"Rudes sont le ciel et la terre qui traitent en chiens de paille la multitude d'êtres. Rude est le sage qui traite le peuple en chien de paille." - Lao Tseu

Continuons nôtre plongée dans l'univers sombre et violent de Sam Peckinpah avec le désormais culte, Les chiens de paille. Premier film du réalisateur ne prenant pas place dans l'univers des Cow-boy, La Horde sauvage resonnant à l'époque comme une lettre d'adieu au genre, il y reviendra toutefois plus tard avec notamment Pat Garett and Billy the Kid. 

Les chiens de paille marque aussi le premier tournage pour le réalisateur hors des états-unis, en Cornouailles précisemment. Sam ( oui on va l'appeller comme ça maintenant ) n'ayant tourné jusqu'alors qu'en Amérique.

Plutôt que de vous refaire un résumé du réalisateur, je vous renvois à l'article précedent pour plus d'informations. 

Les chiens de paille marque peut être une rupture d'univers pour Peckinpah mais pas dans la thêmatique, on reste dans la violence, la spirale infernale qu'elle engendre, le déroulement et l'unilatéralité de celle-ci faisant un peu penser à ce que sera Funny Games d'Haneke par la suite. Les chiens de paille abordant la violence de manière frontale et non détournée comme le fera Haneke. Ce qu'il est intéressant de remarquer avant de plonger dans le sujet, reste la capacité de ce réalisateur à aborder le même thême d'une manière différente à chaque fois, la violence parmi les violents dans La horde sauvage et la violence pacifique de Les chiens de paille. De la même manière qu'un Park Chan Wook abordant la vengeance de trois manières différentes, chacune servant à montrer sa vacuité. Il en est de même pour Peckinpah. 

Au casting, un Dustin Hoffman de la grande époque, couillu, celui de Marathon Man par la suite ou bien encore Les hommes du président, assumant les rôles difficiles, prêt à salir son image. C'est la jeune ( à l'époque...) Susan George qui tiendra le rôle de sa femme, actrice peu connue si ce n'est Mandingo de Fleisher ( le réalisateur de Soleil Vert ). S'ajoute à cela Peter Vaughan, Jim Norton et autre Len jones et vous obtenez un excellent casting tenant vraiment bien la route.

Pour l'anecdote, un remake est en préparation, quand je vois le massacre The thing ( oui ce film est nul, mauvais remake d'un classique qui n'en avait pas besoin et je ne dis pas ça par pur esprit de contradiction, j'aime les remakes quand c'est bien fait. ) et autres classiques du genre, l'idée me fait peur, surtout quand le rôle du méchant se trouve attribué à Alexander " True Blood' Skarsgârd....bref !  

Mais trêves de bavardages ! 

Synopsis :

David est un jeune mathématicien, lui et sa jeune femme décide de partir des états-unis pour venir s'installer en Cornouailles. Ce qui lui permettra grâce au calme et la quiétude de l'endroit, de se concentrer sur ses recherches. Malheureusement, David se voit confronté dès son arrivée à l'aggresivité des villageois, à commencer par les ouvriers réparant la maison de David et sa femme...

Un métrage controversé :

Peckinpah continue dans la violence et la pousse même un cran plus loin. Il faut rappeller de Les chiens de paille s'est vu censuré à sa sortie. Pourquoi ? Pour une scène de viol. Là ou le réalisateur va loin à l'époque est sa volonté de la représenter de manière frontale. La scène se déroulant en plein jour et durant assez longtemps. La controverse, en plus de se faire sur la représentation du viol et de le montrer de manière aussi direct vient aussi du montage. L'ambiguïté de celle-ci est assez gênante lorsque l'on regarde la version cut, en effet on ne sait pas vraiment lors de cette scène si la victime du viol ne commence pas à inverse le tout pour ressentir du plaisir et faire passer le violeur au statut d'amant. La scène perd toute ambiguïté lorsque l'on regarde la version d'origine, la victime reste victime et subit l'horreur du viol. Il ne faut donc y voir à aucun moment une quelconque idéalisation du viol ou une mysoginie latente, Peckinpah montre l'acte dans toute son horreur et sa gratuité. Le réalisateur cherchant avant tout à choquer en se prenant la scène en plein dans la gueule ( et ça fait mal...). 

Autre point de controverse, la violence. Dès la sortie de l'oeuvre, le film s'est vu taxé d'idéalisation fasciste de la violence. La violence par la violence. L'idée étant que le film par l'approche pacifique du héros vers ses villageois violents, soit contraint lui aussi de répondre par la violence pour s'en sortir. La loi du Talion en gros. Montrer que seul le plus fort survit au plus faible, une représentation de la survie humaine pour certains. Grosse erreur de compréhension pour ces gens-là, prenant le film au premier degrés. Mais je vais revenir sur ce point un peu plus tard.

