On peut aisément reprocher à Sony la stratégie suiviste qu’elle applique à chaque itération de ses consoles de salon. La PlayStation 4 ne se distingue guère des précédents modèles, le fabricant ayant fait le choix d’appliquer un positionnement strictement gestionnaire à son produit vedette. Comment leur en vouloir alors que l’attention des joueurs se cristallise à chaque intervalle générationnelle sur le complexe arbitraire du seuil des 25 puis 30 et maintenant 60i/s indexé désormais au sacro-saint 1080p ?
 
Morpheus a beau être issue de la même écurie que la PS4, sa raison d’être obéit bien davantage à une logique conceptuelle affirmée qu’à une considération visuelle bassement esthétique. C’est ce que tente d’imprimer dans les esprits Shuhei Yoshida, président de SWS à chaque interview accordée aux médias. Une aubaine pour le responsable apprécié pour son verbe libre (à longueur de tweets, il confesse par exemple avoir été banni deux fois du Miiverse...), car les stratèges en marketing de Sony délaissent pour le moment un dispositif encore en stade de développement.
 
En l’absence du parasitage provisoirement contenu de ces (détestables) communicants professionnels, la pédagogie sans langue de bois prend donc ses marques : « C’est un bon produit, mais ce n’est pas suffisant. Nous en sommes proches, cependant la création d’expériences viscérales fait sensiblement défaut (à Morpheus) », confesse Shuhei Yoshida aux antennes de Polygon.com. À la différence de l’écran TV dont l’expérience distanciée émousse l’immersion, le casque de réalité virtuelle de Sony doit créer une abstraction des sens sans précédent : « Il faut impérativement que vous sentiez au plus profond de vous-même que vous êtes au bord du précipice », glisse-t-il.
 
Le joueur souverain, conscient d’évoluer dans une réalité alternative plutôt que polygonale. Voilà l’optique, ce vers quoi tend le constructeur afin de faire de Morpheus moins une extension qu’un véritable paradigme. Toutes les forces inventives de Sony Wordwide Studios s’orientent désormais « dans la création d’expériences diverses. Certaines fonctionnent bien quand d’autres demandent un apprentissage plus délicat » souffle Yoshida. Si bien que Sony envisage de mutualiser ses connaissances avec les développeurs extérieurs à elle. Guidée par un enthousiasme débordant en faveur de cette technologie, la scène des indépendants devient le véritable pilier si ce n’est l’incubateur incontournable de nouvelles idées éprouvées.
 
« L’expérience qui ressort de Morpheus prend actuellement la forme d’un parc à thème dans lequel la pratique des jeux ressemble fort à de la démonstration [...] en attendant de disposer d’une communauté de développeurs capable de concevoir de solides expériences, nous nous interdisons de commercialiser notre casque », reconnaît le responsable. Les projets se bousculent chez Oculus VR, mais pour Morpheus l’intérêt semble moins dynamique : « Nos kits de développement sont commandés par grappes, une longue liste de développeurs en attente de le recevoir existe », rectifie-t-il sans étayer son affirmation.
 
Cependant, tout ce bouillonnement créatif autour du dispositif VR de Sony inlassablement revendiqués par les portes-voix de cette technologie masque une réalité moins séduisante. Le géant japonais adopte une position plutôt inédite dans la planification du processus de développement du casque, faisant fi de la lisibilité nécessaire à sa réussite commerciale. Adam Boyes, vice-président des relations développeurs/éditeurs au sein de la branche PlayStation fait cette surprenante déclaration : « Nous annonçons d’emblée aux développeurs qu’ils nous accompagnent dans une aventure où la date de départ est inconnue [...] nous ne disposons ni de calendrier ni de prix, ils sont libres de nous suivre avec cette information. »
 
L’objectif de cet avertissement est de ne pas susciter de folles attentes autour de Morpheus avec pour risque de donner le sentiment de flottement dans les intentions du fabricant. L’appareil est toujours en phase d’études de faisabilité techniques. Et quand bien même Oculus fédère la crème de l’expertise de cette industrie (Jason Rubin, John Carmack...), les développeurs ne se sont toujours pas choisis de manière ferme un champion. Le risque est donc calculé.
 
Cette bataille du VR est relancée grâce aux fantastiques progrès de l’industrie. Les process sont devenues plus efficients grâce à la maîtrise des diverses ruptures technologiques qui ont rythmé son évolution (3D, Internet...). La réalité virtuelle profite pleinement de la maturation de l’activité des loisirs interactifs pour adopter une approche raisonnée du développement des jeux. Une démarche qui se démarque de l’emballement suicidaire qui a saisi les pionniers de ce segment au milieu de la décennie 90 : « Réaliser un jeu pour Morpheus est très accessible [...], mais on se rend rapidement compte que les jeux dédiés aux consoles ne sont pas adaptés à la VR. Tous les repères sont bouleversés », signale Yoshida. Selon lui, les efforts de création doivent se polariser dans la conception originale plutôt que le portage de jeux en provenance des consoles. « Il est recommandé de passer beaucoup de temps à revoir les fondamentaux de votre jeu, ou mieux de commencer à partir de zéro », renchérit-il.