À l’occasion de la célébration du 25e anniversaire de la Genesis (Mega Drive en Europe), un ouvrage présenté comme la synthèse “définitive” de cette console sera commercialisé le 24 de ce mois. En attendant une localisation française d’ores et déjà prévue par une petite boîte bien décidée à jouer des coudes avec Pix n’Love, la dernière livraison du magazine Edge publie un long extrait du livre que je me fais une joie de traduire, du moins les meilleurs passages.
 
Une petite piqure de rappel s’impose. Le contexte concurrentiel est défavorable à Sega. La Master System a fait de la figuration face à l’écrasante hégémonie de la NES. Cependant, il n’est pas dans le tempérament de Sega de déposer les armes. En septembre 90, le challenger organise la riposte avec une console 16bits appelée Genesis. Sur le papier, sa puissance théorique est dix fois supérieure au format vieillissant de Nintendo. Son essence, tout ce que le numéro un mondial s’interdit de faire : pas de licence sportive, pas d’exploitation de la brutalité dans les jeux, pas de star de la Pop Music pour promouvoir la console. Et pour caractériser ce tempérament de rebelle, un slogan publicitaire choc : “Sega does what Nintendon’t”. L’idée directrice n’est plus de suivre le modèle Nintendo mais de le pulvériser.
 
Presque immédiatement après le lancement de la Master System, Sega planche sur son successeur. Sa position dominante sur le segment arcade lui assure de confortables bénéfices, mais l’état-major ne peut ignorer plus longtemps le potentiel économique du marché des consoles de salon. Non sans provoquer de prises de bec : « Les dirigeants exécutifs ainsi que le personnel de notre branche Arcade s’opposaient à cette décision, précise Hayao Nakayama, président de Sega Entreprises entre 1984 et 1999. Ils pensaient que les joueurs se désintéresseraient des jeux d’arcade. Ils ont finalement accepté de prendre part au développement de jeux sur la Genesis. » 
 
 
Le démarrage des ventes au Japon est plus que problématique. La décision de lancer la Genesis une semaine après le sensationnel Super Mario Bros 3 frise l’improvisation marketing. La concurrence avec La PC Engine s’avère également plus aiguë qu’escomptée. Toutefois, les yeux des dirigeants sont plus volontiers tournés vers les États-Unis. Mais leur impréparation donne des sueurs froides à Tom Kalinske, responsable exécutif de Sega of America de 1990 à 1996. « Nakayama s’était approché de Matchbox, puis de Mattel avant que tous deux ne lui tournent le dos. Ensuite, il a été au-devant d’Atari. Cependant, cette société était si mal en point qu’il aurait été désastreux de contracter avec elle. » Fort heureusement, le cofondateur de Sega – David Rosen – fait jouer ses relations d’affaires afin de donner toutes les chances à cette console qui est un peu son bébé : « La marque Genesis est de moi, il symbolise la renaissance de Sega [...] lorsque nous nous sommes tournés vers Tonka afin de prolonger notre contrat de distribution, ils nous ont fermé la porte au nez en raison du montant des royalties prélevé sur chaque cartouche et console vendue. »
 
David Rosen approche alors un haut responsable d’Atari : « Je souhaitais faire un break prolongé, loin de l’agitation cette industrie [...] David a pris contact avec moi [...] il m’avait demandé de prendre la tête de Sega US, de participer à sa mise sur pied et de travailler à l’ascension de la Genesis », confirme Michael Katz. Lui-même fit jouer ses amitiés professionnelles afin de recruter des cadres à haute qualité d’expertise du marché nord-américain.
 
La configuration matérielle de la Genesis donne des gages aux studios de développement occidentaux, tout heureux de retrouver des familiarités (le processeur 6800 de Motorola) avec l’Amiga et l’Atari ST. Parmi eux, une pépite qui pulvérise tous les scores : « Nous avions réalisé 20 jeux la première année, déclare Trip Hawkins fondateur d’Electronic Arts. Nos profits explosèrent. Entre 1990 et 1992, la part de marché en valeur d’EA passa de 60 millions de $ à 2 milliards de $. D’aucuns pensèrent que sans le concours d’EA, Sega n’aurait jamais décroché la moitié du marché 16bits. » Leur relation commerciale était pourtant mal engagée. Le prélèvement de 10$ par cartouche poussa l’éditeur à les fabriquer par lui-même jusqu’à ce que le constructeur japonais cède sur la réduction du montant de cette ponction très impopulaire parmi le monde du développement.
 
 
Sega était bien avisé. Noël 1990 s’annonce déterminant pour donner de l’impulsion à la Genesis. Le constructeur possède dans son large catalogue de jeux vidéo une carte maîtresse, Joe Montana. La réalisation de ce titre est confiée à un studio externe, Mediagenic. Mais rien ne se passe comme prévu : « En pleine panique, Sega nous téléphone. Ils nous informent que leur jeu Montana ne sera jamais prêt dans les temps. Ils nous prient de sauver la Genesis de cette période de fêtes. Ils voulaient que je laisse tomber notre appellation Madden au profit du nom Montana. Je leur ai confié mon incompréhension, “êtes-vous sérieux ?”. Je suis retourné vers eux avec des exigences : “Signez-moi un chèque de 2 millions de $ et dans les six semaines votre jeu sera commercialisable”. Sega accepta. Nos titres respectifs devinrent les deux meilleures ventes. Tout le monde fut comblé » révèle Trip Hawkins.
 
Shinobu Toyoda ancien directeur des ventes de SoA, confirme les propos du fondateur d’EA. Les conditions contractuelles n’ont jamais été aussi favorables à l’éditeur : « Sega accepta de payer 24% de royalties. De nos jours, cette rémunération ne dépasse pas 5%. » D’autres avantages ont été concédés à ce futur géant de l’édition, amenant tout naturellement les deux sociétés à signer un accord d’exclusivité : « Ils nous ont annoncé l’exclusivité des jeux Madden sur Genesis. Nous leur avions proposé de battre Nintendo ensemble. » 
 
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