Hello tous,

Ce matin, mon petit tour quotidien sur https://news.google.fr/ m'a une fois de plus dirigé vers la triste actualité norvégienne. Triste, parce que je pense aux familles de victimes, forcément durement touchées par ces événements. Triste aussi, parce que je lis un peu partout que l'on fait, une fois de plus, de dramatiques raccourcis pour accuser le jeu vidéo de tous ces maux.

Il aura suffi qu'Anders Behring Breivik annonce s'être "entraîné" sur Call of Duty Modern Warfare 2 pour que les éternels ayatollahs du politiquement correct reviennent à la charge. Et les réactions ne se sot pas faites attendre. Je lis sur jvn.com (https://www.jvn.com/jeux/articles/la-norvege-boycotte-le-jeu-video.html) que des enseignes commerciales norvégiennes (Coop Norway Retail, en l'occurrence) se sont décidées à retirer toute une série de titres de la vente, pour l'essentiel des FPS, mais aussi le diabolique -tout le monde le sait, bien sûr- World of Warcraft, afin de ne pas froisser les familles de victimes. Je découvre également que TF1, comme à son habitude, met directement en cause la passion du tueur pour certains jeux vidéo, tandis que Le Parisien (https://www.leparisien.fr/international/norvege-ces-tueurs-veulent-laisser-une-trace-dans-l-histoire-24-07-2011-1543314.php) interviewe Stéphane Bourgoin, un spécialiste des mass-killers, et lui laisse toute latitude pour accuser frontalement la pratique vidéoludique dans ces événements. La violence des propos laisse pantois:

"Les jeux vidéo ont-t-ils une influence dans leur passage à l'acte? 
Là aussi, c'est un trait dominant chez ces meurtriers. Ils sont fascinés par des jeux vidéo violents comme World of Warcraft. Ces jeux consommés à haute dose provoquent une désensibilisation par rapport à l'acte criminel. Dans d'autres jeux, pour franchir les différents niveaux, il faut parfois tuer un policier ou une femme enceinte. Celui qui joue est par définition acteur, il n'est pas passif. Certains jeux japonais, accessibles gratuitement en ligne, permettent d'incarner un violeur en série. Le joueur devient un participant actif et exprime ses fantasmes. Là, c'est le véritable danger."

Pour résumer, Stéphane Bourgoin établit clairement un lien logique entre pratique ludique et violence, ce que nombre d'autres études ont pourtant déjà battu en brèche par le passé. C'est aussi oublier un peu vite toute la dimension avant tout ultra-nationaliste du gaillard, et aller un peu vite en besogne puisque son expertise psychiatrique n'a toujours pas été rendue publique. Mais bon, on commence à le savoir: le jeu vidéo a vraiment bon dos quand il s'agit de trouver un responsable pour certains faits de société.

Heureusement, certains médias un peu plus intelligents que la moyenne ont défendu les joueurs dans leurs colonnes. Le Monde, notamment, (https://www.lemonde.fr/technologies/article/2011/07/25/le-jeu-video-eternel-bouc-emissaire-des-tueries_1552692_651865.html) cite Olivier Mauco, chercheur au CNRS et spécialiste des rapports entre société et jeux vidéo, pour rappeler quelques fondamentaux. A savoir que le lien entre violence et jeux vidéo n'a jamais été établi, même dans la très sérieuse enquête menée par le Congrès américain suite aux événements de Columbine. L'article, décidément très informatif, explique également que le tueur aurait sans doute utilisé l'image des jeux vidéo pour cacher son funeste projet à ses proches. Breivik aurait exploité la posture d'un joueur accroc à World of Warcraft pour justifier certains de ses comportements inhabituels, profitant une fois de plus des images d'Epinal que nombre de non-joueurs ont en tête.

C'est d'ailleurs ce qu'indique également Vanessa Lanno, une spécialiste clinicienne des nouvelles technologies et des addictions, interrogée par le Nouvel observateur (https://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/monde/20110725.OBS7601/norvege-le-jeu-video-ne-mene-pas-a-une-telle-tuerie.html). De surcroît, la demoiselle cite au passage une récente étude de l'université du Texas, dont j'ai d'ailleurs moi-même parlé voici quelques posts sur ce blog, pour réfuter le lien entre violence et jeux vidéo. Car la pratique vidéoludique serait de nature, je l'avais écrit (https://www.gameblog.fr/blogs/noiraude/p_41582_alors-comme-ca-les-jeux-video-ca-rendrait-violent), à faire chuter la criminalité au lien d'inciter à la violence.

Mais ce sont, jusque là, des querelles d'experts psychologues et psychiatres. Alors, Slate.fr s'est fendu d'un papier réellement informatif sur la vérité du jeu (https://www.slate.fr/story/41761/entrainer-guerre-jeux-video). En clair: le médium d'information pose une question assez tabou, à savoir si jouer à Call of Duty peut faire de vous un bon tueur. Comme vous devez vous en douter, la réponse est négative. Pour les spécialistes, il serait même "étonnant" que la pratique d'un jeu vidéo puisse servir de formation ou d'entraînement. Je vous en livre un extrait emblématique, et qui a le mérite de laisser la parole à ceux qui savent:

"Comme le remarquait Yann Leroux, aucun simulateur ne peut totalement remplacer l'expérience du tir à balles réelles avec une arme à feu. L'odeur de la poudre, le son intense de la déflagration, la chaleur du canon, le courant d'air à travers l'œilleton, le recul de l'arme... sont autant d'aspects qui peuvent être recréés mais jamais égalés. L'expérience est incomparable à celle du combat réel.

«Il y a une différence entre arriver tout frais sur le pas de tir et se retrouver en conditions réelles avec tout ce que cela implique», explique le lieutenant-colonel Farzaud, chef de la relation presse au Sirpa Terre."

Je pourrais m'attarder encore longtemps sur le sujet, car chaque journal, chaque site semble s'être posé la question de l'implication des jeux vidéo dans le geste de Breivik. Ce que j'en retiens, pour ma part, c'est que les a priori relatifs à la pratique ludique, en vigueur depuis le début des années 1990 dans nombre de cercles de bien-pensants, ne demandent qu'une seule opportunité pour ressurgir et mettre à mal notre loisir préféré. Ce qui me fait froid dans le dos, c'est que l'on dresse si aisément un parallèle entre extrémisme et jeux vidéo. Alors, sommes-nous des parias, des dangers potentiels pour la société? C'est, insidieusement, ce que certains médias tentent de sous-entendre. Pour ma part, je ne suis ni pacifiste, ni particulièrement belliqueux. Je sais que je joue beaucoup, sans doute trop, à des titres comme Counter-Strike, World of Warcraft, Starcraft, Dragon Age. Oui, et même à Call of Duty Modern Warfare 2. J'aurais pu croiser Breivik sur la toile, au fil de mes loisirs vidéoludiques, puisque nous partageons peu ou prou les mêmes goûts pour certains jeux. La seule différence, c'est que moi, je suis un gars normal. Et lui, c'est un tueur et un fanatique, comme on en voit régulièrement depuis que le monde est monde. Une réalité qui aurait été exactement la même si nous n'avions été ni lui ni moi joueurs, que nous nous étions croisés dans la rue ou au restaurant. Mais allez faire comprendre ça à la foule des bien-pensants...