Au second jour de la Game Developers Conference, les figures de prou de l'industrie prennent leur micro afin présenter leur dernier projet en date et se plient également au traditionnel exercice d'allocution (ou de causerie) sur les réflexions personnelles qu'ils portent sur leur métier. Keiji Inafune a fait visiblement le déplacement, tout heureux de repartir en croisade contre la complexité du présent. L'ordre du jour ? "L'avenir du jeu vidéo japonais".
 
La quête d'humilité de Keiji Inafune est fort heureusement devenue plus constructive, moins provocatrice. Lui qui n'avait pas hésité il y a peu à dénoncer avec véhémence la léthargie dans laquelle se complait l'industrie japonaise du jeu vidéo, criant à qui veut l'entendre que la sentence du Game Over planait au dessus de la tête de ses homologues nippons. Il fallait pour le brillant créatif être ostentatoire de manière à briser le consensus mou qui règne dans l'archipel, en réveillant les consciences << avant qu'il ne soit trop tard >> assure-t-il. Un regard très critique qui contraste avec force dans celui de Koichi Hayashida, disciple de Shigeru Miyamoto, présent au GDC.
 
Sur la forme, la démonstration de Inafune tourne tout de même à la caricature, laissant défiler sur le projecteur des propos emprunts d'idéologie libérale, ceux que l'on est habitués à entendre bien malgré nous dans les mauvaises séries télévisées américaines qui pullulent sur la TNT : << Do you want to win ? Do you want to succeed ? >> Il adresse ses voeux sous forme d'exigences car les circonstances sont graves mais pas inéluctables, c'est une question de disposition : << c'est simple, il faut chercher au plus profond de soi la volonté de gagner, de revenir au sommet. >>
 
Les développeurs japonais doivent donc avoir le courage d'être eux-mêmes, de ne pas paresseusement singer les productions occidentales, de ne pas surexploiter une licence : << il y a 15 ans de cela, je travaillais sur Megaman Legends, c'était le premier épisode de la série à inaugurer son passage en 3D sur PlayStation. J'étais comme fou à l'idée de le moderniser et surtout très confiant quant au résultat final. En tant que producteur, j'ai donné le meilleur de moi-même [...] toutefois, la franchise était en phase de déclin et le niveau d'attente n'était pas aussi élevé qu'escompté. En conséquence nous n'avons pas été en mesure de promouvoir le jeu aussi efficacement [...] la qualité du jeu laissait à désirer, les ventes n'ont pas suivi. >>
 
De cette belle leçon d'humilité, Kenji Inafune assure en avoir fait un ressort providentiel dans sa carrière professionnelle : << cette mauvaise expérience représente mon plus grand échec mais aussi ma plus grande fierté [...] Peu de temps après, j'ai eu la chance de travailler sur Resident Evil 2, j'ai la certitude que ce jeu a fait de moi ce que je suis aujourd'hui. >>
 
Kenji pensait en effet trainer comme un fardeau la déconvenue Megaman Legends. C'était ignorer à quel point le développement de nouvelles franchises et ses nombreux défis sous-jacents sont galvanisant. Une expérience professionnelle beaucoup plus formatrice et enrichissante sur le plan personnel que la production d'une suite ronflante, sans prise de risque : << c'est ce qui nous manque au Japon, cette volonté de gagner, la ténacité de réussir. >> Il ne se prive pas pour tirer à boulet rouge sur ses compatriotes << très étroits d'esprit >> cependant, bien que ces derniers n'avaient pas goûté à ses diatribes << à l'époque, ils m'avaient mis au ban >>, les revoilà sur le chemin de l'expiation << dorénavant, les critiques retombent. Ils baignent dans un contexte tellement délicat qu'ils se rendent que mon jugement n'était pas forcément faux. >>


 
 
La révolution des esprits à laquelle il appel de ses voeux demeure néanmoins lente : << nous assistons à un déclin de la création de nouveaux jeux en provenance du Japon. Nous sommes tellement attachés à nos gloires passées que nous cédons par abattement à leur réactualisation en haute définition. >> Il fait de la prise de risque, de la mise en danger de soit un véritable leitmotiv : << ceux qui réussissent n'optent pas pour la fainéantise. Ils savent que le succès ne se gagne qu'après avoir livré un travail acharné [...] il faut avoir l'audace de créer quelque chose de nouveau. >> Il est convaincu que l'industrie japonaise à besoin d'un nouvel héros pour s'arracher des démons qui rongent son énergie créatrice : << c'est ce qui nous manque. Il nous manque un héros >> conclu l'ancien golden boy de Capcom. Son prochain titre prévu sur PlayStation Vita devrait être plus démonstratif que ces bonnes paroles purificatoires.
 
