Au pays des monstres mignons, Pikachu et ses amis n'ont qu'à bien se tenir : régulièrement présentée comme la remplaçante potentielle des Pokémons, la franchise Yokai Watch est désormais parée à investir les foyers français, portée par un succès phénoménal au Japon où son troisième opus est attendu pour juillet. La nouvelle série RPG est surveillée de près chez Nintendo France, qui mise gros sur ce lancement, mais aussi dans les rangs des membres de la communauté Pokemon Trash, qui consacre un site dédié au petit nouveau. Je vous propose un pPetit tour d'horizon de ces soutiens de la franchise, en attendant de voir si cet univers parvient à s'implanter durablement en nos vertes contrées.

 

Un filet à papillons, une chasse aux insectes, un petit imbroglio scénaristique et voilà le joueur hanté par Whisper, un yokai à l'humour incisif qui plonge d'emblée cette drôle d'aventure dans le monde des croyances nippones. Parce que le yokai, c'est une invitation au voyage. Une créature fantastique issue du bestiaire des contes et légendes japonais, fait d'Inugamis (chiens) pas toujours très gentils, de Kitsune (renards) rusés ou de Bakeneko (chats) dont on ne sait jamais très bien s'il faut les craindre ou les adorer. Yokai Watch propose au joueur, équipé d'un artefact magique permettant de les voir, de capturer plus de 220 spécimens de ces créatures vivant à nos côtés, invisibles, aux marges de notre réalité. Selon un principe qui fait furieusement penser aux inusables Pokémons, mais avec suffisamment de différences et de personnalité pour se tailler une part du gigantesque gâteau des jeux à la sauce "Attrapez-les tous". Ce n'est pas rien : beaucoup de candidats s'y sont cassé les dents par le passé.

Série TV, manga, jeu vidéo: le rouleau compresseur

Proposée sur Nintendo 3DS, la franchise développée par l'excellent studio Level 5 (Professeur Layton) a débarqué en juillet 2013 au Japon, où elle a vite connu un succès considérable. Allure manga, ambiance enfantine mais pleine d'aventure et d'humour, Yokai Watch s'est écoulé à coups de millions d'exemplaires - 10 pour être précis - sur les deux opus pour l'instant sortis là-bas. Et l'arrivée du troisième volet, annoncée pour juillet, fait d'ores et déjà partie des événements vidéoludiques de l'année 2016. Le jeu devrait suivre sans mal la voie tracée par ses aînés.
 
Le secret d'un tel succès réside évidemment dans les qualités intrinsèques du titre qui, s'il ne possède pas (pour l'instant) la profondeur d'un Pokémon, est suffisamment armé pour proposer une expérience gratifiante dans un monde facile à appréhender, où le hasard prend une place certes importante mais sans que l'échec y soit jamais inéluctable ou trop pénalisé. Mais Yokai Watch fonctionne aussi sur une dynamique marketing redoutable, imposant l'image des petits monstres dans le paysage: la franchise repose au Japon sur deux séries de mangas publiés depuis 2012 (en shônen pour les garçons) et 2014 (en shôjo, pour les filles), un dessin animé qui cartonne depuis janvier 2014 et deux films d'animation qui ont battu, dans les cinémas nippons, des records de fréquentation. Le concept de Level 5 fonctionne tel un rouleau compresseur, selon une stratégie qui ne prend que parce que les jeux bénéficient d'un indéniable capital sympathie. Décidément difficile de prendre en grippe des monstres gentils.
 
Evidemment, l'arrivée d'un tel phénomène commercial en occident est scrutée de longue date par les stratèges de Nintendo Europe, qui savent combien le potentiel est conséquent. Mais fragile également: la licence a connu un revers assez important aux USA, sans doute victime de son univers japonisant peu évocateur pour le public cible américain, et "parce qu'il y a surtout eu un problème de synchronisation entre la sortie du jeu et la diffusion du dessin animé, là-bas", ajoute Philippe Lavoué, directeur général de Nintendo France. Un impair qui n'est pas à l'ordre du jour dans l'Hexagone, où l'on a retenu les leçons de cet échec en sortant le premier opus du jeu le 29 avril dernier: le dessin animé est diffusé depuis le 11 avril sur la chaîne payante Boing, et débarquera en version gratuite sur Gulli dès le 29 août. "Nous avons également les jouets qui arriveront via notre partenaire Hasbro à partir de la rentrée", complète Philippe Lavoué. Dans cette dynamique, si le succès est au rendez-vous, les mangas et les longs métrages ne devraient pas tarder à occuper le terrain... et contribuer à implanter durablement l'univers Yokai dans les foyers français. Noël 2016, à ce titre, sera à scruter de près car l'enjeu est considérable : dans un contexte économique délicat (la console de salon Wii U arrive en fin de vie prématurée alors que sa remplaçante, la fameuse NX, ne doit apparaître dans les rayons que courant 2017), la firme nippone doit plus que jamais miser sur ses softs (3DS, WiiU) pour assurer sa rentabilité. L'arrivée de Yokai Watch en Europe est l'un de ces jalons sur lesquels la société pense pouvoir compter.
  
