Resident Evil, Silent Hill, Hitman... Les jeux vidéo portés au cinéma sont légion. Mais bien (trop) souvent, le bariolage rebute les gamers. Plutôt qu'une énième critique, je vais tenter de comprendre d'où vient cet amour impossible à l'heure où jeux vidéo et cinéma n'ont jamais été aussi incestueux.

 

 

HOLLYWOOD, TÊTE DE PROUE DU BLOCKBUSTER.

Hollywood, terre sainte du blockbuster, s'est logiquement auto-proclamé terre sainte du portage du jeu vidéo à l'écran. Impossible de nier l'aspect mercantile de ces films, toujours des licences fortes, des million-sellers vidéoludiques. Un jeu vidéo porté à l'écran, c'est avant tout une histoire de billets verts. Ça coule peut-être de source, mais dans le cadre d'un jeu vidéo, c'est encore plus flagrant. Si les blockbusters ont toujours une vocation assez transparente face au mercantilisme, il s'agit la plupart du temps d'une volonté impulsive de création démesurée. Entendez par là, qu'au départ il y a (la plupart du temps), un cinéaste (qui a déjà amassé pas mal de pognon) qui décide de réaliser un nouveau film. Prenez 2012 (ce grand film...), qui, avant même son lancement avait pour vocation de faire un raz-de-marée d'entrées, n'en reste pas moins un film original (dans le sens où il découle de la volonté de Roland Emmerich de travailler sur un nouveau film) et ce même si, c'est certain, les producteurs qui cassent leur tirelire ont leur mot à dire.

Là où les licences vidéoludiques portées à l'écran divergent, c'est qu'il s'agit à la base d'une volonté des éditeurs, d'une maison de production proche de la maison créatrice du jeu ou d'un producteur tiers de porter une licence forte à l'écran. Plus encore que les blockbusters lambda, les portages de jeux vidéo à l'écran ont une inclination mercantile initiale et totalement assumée dans la mesure où le public apprend qui sera le réalisateur plusieurs mois après l'annonce du portage.

HOLLYWOOD, TÊTE DE MULE DU CINÉMA.

Après avoir touché à l'aspect vénal des jeux vidéo portés sur les toiles, il nous faut nous intéresser à la main-mise de Hollywood sur ces films. Car les relations rigides entre le film et sa recette affectent forcément sa qualité artistique. Le problème réside essentiellement dans la très codifiée griffe hollywoodienne sur ces films de série B. Car les codes, ou règles (appelez ça comme vous voulez) font transparaître une rigidité et un manque de souplesse artistique qui immobilisent l'innovation et font de tous ces portages des copies carbones inscrites dans des univers différents. Plutôt que d'expérimenter les codes du jeu vidéo au cinéma, on applique les codes du cinéma aux jeux vidéo. Le portage est alors forcément faussé, car les codes des deux mondes sont bien trop distincts pour qu'on les retrouvent l'un dans l'autre. Le jeu vidéo parvient, lui, à reprendre les codes du cinéma dans des créations originales, que ce soit dans des Heavy Rain, des MGS ou des Resident Evil tout en restant fidèle à une inclination ludique (bon je ne vais pas relancer le sempiternel débat sur HR). Des licences dans lesquelles la narration est forte. Mais le cinéma hollywoodien (qui constitue jusqu'alors une main mise sur tous ces portages) est bien trop ancré dans ses codes éternels qui soumettent le potentiel de ces licences à des mécanismes vus et revus, éternellement clichés et d'une fastidieuse niaiserie...

Et le cœur du problème est là me semble t-il. Les jeux-vidéos ont une grammaire spécifique, trop indigeste pour les codes hollywoodiens. Beaucoup de jeux développent une certaine intimité avec le personnage avec qui l'on progresse de niveau en niveau. Prenons un Prince of Persia (bientôt sur nos écrans) : Sands of Times nous faisait entrer dans l'intimité du Prince et il y a une dimension atmosphérique liée à la progression solitaire dans ce palais des Mille et une Nuits déshumanisé, à la recherche d'une princesse volatile. Le film ne peut reprendre ce concept, cette dimension atmosphérique, cette ambiance. Hollywood se doit d'implémenter ces films de règles rigoureuses pour ne pas prendre de risques, car le grand public, il faut bien le dire, semble hermétique à l'innovation et préfère le revu. Pour éviter tout risque budgétaire, les grosses productions se dévouent à faire des films incroyablement académiques et fades. Seuls quelques-uns parviennent quelque peu à se défaire de ces carcans (et encore) et à recréer un semblant d'ambiance comme Silent Hill. Le cinéma à gros budget se voit forcé de faire intervenir une pluralité de personnages, une histoire sentimentale, et une progression anti-répétitive. La question de la progression est certes logique. La plupart des jeux vidéo reposent sur des mécanismes répétitifs où l'on change des éléments, on rehausse la difficulté, etc. Le cinéma ne peut pas se permettre de recréer un schéma répétitif, l'action doit varier. Autant de facteurs qui discriminent les mécanismes vidéoludiques des codes hollywoodiens, rendant impossible des portages qui seraient à la fois fidèles pour ne pas porter préjudice à la licence originale (qui a dit Resident Evil ?) et innovant (pour que ça ne sente pas trop le réchauffé). On en est encore très loin.

LE JEU VIDÉO AU SERVICE DU BLOCKBUSTER.

Néanmoins, il faut un peu contraster le propos. Car si l'on reproche souvent au cinéma de faire forcément de ces licences des nanars cosmiques, nous devons nous poser la question de ce que le jeu vidéo, à la base, permet dans son propos d'innovant. Et c'est là également que se situe le problème. Car même si maints jeux portés à l'écran sont des chefs d'œuvre, leur propos n'en reste pas moins très récréatif, très "pan pan boum boum" et peu profond. Avec des ingrédients assez fades, on ne va pas faire un chef d'œuvre, et c'est toujours le blockbuster survitaminé aux effets spéciaux qui s'impose comme la meilleure option de portage. Donc, même si le cinéma se borne à faire des navets de nos jeux préférés, il n'est pas le seul responsable de l'uniformité de toutes ces licences portées. Le jeu vidéo, dans son manque de maturité encore trop présent, conduit inéluctablement à un manque de maturité à l'écran. Et je ne parle pas de maturité dans les sujets traités, mais dans la façon dont ils sont traités. Il me semble inconcevable de faire de Prince of Persia un film d'auteur, ses propos étant bien trop ancrés dans un univers guerrier où il s'agit avant tout de tuer des monstres qui pullulent dans un palais. Ainsi, le jeu vidéo contribue lui-même au manque d'inventivité de ses portages à l'écran, même s'il faut bien avouer que le cinéma ne s'intéresse peut-être qu'aux jeux les plus aptes à devenirs des gros films d'actions navetisés.

 

Entre le jeu vidéo et le cinéma, il y a une multitude de liens, de passerelles. Deux médias de l'image, de la narration. Cependant, on peut se demander si trop vouloir mêler les deux mondes n'est pas condamner leur identité propre. Et, si simplement, les jeux se contentaient de n'être que des jeux, car l'histoire qu'ils nous racontent, l'univers dans lequel ils nous embarquent, n'ont guère besoin de pop corn pour être appréciés... Mais là, c'est encore une autre question.

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