Fiche technique
Réalisateur : Antoine Fuqua
Avec : Ethan Hawke, Richard Gere, Don Cheadle
Brooklyn's Finest
Policier, U.S.A. (2008), 127 minutes
Sortie le 05/05/2010

Synopsis

En proie à leurs propres démons, Eddie, Sal et
Tango, trois flics, officient dans le 65e district, l'un des plus
dangereux du nord de Brooklyn.
Dans une semaine, Eddie, la cinquantaine, sera à la retraite.
Déprimé et désabusé, il tente de retrouver du réconfort dans l'alcool et auprès d'une jeune prostituée, Chantel.
Sal travaille à la brigade des stups et a du mal à joindre les deux
bouts. Sa femme enceinte a des problèmes de santé et leur maison est
trop petite. Ils attendent des jumeaux et leur famille va passer de cinq à sept personnes.
Tango voudrait désespérément revenir en arrière. Depuis plusieurs
années, il travaille sous couverture et se fait passer pour un
trafiquant de drogue, ce qui lui a valu une année de prison, et sa femme a demandé le divorce.
Ces trois flics n'auraient jamais dû se croiser, jusqu'à cette nuit où l'enfer s'est déchaîné à Brooklyn...

Intro :
Après avoir immortalisé les rues les plus chaudes de South Central
avec « Training Day » en 2001 qui a valu l'oscar du meilleur acteur pour Denzel Washington, Antoine Fuqua revient à un genre qu'il affectionne
particulièrement, le polar. Il faut dire qu'entre temps nous avions un
peu peur après l'excellent « Training Day » que le réalisateur de « Un
tueur pour cible » (oui oui c'était bien lui) ne se perde dans les
commandes de Mr Hollywood (Les larmes du soleil, Le roi Arthur,
Shooter...). Peur, car depuis « Shooter » chaque nouveau film d'Antoine
Fuqua pose une nouvelle interrogation sur le réel savoir faire du jeune
réalisateur. Non pas que chacun de ses films soit mauvais mais le fait
est que Fuqua, au même titre qu'un Alex Proyas est plus à l'aise avec de petites productions qu'avec des blockbusters et autres films à gros
budgets. Mais après « L'élite de Brooklyn » Fuqua pourrait bien réussir à prouver qu'il est peut-être le nouveau William Friedkin rien que ça.

Une histoire d'hommes :
Du premier coup de feu qui vient ouvrir le générique, on sent à
chaque instant, à chaque moment que le monde dans lequel évolue Eddie,
Sal et Tango est plus que tangible. Fuqua nous montre la réelle
difficultée de ce métier à travers trois tranches de vie. Sal (Ethan
Hawke) à peur de ne pas être à la hauteur en tant que père d'une famille qui compte déjà trois enfants. Sa femme enceinte attend des jumeaux et
contracte au passage des difficultés respiratoires à causes des murs de
leur maison qui nuit grandement à sa grossesse. Sal, torturé par sa foi
se voit alors contraint d'utiliser n'importe quels moyens pour ramasser
autant d'argent que possible afin qu'il puisse offrir à sa famille un
nouveau logement. Tango (Don Cheadle) est un flic infiltré depuis plus
de 8ans dans le milieu des trafiquants de drogue de Brooklyn. Il espère
avoir sa promotion après l'arrestation de Caz (Wesley Snipes excellent)
ancien gros trafiquants de drogue sortie fraichement de prison et
reprendre sa vie le plus rapidement possible. Sans aucune aide
psychologique, ne sachant plus qui il est réellement et s'étant pris
d'affection pour le trafiquant qui lui a sauvé la vie au cours de son
arrestation, Tango devra choisir dans quel camp il est. Et enfin Eddie
(Richard Gere) en fin de carrière à qui il ne reste plus que 7 jours
avant qu'il ne prenne sa retraite. Marqué par la vie, noyant sa peine et son chagrin dans l'alcool, il retrouve néanmoins une once d'espoir à
travers une prostituée.

Tous usés autant physiquement que psychologiquement, le spectateur
n'a de cesse de penser, d'espérer, de savoir ou de se tromper sur qui
pourra bien réussir à rester en vie ? Quel personnage prendra la bonne
décision au bon moment ? Auront-ils la force de combattre leurs propres
démons ou est-ce déjà trop tard ? Car l'environnement et les événements
dans lesquels le réalisateur s'amuse à placer ces hommes sont tellement
hostile et imprévisible que le spectateur lui-même se retrouve à devenir « acteur » ne sachant pas toujours sur le moment comment lui aussi il
réagirait s'il était à leurs places ce qui est l'une des forces majeurs
du film.