Yokai Watch a-t-il des chances de s'imposer ? L'intérêt de l'Hexagone pour la culture japonaise est de nature à inciter à l'optimisme, dans les rangs de la firme au plombier. Et pour l'heure, la France semble effectivement réceptive au phénomène - sans toutefois totalement y succomber - avec près de 12 000 exemplaires du jeu écoulés sur les deux premières journées de distribution (données confirmées par GfK). "C'est plutôt bon signe, estime Philippe Lavoué, puisque cela signifie que le jeu s'est placé en tête des ventes sur cette période bien que son univers, avec des monstres de la mythologie nippone, soit très différent des titres Pokémon."
  
Peut encore mieux faire, de plus, car le public des 6-9 ans, cible privilégiée de la franchise, semble répondre présent, avec en prime à la clé, pour un certain nombre de foyers, l'acquisition d'une console portable, faisant du jeu un system seller pour une 3DS toujours en forme et qui, mine de rien, en est à 4,3 millions d'exemplaires écoulés dans l'Hexagone. "On sait que le jeu a le potentiel pour recruter de nouveaux joueurs et donc des acquéreurs de 3DS, confirme le directeur général de Nintendo France. C'est une dynamique qu'on a légèrement ressentie lors de sa sortie: les ventes de consoles ont augmenté de 10% sur cette période". Ce n'est peut-être qu'un début: il n'est pas exclu que, si la demande se fait sentir, un pack 3DS Yokai Watch fasse son apparition dans les rayons en fin d'année.
 

Pokémon et Yokai, main dans la main

Le pari n'est peut-être pas encore remporté, mais il en est déjà qui misent sur l'implantation durable des yokai en France. Les responsables de Pokemon Trash, "premier site français d'actualité Pokémon réseaux sociaux inclus (avec un staff d'une quarantaine de personnes, ainsi que deux chaines YouTube, Pokémon Trash avec 250 000 abonnés et Trash avec 340 000 abonnés)", semblent avoir vu en Yokai Watch un petit nouveau à surveiller de près. "En fait, on suit le jeu depuis sa sortie en 2013, explique Pierre Le Breton, l'administrateur du site, âgé de 23 ans. On a commencé à le parcourir en version japonaise, puis en version US, quand il est arrivé là-bas. On avait envie de faire quelque chose dessus parce qu'on le trouvait sympa".
  
Le résultat, c'est une page web dédiée, calquée sur le modèle de Pokémon Trash. Totalement amateur et gratuit, le site Yokai Watcher (www.yokaiwatcher.com) s'est donné pour mission de suivre l'actualité de la franchise, mais aussi de servir de centre de ressources pour le jeu, plus long à boucler qu'il n'y paraît. "La soluce express du jeu est déjà en ligne, et nous nous attelons au Medallion, pour recenser toutes les créatures du jeu, leurs astuces et leurs stats, avec leurs transformations qui peuvent être une évolution classique ou le résultat d'une fusion", détaille Pierre Le Breton.
  
C'est un espace qui arrive en complément de l'univers Pokémon qui soude cette équipe de passionnés. "Tout le monde parle de successeur, en comparant Yokai Watch à Pokémon. Nous, on n'est pas d'accord avec ça, on  les voit plutôt complémentaires, estime l'administrateur de Pokemon Trash. Les jeux ont des points communs mais Yokai Watch se présente davantage comme une initiation à l'univers du RPG un peu "feelgood". J'y joue tranquillement, sans me prendre la tête, alors qu'une partie de Pokémon est quand même beaucoup plus technique". 
  
C'est d'ailleurs cette profondeur, additionnée à la nostalgie, qui permettrait à la bande de Pikachu de séduire au-delà de l'adolescence. "Et c'est de là que vient ma petite crainte, Yokai Watch n'a pas cette capacité, cet aspect stratégique que peut avoir Pokémon, donc on peut se demander si le jeu saura franchir la barrière des âges. Pour l'instant du moins: le troisième opus arrive le 16 juillet au Japon, et une vraie profondeur est annoncée. On va regarder ça de près". Pas le moindre des défis: à l'instar des Pokémon, si elle veut s'installer dans la durée, la franchise Yokai Watch devra mûrir son concept pour accompagner dans la vie la communauté de fans qu'elle est en train de se forger...