II) Des univers étonnants et réalistes

Après avoir évoqué lors de la première partie de ce dossier les emprunts d'éléments de contes à des fins ludiques (potions, fleurs grimpantes...), abordons dans cette seconde partie les personnages et environnements dans l'univers de Mario. Par bien des aspects, la série phare de Nintendo dévoile une forte influence des contes occidentaux.

 

 

. Le royaume champignon

Le royaume champignon et sa fête ancestrale dans Super Mario Galaxy

Les environnements tout d'abord. Pour commencer, attardons-nous sur le royaume. En effet, dans le monde de Mario on trouve le royaume Champignon. Véritable constante dans l'univers du plombier puisqu'il est visible aussi bien dans Super Mario Bros 1 et 2 que Super Mario Galaxy ou encore dans des variantes de la série comme Mario et Luigi : Les frères du temps, un Mario RPG sur Nintendo DS. A chaque opus, on en apprend un peu plus. Par exemple, on découvre dans le troisième épisode sur NES que le royaume est découpé en 7 provinces dirigées chacune par un régent. Dans Super Mario Galaxy, on assiste à une fête ancestrale, début de l'aventure, qui se déroule au cœur même du royaume.

A la tête du fameux royaume, une princesse (ce qui est assez étonnant si l'on se réfère à l'Histoire, une originalité de plus donc). Les sujets sont tous des champignons. On retrouve une fois de plus, dans le nom même du royaume et dans la forme de ses occupants, l'élément central qu'est le champignon. Décidément, c'est un univers bien fantasque que propose Miyamoto. Là où certains domaines sont représentés par des fleurs de lys, des abeilles ou des emblèmes resplendissants, le créateur nippon nous invente un royaume ayant pour symbole le champignon et n'ayant à sa tête qu'une princesse un peu naïve.

C'est tout le décalage doucement absurde propre à Miyamoto qui est ici à l'œuvre. Sur bien des éléments, ce royaume est cohérent voire réaliste. Il est divisé en provinces, on y trouve des serviteurs, une éminence royale. Seulement, certains aspects visibles ici et là nous plongent dans un univers surréaliste et improbable. C'est ce mélange constant de ces deux tendances, réalisme historique et onirisme, qui donne à ce royaume sa singularité.

Portrait de Louis XIV, un roi bien réel

Pour ce qui est des contes, nombreux sont ceux dans lesquels on peut trouver une trace d'un quelconque royaume. Que l'on lise les contes de Grimm, de Perrault, d'Andersen ou quelques contes populaires de Russie, de Pologne et j'en passe. On trouvera sans grand problème un royaume avec un château centralisateur dans lequel vit une famille royale entourée de ses serviteurs. Cet élément quasi incontournable des contes devient pour bien des aventures de Mario un élément central que Miyamoto s'amuse à manipuler à sa guise. Tout part et tout revient, ou presque, au royaume Champignon. Comme c'est le cas dans les contes ou dans l'Histoire où la centralisation du pouvoir est associée à la royauté (centralisation accrue lors de la monarchie absolue de Louis XIV). Le « un roi, une loi, une foi », pour le cas des Français a marqué bien des esprits.

Ainsi le royaume Champignon a tout du royaume du monarque absolu (un être incarnant le royaume, un système centralisateur avec un château faisant office de point de convergence...), sauf les inconvénients. On ne voit jamais le relevé des impôts, les levées d'hommes pour la guerre, la souffrance des « classes » inférieures (même si la notion même de classe n'apparaîtra que sous Marx), les conspirations entre bourgeois et nobles...j'en passe et des meilleures. Miyamoto préfère garder de ce système politique une esthétique, il modèle la réalité pour en faire l'incarnation d'un idéal (pas de classes dans ce royaume, pas de souffrance...). Un idéal certes menacé par des incarnations du Mal (Bowser et sa clique) mais jamais d'un mal intérieur (famine, pollution...).

Le château centralisateur

Une vision du château de la reine dans Super Mario 64

Revenons un peu sur la notion de château centralisateur. Le château est irrémédiablement associé au royaume, il est l'édifice le plus important, le poumon du domaine royal. Comme dans la plupart des contes, c'est un château vertueux (s'il est maléfique c'est souvent le fait d'une malédiction ou d'une mauvaise influence). Le royaume Champignon reprend cet élément. C'est la princesse Peach qui dirige le vaste domaine avec le sourire et une blondeur absolue. Attention tout de même, n'allons pas croire qu'il n'existe qu'un château pour tout le royaume...au contraire.

Certains sont maléfiques, comme celui de Bowser (château visible dans le premier opus de la saga Mario), d'autres sont bons mais sont victimes d'une mauvaise influence (les sbires de Bowser). Ces différents châteaux possèdent des représentations singulières s'opposant radicalement. Par exemple, le château de Peach est joyeusement coloré et sent bon la joie de vivre et le calme. Ciel bleu, petits oiseaux. Celui de Bowser ou ceux de ses sbires possèdent une foule de pièges, des coulées de laves, des méchants dans chaque salle ou presque, des labyrinthes. Tout est hostile.

Par ces oppositions radicales, Miyamoto propose de véritables stéréotypes voire des clichés permettant l'illustration du Bien et du Mal dans leur confrontation ancestrale. Ici, le créateur japonais ne cherche pas à éviter un tel schéma, au contraire il l'utilise comme un canevas inévitable. Un canevas également utilisé par bien des contes, structure obligatoire permettant des variations.

