En 1994, le tapage médiatique autour de l'arrivée des consoles 32bits avait quelque peu éclipsé un Nintendo avare en informations sur sa nouvelle console de salon. Le fabricant attendait tout simplement la contractualisation imminente de ses relations d'affaires avec la toute puissante Silicon Graphics. À peine l'encre séchée, le président de la branche nord-américaine de Nintendo, Howard Lincon, s'était empressé de torpiller la liesse médiatique favorable aux concurrents : "notre prochain format (Project Reality) sera équipé des meilleurs composants en provenance de sociétés en pointe dans ce secteur telles que Silicon Graphics".
 
Le mot était lâché du bout des lèvres, mais elle fit l'effet d'une bombe. La presse s'était saisie de cette rare occasion pour anticiper un futur immédiat dépassant de loin la technologie 32bits. Après tout, SG est responsable des plus beaux effets spéciaux jamais vus au cinéma (Terminator 2, Jurassic Park). Son introduction dans le petit monde du jeu vidéo révolutionnera ce secteur de la même manière qu'il l'a fait pour le 7e art. Jusqu'à ce que la presse anglo-saxonne eut vent d'anicroches entre Nintendo et Silicon Graphics. L'accord fraîchement signé fut contesté par une partie des actionnaires du fondeur américain. Les plus remuants d'entre eux appelaient à la renégociation, car les comptes n'y étaient pas.
 
Nintendo dépêcha ses meilleurs négociateurs pour calmer les esprits. Toutefois, fidèle à elle-même, la société travaillait sur un Plan B en cas d'échec des tractations en cours avec Silicon Graphics. Les rumeurs désignaient Atari comme bouée de sauvetage providentielle. La firme américaine travaillait sur une technologie 64bits (processeurs Tom&Jerry qui équipaient la Jaguar) censée rendre obsolète les 16bits en fin de vie comme les 32bits à venir. Nintendo avait l'intention d'acheter cette technologie si aucun commun accord n'était trouvé avec SG. C'était vite oublier la rancune tenace que nourrissaient les dirigeants d'Atari à l'égard d'un acteur responsable de leur éviction du marché nord-américain (la NES avait balayé tous les constructeurs historiques). Après ce violent claquement porte au nez, le fabricant japonais jouera finalement son va-tout avec SG pour le meilleur, mais aussi le moins-disant. (A suivre...)