L'irruption de la 3D au beau milieu des années 90, bouleverse un paysage ludique ronflant. Les joueurs en ont semble-t-il assez de réciter leur gamme de jeux de plates-formes désespérément plats. L'ensemble de l'industrie se cherche un ambassadeur capable de la transporter dans une nouvelle ère technologique aux portes de l'an 2000. Avec un monstre de puissance appelé PlayStation, Sony sera unanimement plébiscitée. L'avalanche de jeux tridimensionnels tape-à-l'oeil suffit de convaincre les plus sceptiques qu'un passage de témoin historique est en train de se dérouler sous leurs yeux.
 
C'est le début d'une surenchère médiatique où superlatifs et cinématiques trompeuses (les éditeurs restent évasifs, la presse spé se fera le relai) plongent les acteurs dans une dangereuse spirale du "toujours plus". Les journalistes insatiables se mettent en quête de la perle rare. wipEout et Destruction Derby n'ont fait qu'exciter leur appétence. Jusqu'à cette rencontre...
 
 
Disruptor est un fps développé par le studio Insominac pour la première PlayStation. C'est le premier titre réalisé par ce jeune studio fondé en 1994. Ses apparitions dans les salons de l'E3 et de l'ECTS de 1995 sont remarquées par la presse spécialisée, avide de titres nouvelle génération. La plastique avant-gardiste de ce jeu est louée. Son concept en vue subjective effleuré sur Super Nintendo avec Doom gagne l'adhésion de tous grâce au pad Dual Shock. Évoluer dans ce genre d'univers devient une seconde nature, beaucoup plus plaisante que celui offert par Kileak the Blood.
 
 
Les standards techniques déjà élevés des premiers jeux sont bousculés. Disruptor annonce fièrement afficher entre 50 000  et 100 000 polygones à la seconde. Les couleurs sont riches, la fluidité exemplaire. Sa plastique est clairement un cran au-dessus de la moyenne des jeux PlayStation 1. Le titre rencontre un succès d'estime ce qui ne décourage nullement Interplay de planifier un portage sur la puissante M2. Cette technologie développée par 3DO et conçue pour succéder à la console éponyme, a été finalement vendue à Matsuhita. Le Japon restera encore une génération l'épicentre des constructeurs.
 
 
Les premiers kits de développement étaient disponibles dès 1996. Insommniac était tout excité à l'idée d'augmenter la qualité graphique de leur jeu. Plafonnée à une centaine de mille sur PSone, la version M2 affichait près d'un million de polygones à la seconde. La 32 bits de Sony ne pouvait donc supporter la comparaison. Les communicants de Matsushita clamaient haut et fort que la machine de guerre du conglomérat japonais rivalisait bon an mal an avec le haut de gamme des cartes d'arcade de Sega, le Model 3. Les premières démos techniques sont présentées à la presse du monde entier. Leur verdict est cinglant : une génération sépare la PSone du M2. L'ivresse gagne toute l'industrie de l'édition, des analystes pensaient que le M2 avait ouvertement les capacités de briser le formidable élan commercial de la 32bits de Sony. Le géant japonais restait de marbre alors que le petit monde du jeu vidéo était en ébullition autour de lui.
 
Pendant ce temps, le studio soigne Disruptor en dépit des problèmes techniques du kit de développement. Les programmeurs s'arrachaient les cheveux sur les nombreux bugs et pointaient du doigt la vacuité des services d'aide du conglomérat. Une période de flottement s'installait petit à petit pour finalement aboutir à l'interruption soudaine du projet M2 au milieu de l'année 1997. Diverses thèses circulent sur les raisons qui ont poussé un géant comme Matsushita (quatre fois la taille de Sony) à prendre cette lourde décision. Un marché verrouillé par Nintendo et Sony, l'arrivée de la Dreamcast en 1998 (annoncée comme trois fois plus puissantes que le M2) préfiguraient d'une âpre bataille pour laquelle la holding risquait de tout perdre.
 
Beaucoup de studios en seront pour leur frais, Disruptor ne sera porté sur aucune des nouvelles consoles entrantes (ni N64 ni DC). Après cette déconvenue, Insomniac relèvera tout de même la tête avec le succès de Spyro le Dragon commercialisé en 1998 sur... PSone.