Imaginez la situation. Un petit voleur de voitures croit agir tranquillement, dans la banlieue de Los Angeles, par une journée morne et à l'abri des regards. Il repère une Chevrolet qui lui a tapé dans l'oeil, et commence à jouer avec la serrure. Une fois dans l'habitacle, il s'emploie à lancer le moteur lorsque deux agents viennent toquer à la fenêtre du véhicule. Interpellation. Sur le planning des policiers, c'était prévu dans la journée. Pred Pol l'avait annoncé.

L'histoire, passionnante, est à lire dans le numéro 782 -Avril 2012- du magazine Sciences et Avenir. Elle renvoie, à une échelle réaliste, à ce que l'on a pu voir dans le film Minority Report. Vous vous rappelez ce système informatique capable de prédire les crimes ? Jeffrey Brantigham, professeur asssocié d'anthropologie à l'université UCLA, l'a réellement inventé. Bie entendu, pas question ici de voir le lieu et l'heure exacts du prochain forfait, de telle sorte que se poserait la question la question du libre. Non, ici, il s'agit de probabilités. Parce que le crime serait prévisible, à l'image de ceux qui le commettent. "Comme nous, les criminels ont une routine. Ils ne visitent qu'un nombre limité de lieux qui sont généralement très proches de leurs points principaux d'activité, explique le spécialiste. Ainsi,leurs cibles (propriétés, voitures) ou leurs victimes se trouvent rarement à plus de 2 kilomètres de leur domicile. Et ces comportements sont les mêmes en Californie, en Chine, en Israel ou en France. C'est universel! Un délit entraîne un phénomène de contagion. Un cambriolage ou un vol est généralement suivi d'autres événements identiques dans le même secteur".

Ce qu'a trouvé Brantigham, c'est qu'il était possible de modéliser ces comportements avec un algorithme. Le chercheur utilise ainsi les événements passés pour produire une statistique fournissant un risque de "réplique" sur un lieu donné. Le terme "réplique" n'est d'ailleurs pas utilisé innocemment : l'algorithme utilise comme base celui servant... à la prédiction des répliques de séismes. Quant à la statistique, elle permet, pour faire simple, de définir une aire géographique restreinte dotée d'une probabilité élevée d'acte criminel à un instant T de la journée.

Et ne croyez pas que nous nageons en pleine science-fiction. La police de Los Angeles utilise d'ores et déjà le logiciel Pred Pol (Prédictive Policy) au quotidien. Et les premiers retours semblent positifs, puisque l'utilisation du système s'est accompagnée d'une diminution de la criminalité de 11% entre le premier et le deuxième semestre 2011 (où Pred Pol a été mis en fonction). Encore un peut tôt pour tirer des conclusions définitives, mais il semble que le logiciel soit efficace : il prédirait deux fois plus de crimes que la méthode traditionnelle basée sur l'intuition des policiers. A part le week-end : les comportements des gens y seraient moins prévisibles, puisque moins routiniers.

Pred Pol est une première. Du coup, à l'instar de Minority Report, il pose une question centrale, presque philosophique: n'y aurait-il pas le risque de voir s'éroder le principe de protection des individus, la naissance d'une police préventive amenant à des contrôles plus assidus dans les spots pointés du doigt par le logiciel? Et qu'adviendra-t-il si le logiciel est utilisé pour modéliser d'autres comportements criminels que les cambriolages ou les vols de voitures ? Des interrogations d'ores et déjà formulées aux Etats-Unis, et qui renvoient directement aux fondamentaux posés par le quatrième amendement...

Source : Sciences et Avenir, Avril 2012, pages 68 à 73.