Loin de cette considération égo-centrique digne d'une cours de récré, Koichi Hayashida, la valeur montante de Nintendo décrit avec beaucoup d'apaisement et de maturité ses angoisses et la représentation qu'il fait de son travail. L'auditoire auquel il s'adressait hier était conquis d'avance, lui qui se réclame de l'héritage de Miyamoto dans toutes les composantes de sa vie professionnelle, sa parole ne pouvait qu'être précieuse pour le public.
 
Le tremblement de terre qui a touché le Japon mars dernier a été une épreuve douloureuse tant sur le plan humain que professionnel. Les conséquences psychologiques ont pesé lourdement sur le moral de son équipe alors que Super Mario Land 3D s'apprêtait à être commercialisé sur 3DS : << le bureau a été fermé pendant une semaine [...] personne n'était en mesure de nous dire ce qu'il adviendrait. >> Sur un plan plus personnel, l'homme a été traversé par une inévitable remise en question : << j'étais comme perdu, je ne savais pas quoi faire de moi-même. >>
 
Le dramatique événement a pesé sur les décisions à prendre, être à la tête d'une industrie apportant du rêve ne pouvait qu'être bénéfique pour soutenir le moral en berne des japonais : << je pensais que proposer un jeu plaisant à jouer redonnerait le sourire. >> Toutefois, le génial game designer est rongé par le doute, cherchant désespérément une raison qui le motive à pousser la porte de son bureau avec le même entrain. Il se tourna vers son équipe pour retrouver cette étincelle qu'il croyait perdu : << j'ai demandé à un membre de mon équipe pourquoi il avait embrassé ce métier. Il m'a répondu le plus simplement du monde "parce que c'est un plaisir de réaliser des jeux". >>
 
Cette réponse dépasse son sens commun premier pour Hayashida. Cette candeur professionnelle lui rappelait ses premières années chez Nintendo (1991). Un séminaire conduit par Shigeru Miyamoto développait cette idée de réjouissance à réaliser des jeux pour les autres et pour soi-même. Ce sacerdoce ne l'a jamais réellement quitté, la catastrophe qui a frappé le Japon lui a juste rappelé l'importance de travailler dans de telle disposition. Elle est aussi vecteur de cohésion sociale : << normalement je ne me prête pas à ce genre de chose mais j'ai pensé qu'il serait amusant de faire une photo de groupe >> précise Hayashida. Il poursuit : << tous les membres de son équipe se réunissent désormais toutes les semaines dans une même pièce et jouent ensemble au lieu de le faire seul à leur bureau [...] cela me rappelle quand tout jeune enfant j'allais jouer chez mes copains. >>
 
<< Plus que jamais, il est devenu primordiale de réfléchir à la nécessité de profiter de tout, même du point de vue d'un dirigeant >> résume-t-il. Cette réflexion sur la fragilité de la vie et l'obligation morale de savourer tous les instants de son existence représente les deux moteurs de sa motivation au travail. Celle-ci s'est vue récompensée lorsqu'un joueur a pris la plume pour exprimer toute la consolation qu'il a reçu en jouant à Mario 3D après les premières semaines du drame : << ce jeu m'a redonné espoir écrira le joueur, il m'a donné la force de continuer à vivre. >> Un témoignage poignant qui aura touché au plus profond de son âme le créatif : << c'était miraculeux. Cela m'a rappelé aux bons souvenirs d'un temps innocent. >>
 
Il ne manquera pas de saluer la sagesse de son mentor qui lui a tout appris. Pendant son discours, il n'aura cesse de répéter que les choses d'apparence simple peuvent se révéler difficile à mettre en oeuvre. Il n'y a pas de mystère, la réponse se trouve en chacun de nous. Ce qu'il ne faut pas perdre de vue, c'est l'utilisateur : << il faut laisser les gens jouer à leur manière. >> Pour appuyer sa pensée, il s'est servit d'un exemple de la vie quotidienne avec pour cobaye son propre fils : << mon enfant s'est saisi de la console, il a cherché à comprendre comment utiliser le pavé circulaire. A un moment, il avait apposé ses deux mains dessus puis il lui a fallu une heure pour compléter le premier niveau de Super Mario 3D avant de me confesser "la collecte de pièces de monnaie est un plaisir papa" >>
 
L'intervention de Hayashida aura eu le mérite de démontrer qu'il est inutile de se faire violence pour évoluer. L'hymne à la vie de Hayashida témoigne de cette renaissance créative qui habite désormais le game designer. La voie de l'auto-flagellation choisie par Inafune et une catégorie de développeurs japonais (tels que Kojima, Itagaki, Mikami...) est bien fade en comparaison.