up de Sony pendant sa conférence, mais je voudrais déjà signaler une chose. Je suis le premier à m'être émerveillé devant la tarte dans la tronche qu'était The Division ou l'immeuble de 50 étages qui s'effondre dans le multijoueur (!) de Battlefield 4. Néanmoins, n'oublions pas que pour le moment, ce que les éditeurs de triple A nous ont montré n'est ni plus, ni moins que ce que nous connaissons déjà en plus beau et/ou plus ouvert. The Division semble être un TPS. Battlefield reste un FPS guerrier. Si Sunset Overdrive semble apporter une direction artistique alléchante, j'ai peu de doute que, tout comme le rigolo Plant VS Zombie : Garden Warfare, il ne s'agisse ni plus ni moins que d'un jeu de tir et d'action et probablement pas écrit par Shakespeare ou un de ses disciples. Pour le moment, la technique ne semble nous proposer de chose vraiment rafraîchissantes. Sur ce point précis, je reste optimiste car en l'état de ce qu'on a vu, je peux difficilement enterrer les différents triple A présentés. Reste qu'à part MGSV : The Phantom Pain que je sais par avance écrit avec de vrais thèmes, j'ai très peur de me retrouver de nouveau avec des jeux très classiquement bourrin et pas forcément intelligent dans le fond sur nouvelle génération.

 

 

Pour le cas de Sony et de sa gestion scénique et post-générique pour le moins ingénieuse (c'est ce qu'il fallait faire en terme de marketing et ils l'ont fait) on pourra déjà reconnaître le bémol suivant : si Sony n'installe pas de système facilitant la mise en place de DRM comme Microsoft le fait (et le tout en nous affirmant que c'est l'idée du siècle) la firme japonaise ne bloque pas pour autant la possibilité pour les développeurs de continuer la pratique douteuse du pass online que l'on subit déjà de la part de certains éditeurs, dont Sony pour certains jeux. Si j'ai récemment pu m'essayer au multijoueur de Mass Effect 3, c'est parce que EA a renoncé à ce système ; pas par mansuétude non, mais simplement parce que l'ex et bientôt de nouveau Evil Empire a trouvé dans sa collaboration avec Redmond un partenaire Sith à sa hauteur. Le fait est donc que très probablement, les plus gros éditeurs reviendront à un moment ou à un autre à la charge avec ces fameux pass eux aussi designés pour détruire l'occasion. Peut-être que la désastreuse gestion de la communication de Microsoft mettra l'éteignoir sur ces pratiques sur le début de la génération qui arrive, mais ne doutons pas que d'une manière ou d'une autre, il y aura quelque chose de similaire sur PS4 pour casser les bonbons des joueurs honnêtes mais fauchés. Au moins ils pourront prêter et se faire prêter des jeux.

Peut-être cette première vindicte nous évitera-t-elle un nouveau type de désagrément, mais malgré son geste, Sony ne nous abrite pas des désagréments précédents. Sauf si le bad-buzz met le couvercle sur le problème pour un moment...

