Tous les hommes naissent libres et égaux, mais tous les hommes ne sont pas des hommes. Avec les droits viennent les devoirs, avec les devoirs viennent les responsabilités. On ne naît pas "homme", on le devient.

On apprend à le devenir.

On nous l'apprend.

Parfois, on ne nous l'apprend pas.

Parfois c'est nous, qui ne voulons pas l'apprendre.

Parce qu'il est plus aisé de ne pas être un homme, ou plutôt : d'être un loup, dans les habits d'un homme. Pire qu'un loup, même. Un chien. Un chien enragé, avec l'écume aux lèvres. Un chien malade, galeux, qui contamine, corrompt, salit tout ce qu'il mord.

Et ce chien-là serait "libre", dites-moi, juste parce qu'il nous ressemble ?

Il serait "égal" à celui qui vit selon un idéal de droiture et de compassion ?

Juste parce qu'il sait marcher sur ses deux pattes arrières ?

J'en ai vu sur Youtube accomplir des tours plus impressionnants que ça.

Ce chien peut-il prétendre aux mêmes droits, alors, à la même considération, juste parce qu'il possède le même ADN, s'il ne s'acquitte pas de ses devoirs d'homme ?

Au contraire : s'il les bafoue à la moindre occasion, petite ou grande, en se réfugiant lâchement dans des jupons célestes pour justifier sa monstruosité ?

Dieu n'a jamais tué personne, cessons de le blâmer, c'est trop facile. Ce sont les gens, qui tuent. S'il existe un Dieu, sous quelque forme et quelque nom que ce soit, alors il a créé tout ce qui existe. Et s'il a créé tout ce qui existe, s'en prendre à cette création, sous quelque aspect que ce soit, c'est s'en prendre à Lui. C'est lui faire injure. C'est NOUS faire injure. Il n'y a pas de démons, il n'y a pas de Satan, il n'y a pas de créatures à la peau rougeâtre et aux cornes sur le front qui cherchent à nous tenter, à nous hanter, nous posséder. Ou s'il y en a, ils sont loin d'être aussi effrayants, ou aussi monstrueux, ou aussi impardonnables que nous pouvons l'être nous-mêmes. Car même s'ils existent, ils n'ont pas choisi, eux. Ils sont nés monstres, ils ne le sont pas devenus. Ils ont l'excuse que nous, nous n'avons pas. Or quelles horreurs infâmes pourraient-ils nous souffler à l'oreille, quand nous avons dans ce domaine tant d'imagination ?

Voyez le monde dans lequel nous vivons, dont nous faisons partie : celui de la violence banalisée, de la mort-spectacle, du petit sophisme de forum pour épater la galerie, de la conspiration imaginaire et du "c'est-pas-moi-c'est-l'autre". Celui de la récup' et de la haine pour appuyer la haine. Celui de la loi du Talion. Alors que l'ouverture au monde offerte par internet aurait dû nous rassembler, nous unir, nous étendre, elle nous rabaisse, nous réduit, nous ramène invariablement à notre petit nombril. Les tragédies ne sont, souvent, plus que des occasions d'y aller de notre petit mot d'esprit, à contre courant, parfois goguenard. Un petit moment de frisson "vu à la TV". Un ciment prise rapide qui se craquellera d'ici deux semaines. Sera dissout dans trois. Et vogue l'indécence.

Bien sûr qu'il y a des morts ailleurs. Qui a dit le contraire ? Qui a dit que nous y étions insensibles ? Bien sûr qu'il y en a tous les jours, et en d'autres proportions. Mais depuis quand cela justifie-t-il quoi que ce soit ? Depuis quand un mort cesse-t-il d'être un mort juste parce qu'il y en a deux autres un peu plus loin ? Peut-on, du reste, blâmer un peuple de réagir avec plus d'émotion lorsque la mort s'invite dans son salon, alors qu'il n'y a rien de plus "humain" que cela, alors qu'il en va de même pour tout peuple, quel qu'il soit ? Pas d'amalgames, toutefois. Les Musulmans n'ont pas à s'excuser pour ce qui vient d'arriver, c'est vrai. Tout comme je n'ai pas, moi, homme né blanc, comme j'aurais pu naître noir, ou jaune, ou sur une autre planète (si seulement !), à m'excuser pour les croisades, le sexisme, l'esclavage ou la guerre d'Algérie.

Nous ne sommes, chacun, responsables que de ce que nous sommes. Pas "ce que nous faisons semblant d'être" dans la rue, au bureau ou sur les réseaux sociaux, sous les projecteurs valorisants du regard de l'autre, mais ce que nous sommes au fond, pour de vrai, quand personne (si ce n'est un Dieu hypothétique) ne nous regarde. Quand personne ne nous voit frapper, ou cracher, ou briser, ou salir. Et c'est déjà une énorme responsabilité.

Une façon de changer le monde.

A chacun d'entre nous, chaque jour, dans la rue, au bureau ou sur les réseaux sociaux, de faire la différence entre l'homme et la bête, entre l'ange et le monstre. De ne pas se chercher d'excuses, jamais. De ne pas détourner les yeux. De ne pas rabaisser, pour ne pas NOUS rabaisser. De ne pas trahir pour ne pas NOUS trahir. De ne pas faire mal pour ne pas NOUS faire mal. Nous pouvons comprendre, tout, car tout a ses raisons. Mais comprendre ne veut pas dire que nous ne devons pas condamner. Tous. Tout. Sans exception, ni "oui mais", ni la moindre indulgence. Parce qu'au-delà des prétextes, au-delà des beaux discours ronflants, au-delà de ce réflexe intellectuel narcissique qui pousse invariablement les esprits faibles à la contradiction, même lorsqu'elle est intolérable, la réalité est si simple qu'elle en est à pleurer : il y a les hommes, il y a les monstres qui ont un visage d'homme et il y a nous. Qui choisissons, comme nos semblables, à chaque seconde de chaque minute de chaque heure, dans quel camp nous voulons pencher... tout comme ceux qui ont tiré à Paris hier soir ont fait leur choix en leur âme et conscience (si tant est que ces mots puissent s'appliquer à eux). Peut-être, tout au fond, sont-ils des victimes également. Peut-être, tout au fond, reste-t-il en eux une part de l'enfant qu'ils étaient, qui savait s'émerveiller, respecter la vie, jouer au ballon, comme n'importe quel enfant. Peut-être peut-on se poser légitimement la question du "comment ces enfants innocents ont pu en arriver là ?". Mais ils ont fait leur choix. Ils ont choisi leur voie. Ils ont choisi Satan, plutôt que Dieu - mais même Satan se sentirait insulté d'être mis dans le même panier qu'eux, car ils ne sont pas des démons, ils ne sont pas "le Mal". Ils sont le Pire.

Et quant à l'homme, lui...

S'il veut être libre, qu'il respecte la liberté d'autrui. S'il veut être "égal", qu'il cesse de se croire supérieur. S'il veut des "droits", qu'il les mérite, d'abord. Qu'il prouve qu'il en est digne. Qu'il prouve qu'il est vraiment un homme. En accomplissant ses devoirs.

"Manners maketh man".

Ergo :

"A man without manners is not a man".