Une réalisation qui ne vieillit pas :

Là encore, Peckinpah surprend, le film ne prend pas une seule ride, la mise en scène est très angoissante, étouffante à certains moments. Le réalisateur retranscrivant parfaitement la survie du jeune couple dans leur maison, lieux clos, petits espaces et donc peu de moyen de fuite. La photo n'a pas vieillit, chaque plan reste d'une grande beauté, on ressent l'isolement du couple dans ce tout petit village. Il n'y a guère que quelques plans, typique de l'époque, un peu anxiogène sur les bords mais cela n'est rien devant la maitrise du film dans son ensemble. 

Il est drôle de voir que la dernière scène du film, à savoir tout le moment dans la maison, semble poser les codes des films de genre par la suite. La survie dans la maison, les piéges ainsi que les étrangers envahissant la maison. 

Le mal par le mal :

Là ou certains n'ont vus qu'un film à la gloire de la violence et du fort sur le faible, j'ose vous dire que vous vous trompez. C'est bien plus que cela, bien plus...

Le film se découpe en deux gros actes. L'arrivée au village, connaissance avec les villageois et mise en place d'un certaine tension en première partie et l'attaque de la maison en deuxième partie. 

 La première partie nous présente un héros, pacifique, refusant le conflit au plus profond de lui même, préférant le dialogue avant tout. On serait tenté de le voir comme lache, refusant de protéger sa femme à certains moments, pretextant qu'il n'a pas le temps ou bien que cela passera. Tout est fait pour que l'on trouve ce héros un brin pénible. On y voit qu'un individu refusant de régler le problème directement, refusant d'aller coller une grosse mandale à un villageois qui l'a bien mérité, refusant tout conflit quelqu'il soit. On le tient même responsable du viol de sa femme, par son refus de faire bouger les choses.

Puis vient la seconde partie, ce héros que l'on croyait faible, lache, nous surprends, il se réveille et se bat. Faisant preuve d'une grande intelligence, il met en place des piéges pour repousser les assaillants de sa maison, n'hésite plus à frapper voir à tuer. Il parait plus dangereux que les assaillants, on prend même en pitié les méchants, on se dit que le héros va un peu loin. Sans se transformer en machine à tuer bien sur, le héros utilise son intelligence pour défaire ses ennemis et cela sans grande difficulté ( de là à dire que les habitant de Cornouailles sont limités...). 

Vous présenter le film ainsi ne fait que renforcer l'idée d'un métrage pronant l'apologie de la violence ou une idéalisation de la loi du plus fort. Ce n'est pas le cas et c'est là que c'est un poil pervers comme raisonnement. 

 


La représentation d'une violence facilitant les rapports humains :


La volonté du réalisateur n'est pas de prôner une quelconque loi du talion mais plutôt de montrer la gratuité et la facilité de la violence. Mais aussi nous faire prendre conscience de la prédominance de celle-ci dans nos esprits. Là ou nous avons vus un homme lache refusant la violence, pourquoi ne pas y avoir vu un homme de conviction refusant de céder à ce qu'il rejette ? Pourquoi ne pas avoir vu un homme préférant discuter plutôt que d'en venir aux mains ? 

C'est là toute la force du film, réussir à représenter la violence comme ultime solution à un problème, comme si seulement elle, pouvait résoudre le souci. Peckinpah joue avec le spectateur durant la première partie du film, il joue avec nos nerfs, tentant de nous mettre dans le même êtat de tension que le héros. La tension étant à son apogée lors de la traumatisante scène de viol où l'envie du spectateur est de voir le héros débarquer pour mettre fin à cela. 

La perversité du film étant au final de nous présenter le héros comme coupable, coupable sur la fin d'avoir cédé à la violence. Le rendant responsable de tout. Reniant ses convictions, ce en quoi il croit pour tomber au même niveau que ses ennemis. Le faisant ainsi devenir pire que ses assaillants. Peckinpah poussant encore plus loin sa vision pessimiste de l'homme et de sa noirceur. Comme si la haine était ancrée au plus profond de nous, ne demandant que peu pour sortir et rendre les coups. L'homme semblant propice à cela. Notons aussi l'égoïsme de la violence, le héros ne répondant pas pour protéger sa femme ou sa maison, il ne devient violent que par égo. N'hésitant pas à insulter sa femme par la suite, à la frapper si elle ne bouge plus, il devient esclave de ce qu'il combattait au plus profond de son être. Il se moque du viol de sa femme, du délabrement de la maison, il ne veut que rendre les coups pour rendre les coups et c'est tout. 

Peckinpah pointe du doigt autant le spectateur que son héros, montrant ainsi que l'on envisage bien vite la violence comme unique solution à un problème, se cachant même derrière, tentant à tout prix à la justifier. Le film aborde aussi les rapports humains et notre incapacité à s'entendre, notre incapacité à comprendre l'autre, à faire des concessions pour l'accepter. 

Conclusion :

C'est encore un film bien sombre que signe ce bon Sam ( oui, on est ami maintenant...), nous plongeant dans ce qui nous définit, utilisant la médiane de la violence pour parler de notre rapport avec l'autre. Film culte, d'une grande cruauté mais d'un grande intelligence, Les chiens de paille se doit d'être vu par tout amateur de film profond, superbement mis en scène...en gros par tous les amateurs d'excellents films.