III)  Des personnages récurrents

Le fidèle destrier

Le personnage de Yoshi

Toujours dans cette volonté d'emprunter pour mieux détourner ou pour mieux s'inspirer, Miyamoto invente tout un tas de personnages accompagnant Mario dans ses périples. Parmi eux, on retrouve le personnage du fidèle destrier. Un classique du conte populaire. Tout bon chevalier possède son cheval avec lequel il ira terrasser des monstres ou sauver des princesses. De façon plus générale, le cheval est un élément récurent dans les contes. Qu'il soit un cheval racé, pour les princes, ou un cheval lambda comme dans les contes slaves où l'animal n'est pas mis en avant mais perpétue tout de même cette figure d'aide au héros.

Dans l'univers de Mario, on retrouve donc ce fidèle destrier grâce au personnage de Yoshi. Le dinosaure aussi sympathique que vert fait office de monture pour notre plombier favori. Il l'aide réellement en lui permettant d'accomplir certaines actions (avaler des ennemis, cracher des flammes...) mais également en le protégeant (si Mario se fait toucher, il perd Yoshi mais ne rétrécit pas, comme dans Super Mario World par exemple). Seulement, comme il s'agit de Miyamoto, on ne retrouve pas de cheval, racé ou lambda, mais un petit dinosaure, vert avec une langue énorme. Là encore, il s'agit d'un énième détournement absurde permettant autant de rompre la filiation avec le conte que de développer une identité propre au monde de Mario.

L'écuyer, le compagnon

Le personnage de Luigi

Autre personnage récurent dans les contes, celui de l'écuyer. Personnage de second plan par excellence, souvent dans l'ombre et à peine évoqué, il n'en demeure pas moins important puisqu'il accompagne son maître et l'aide comme le fait le fidèle destrier. Les romans de chevalerie en regorgent, il n'y a qu'à lire Les récits de la Table Ronde de Chrétien de Troyes, mais bien des contes également.

Dans le monde de Mario, c'est Luigi qui fait office d'écuyer d'une certaine façon. Il accompagne souvent Mario et l'aide à surmonter les embûches qu'il rencontre. Seulement, et c'est ce qui fait la particularité de Luigi, le brave est au final plus un écuyer encombrant qu'aidant. En effet, le bougre est un trouillard absolu. C'est plus Mario qui défend Luigi que l'inverse, d'où le fabuleux pied de nez qu'est Luigi's Mansion, jeu dans lequel le héros n'est pas Mario mais Luigi (devant sauver son frère moustachu d'ailleurs).

Le héros-chevalier

Dans de nombreux contes, on retrouve la figure du chevalier. Un brave et valeureux combattant prêt à surmonter bien des obstacles pour sauver des vies, une princesse. Mario est un chevalier/héros atypique si l'on se réfère au stéréotype que l'on a du chevalier sauveur. Il n'est pas grand, pas bien joli, il porte la moustache (ce qui va à l'encontre de l'imagerie populaire du bel éphèbe), une salopette et non une tenue de combat et est un peu bedonnant. Bref, on est loin du blond au sourire étincelant popularisé par Disney ou des hommes nobles des romans de chevalerie.

Chevaliers de la Table Ronde

Si l'on devait chercher des liens entre le personnage de Mario et les héros des contes, on en trouverait plus volontiers du côté des contes populaires slaves. Par exemple, dans certains contes russes ou polonais, on rencontre la figure de ce que l'on pourrait appeler l'idiot du village. Mario n'est pas un idiot mais possède quelques caractéristiques communes avec ce personnage méprisé. Il n'a rien pour lui mais grâce à sa ruse, son habileté et sa volonté il arrive clairement à soulever des montagnes. Mario est loin d'être donné gagnant au début mais arrive toujours à ses fins.

La princesse naïve

Le personnage de Peach

Miyamoto, par son personnage de la princesse Peach, est autant dans l'hommage que dans le pastiche. Certes, il propose une princesse bien blonde, accoutrée avec finesse et opulence, belle mais également naïve. Elle se fait enlever à chaque épisode ou presque et est d'une faiblesse incroyable. Blanche-Neige elle aussi est naïve, comme Cendrillon, mais Miyamoto lui ne provoque aucune pitié à l'encontre de Peach malgré sa faiblesse. Au contraire, on rigole en la voyant avec ses grands yeux et son ombrelle se faire enlever. A tel point que la chose est devenue presque un ressort comique, on attend de voir comment Peach va se faire emporter.

En fait, Miyamoto, en plus de faire un pastiche de la jolie princesse, s'inspire clairement des contes-randonnées pour l'élaboration de son récit. Il utilise et réutilise une trame identique ou quasi identique à chaque épisode pour poser et reposer les bases de sa narration. Cet élément récurent rapprochant les aventures de Mario aux contes-randonnées, Miyamoto explore alors d'autres pistes et propose des environnements étonnants, des personnages ahurissants et de grandes aventures. C'est en quelque sorte son canevas de base cet enlèvement, son gimmick attendu et drôle.

IV) Conclusion

Le but de Miyamoto est assez complexe à saisir. Entre détournements et références à des œuvres d'autres domaines artistiques, il va également chercher à illustrer des conflits, des éléments issus de la réalité. Au fond, rien de bien étonnant quand on relit ses interviews. Miyamoto parle souvent d'une volonté d'introduire du réel dans le jeu vidéo. En parlant de réel, on peut retrouver ce que l'on a évoqué précédemment mais également des émotions comme la peur ou la joie. En clair, provoquer des émotions bien réelles par des éléments issus de la réalité ou non. Telle est une des finalités de Miyamoto avec Mario lorsqu'il nous propose un monde aussi onirique que, par bien des aspects, réaliste.

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