Ceci étant écarté, je voulais approcher le vrai point de ce déroulement. Cet E3 semble être l'E3 de la victoire pour le joueur. À mon sens, il s'agit bien plus de l'E3 de la victoire pour le consommateur donc puisque comme je le disais plus haut, le joueur ne semble pas avoir plus ou moins de biscuit qu'il n'en a eu jusque là ; j'espère bien sûr que les développeurs me feront mentir sur la PS4. Sur cet événement précis, à ce moment précis, la figure du consommateur s'est levée, à travers les réseaux sociaux, les forums, les vidéos, les blogs, pour décrier une politique qu'il ne lui plaît pas dans l'intention. J'ai déjà évoqué les trois points qui posent problème mais cela ne fera pas de mal de les rappeler : 1-Impossibilité de revendre ou de prêter à sa guise les jeux qu'on achète, 2-Obligation de se connecter à Internet toutes les 24 heures pour que la machine fonctionne y compris pour du jeu hors ligne et 3-Impossibilité de débrancher Kinect qui doit tourner en permanence au motif que la caméra attend l'instruction vocale d'allumage de la console. Sur ces trois points, les joueurs éparses, divers, variés se sont levés, de manière désordonnée certes, pour globalement dire que le consommateur, de jeu vidéo ou pas d'ailleurs (mais c'est lui qui est courant en premier pour ce cas précis) avait une limite dans l'acceptable. Pour le moment, il semblerait que la ligne soit tracée juste avant l'accès vidéo à la vie privée ou la connexion à Internet pour le jeu solo. Du coup, quand Sony dit : « ça, nous ne le feront pas » la joie est plus du au soulagement de ne pas voir ses habitudes de consommateur changer qu'à une quelconque offre. On a presque l'impression que la firme nippone fait office de camarade résistant dans une lutte politique. Au passage saluons tout de même Nintendo qui semble faire partie du décor, quand bien même la WiiU n'a jamais suggéré le genre de politique éditoriale autour de laquelle Sony et Microsoft s'affrontent.

La philosophe allemande Hannah Arendt avait un concept intéressant concernant le peuple. Pour elle, le peuple ne faisant qu'un, celui qui fait les révolutions, celui qui dit non aux tyrans, son soulèvement était « un trésor perdu » en ce sens que dès qu'il se soulève et agit politiquement pour échapper à une forme politique qui le sied plus, qui ne lui est plus supportable, il finit, après éviction du tyran par se désagrégé, ne maintenant plus sa forme unique, son entité unie et souvent malheureusement pousse le même type de pouvoir qu'il a bouté hors de sa position de domination.

L'analogie va sembler osée, parce qu'il y a un monde entre la relation consommateur/producteur et peuple/tyran. Pourtant si on observe bien ce qui se passe, je suis à peu près persuadé que les consommateurs, pour le moment unis autour d'une même cible qui tente d'imposer un nouveau modèle de consommation, va se désagréger avant ou peu après la sortie de la console. Parce qu'il sera bien plus facile de la prendre quand un jeu nous plaira dessus plutôt que de dire simplement « non, pas dans ces conditions ». Première chose donc, essayons de ne pas perdre l'unicité que l'on a en ce moment avant que la machine n'arrive. Il ne faut surtout pas écouter les potentiels encouragements à moins tourné en rond dans les complaintes. Si la politique mise en place avec la machine ne vous plaît pas en l'état, que les conditions vous semblent abusives, ne la prenez pas et surtout n'oubliez pas pourquoi vous ne la prenez pas ; pour pas qu'on essaye de vous la refaire plus tard sous une autre forme. Gardons le trésor, je vous en supplie !

 

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Pour moi, c'est l'E3 de la fête tout de même. Pas forcément pour ce qui a été montré en terme de jeu, d'envie de parler aux êtres humains que l'on est (bon okay, The Witcher 3 sera probablement également bien écrit), mais en terme de consommation. Je vous casse irrémédiablement les parties génitales depuis deux ou trois coups de gueules sur l'aspect militant et éthique de la consommation. Je ne le fais pas pour convertir, mais simplement pour convaincre ceux qui le sont déjà qu'on est pas complètement impuissant. Je pense que cet E3, c'est la preuve de ça ; on est pas impuissant face à l'imposition de quelque chose qu'on va payer. Si le mécontentement touche assez de personne et que ces personnes réagissent ensemble, il se passe quelque chose. N'oublions pas cependant que rien n'est encore fait. On a gagné un bataille, celle de la communication face à Microsoft qui ne peut plus rien dire sans être rabroué (pour le coup je trouve ça plutôt mérité) mais on est loin d'avoir gagné la guerre. Si la XboxOne se vend, même notre sauveur d'aujourd'hui devra lâcher l'affaire...c'est toujours une affaire d'offre et de demande.