L'âme d'un flic :
Il serait quand même intéressant de faire un parallèle avec les
personnages de « L'élite de Brooklyn » et celui d'Alonzo dans Training
Day car c'est justement sur ce point que l'on retrouve la touche
personnelle du réalisateur. En réalité, Fuqua avait « confronté » à
l'époque le policier Hoyt jeune et naïf interprété par Ethan Hawke face à l'inspecteur Alonzo Harris joué par Denzel Washington. Training Day
racontait comment un bon flic intègre avait été littéralement bouffé par toutes les saloperies de la rue. Délaissant tout sens du devoir, de
moral et d'éthique, Alonzo était devenu un flic déchu mais malgré tout,
certaines scènes dans le film laissaient penser au spectateur qu'à
l'époque, Alonzo était un bon flic tout comme les personnages de L'élite de Brooklyn. En partant de cette base scénaristique, Antoine Fuqua
décide donc de se concentrer sur « l'avant », de réorienter son récit
pour confronter les personnages de « L'élite de Brooklyn » aux mêmes
événements qu'avait du traverser l'inspecteur Harris dans Training Day
avant qu'il ne devienne pourri de l'intérieur. Le réalisateur nous pose
ainsi cette question « Jusqu'a quel point un flic peut-il franchir la
limite ? » et « Quelle va être la limite pour ces hommes ? ». De ce
postula de départ née la véritable intensité du film, ainsi on anticipe, chaque coins de rues, chaque couloir, chaque descente jusqu'à un
apothéose finale dramatique mais inéluctable.
Fuqua en profite aussi pour souligner la réalité et la difficulté de ce métier sans trop tomber dans une morale à 3 francs. En étant juste
et en ce plaçant seulement comme témoins de ces hommes qui comme le dit
le personnage de Ethan Hawke valent plus chère mort que vivant, Fuqua
tire un constat dramatique et malheureusement tout ce qu'il y a de plus
réel dans ce monde. Viens aussi le personnage de Richard Gère qui au
moment de rendre son insigne, ce retrouve devant un fonctionnaire
complètement désintéressé et sans aucune considération pour l'homme qui a risqué sa vie chaque jour pendant plus de 20ans.

Réalisation :
Préférant éviter les ficèles classique du film à choral, Fuqua
décide de ne pas (trop) faire interagir ses personnages se limitant
seulement à de simples échanges de regards ou seulement deux lignes de
dialogues. La réalisation est alors un exemple d'efficacité dans la
sobriété tant le réalisateur réussi à ne pas sombrer dans l'écueil
habituel du genre. La caméra filme ces portraits de vies de façon très
intimiste au plus proche des personnages. Le réalisateur prend aussi le
risque de filmer vers East Brooklyn au coeur même des cités. En grande
partie tourné en décors naturels (une seule scène a été filmée en
studio), le film offre au spectateur une vision authentique de l'un des
coins les plus durs de l'état de New York. Pourtant épaulé par une toute nouvelle équipe, Mauro Fiore qui était le directeur de la photo sur
Training Day laisse place à Patrick Murguia dont c'est le premier film
au cinéma. Conseiller par Oliver Stone lui-même, le nouveau directeur
photo d'Antoine Fuqua offre des panoramas somptueux et réaliste. Il
présente ainsi les coins chauds de la ville de la manière la plus
directe qui soit sans artifices, mention spécial aux séquences de nuits
superbement bien éclairés faisant directement références aux oeuvres de
Friedkin, Lumet etc.

Conclusion :
Définitivement son meilleur film, « L'élite de Brooklyn » s'inscrit
dans la lignée des meilleurs polars surtout grâce à l'interprétation de
tous les comédiens. D'une maitrise totale au niveau de sa direction
d'acteur jusqu'au plus petit rôle, on sent Fuqua particulièrement
intransigeant. Réussissant à tirer le maximum de leurs jeux, à pousser
ses acteurs jusque dans leur dernier retranchement à tel point que l'on
oubli sans problème le charisme habituel d'un Richard Gere ici
complètement égratigné et anéanti par le vécu de son personnage.
L'acteur livre peut-être sa meilleure interprétation depuis bien
longtemps. Sans oublier Don Cheadle au bout du rouleau perdant peu à peu son identité d'homme de loi et enfin Ethan Hawke tiraillé par ses
croyances catholique et sa foi. Dépassé et fatigué par le poids de sa
famille l'acteur joui d'une interprétation mémorable.

Après « Training Day » première oeuvre majeur de sa filmographie, il est maintenant parfaitement clair qu'Antoine Fuqua n'est pas qu'un
vulgaire « yes man ». Non c'est un vrai réalisateur et « L'élite de
Brooklyn » vient effectivement prouver que le bonhomme sait raconter une histoire et diriger une galerie de personnages vraiment riche dans un
contexte brutal et violent. Qu'il sait filmer et immortaliser une ville
comme Brooklyn de la meilleur des manières et sans fioritures dans un
contexte qu'il affectionne particulièrement et qu'il sait parfaitement
bien mettre en scène. Pour la deuxième fois, à travers l'un des métiers
les plus difficiles au monde, Fuqua prouve qu'il sait aussi sonder l'âme humaine jusque dans ses profondeurs les plus obscurs ne laissant aucune chance (ou presque) aux personnages comme au spectateur de ressortir
indemne de cet opéra tragique.