Les chaînes d'assemblage des usines Nintendo attachées au montage de la Wii ont définitivement arrêté leur incessante rotation. Le géant japonais tourne ainsi la page d'une des plus fructueuses, mais aussi controversées générations de console de salon. Le parc de 100 millions d'exemplaires écoulés n'a jamais véritablement éteint la polémique sur le virage grand public de sa gamme de jeux vidéo. Comme un seul homme, le président Satoru Iwata s'est défendu contre vents et marées des suspicions sur ses choix stratégiques, et ce durant le cycle de vie de la Wii.
 
Journalistes comme analystes pensaient naïvement que le fabricant avait joué crânement sa chance avec le concept tout en rupture de la DS (double écran). Tenter un nouveau bluff de ce genre équivaudrait à prendre un risque beaucoup trop élevé pour Nintendo : "c'est un énorme défi [...] cependant, je pense que la manette de la Revolution sera plus compréhensible pour le public que ne l'a été la DS [...] nous sommes beaucoup mieux préparés" se justifiait Iwata. Et comme pour signifier à tous les communicants et prescripteurs que ce concept novateur était le fruit de ses propres réflexions, il n'hésita pas à verser dans le story telling : "avant de devenir PDG, j'étais pendant de nombreuses années un développeur, mais jamais un bon joueur [...] prendre le contrôle d'un jeu en vue subjective est trop difficile pour moi, cependant dès que j'ai pris en main la manette de la Revolution, tout est devenu plus simple."
 
 
Autre motif d'interrogation sur la stratégie à contretemps de Nintendo, l'indifférence à l'avènement de la haute définition. Argument coup de poing de Microsoft et Sony pour vanter les mérites de leur console respective, Satoru Iwata contre argumentait par l'ouverture en direction d'un autre segment de marché : "au sein d'un foyer, certains membres d'une même famille jouent aux jeux vidéo tandis que d'autres non." Iwata expliquait que la manette était devenue au fil des années une barrière à l'entrée pour une frange importante de la population. Jusqu'à les rendre inconciliables avec ce média : "si le contrôleur est une énigme pour vous, vous n'êtes pas en mesure de profiter des jeux vidéo" aimait-il à rappeler au fil des interviews.
 
En dépit du scepticisme ambiant, le grand public devenait sensible aux appels du pied de Nintendo. La facilité d'accès, le prix des jeux et la formidable ludothèque passée faisaient de la Wii un format attractif. Fort heureusement, le géant japonais avait corrigé rapidement un non-sens stratégique : "nous sommes en mesure de fixer des limites quant à la durée d'utilisation d'un contenu téléchargé depuis le Virtual Console. En outre, nous sommes en capacité de laisser jouer l'utilisateur aussi longtemps qu'il le souhaite. Notre business modèle est d'une grande flexibilité." Cette politique incongrue jetée aux oubliettes fut remplacée par une optique plus lisible : "si nous pouvions réaliser un titre addictif, mais simple dans sa démonstration, comme il y a 15 ans avec Tetris, mon attention devrait être centrée sur la maîtrise des coûts. Ce type de jeu serait disponible sur le Virtual Console [...] pour ceux qui attendent des chefs d'oeuvres, nous emprunterons nos canaux de distribution traditionnels". La stratégie en ligne de Nintendo était née.
 
Les ruptures de stock chroniques gagnaient les détaillants du monde entier bien que les chaînes de production tournaient à plein régime. Le fabricant était totalement dépassé par l'engouement du public en faveur de la Wii. Ce n'était pas le seul motif d'insatisfaction adressé à Nintendo. Son coeur de cible, les joueurs confirmés se sentaient trahis : "c'est un malentendu, assurait Iwata. Nous allons corriger cette mauvaise perception." Un voeu pieux, les titres d'une grande profondeur se compteront sur les doigts d'une main quand ce n'est pas un planning étriqué qui usa la patience des fans de la marque. La tentation de l'autruche rattrapait le numéro un mondial.
 
 
Surpris par la pérennité du succès de la Wii, les compétiteurs se mettent au diapason de Nintendo. Ils bousculent leur positionnement, l'élément de langage roi devient le développement des usages, initiée par la Wiimote. Le Project Natal (Kinect) et dans une moindre mesure le PS Eye concurrencent ainsi le concept Wii sans toutefois effrayer Satoru Iwata : "lorsque nos rivaux pénètrent ce marché, deux options s'offrent à nous. Soit nous exacerbons son caractère amusant [...] soit nous essayons de créer un nouvel Océan Bleu". Par opposition à Océan Rouge où le marché est saturé de concurrents, la stratégie d'Océan Bleu consiste à créer un nouveau marché pour lequel tout reste à faire.
 
Nous avons eu la réponse avec la Wii U et son écran incorporé dans la manette. Mais ça, c'est une autre histoire qu'ils nous faudra écrire...