Il y a de cela quelques temps, j'ai partagé un lien venant de ce formidable site parodique qu'est Le Gorafi.

Israël et Palestine décideront du vainqueur de leur conflit a Call of Duty Black Ops 2.

Le ton toujours délicieusement sérieux, les références subtiles et crédibles (Pascal Boniface qui réfléchit sur les maps de CoD, c'est assez priceless.) et la réflexion en filigrane sur ce conflit interminable m'ont malgré tout conduit à une interrogation entre vidéoludisme et Histoire.

Rien de bien folichon, c'est pour cela que ça sa a place ici.

Le fait de proposer de résoudre un conflit par un jeu vidéo m'a rappelé combien tout long de notre histoire la guerre pouvait être une chose codifiée pouvant battre en brêche (égratigné un peu du moins) la distinction qu'il y a entre la guerre et le jeu. Si les deux se basent sur la notion de conflit, on a tendance à estimer que la guerre conduit à risquer sa vie alors que le jeu repose sur la préservation des participants par le biais d'un code rigoureux et accepté mutuellement.

Sauf que la chose n'est pas aussi simple voire simpliste (ou voire même simpliste. L'interessé réagira comme il se doit à ce truisme).

Saviez-vous par exemple que le pancrace, sport olympique de nos amis grecs antiques, consiste à se mettre sur la tronche jusqu'au K.O avec pour seule limitation de ne pas crever les yeux de son adversaire? Ou du pugilat, boxe qui commande de ne porter les coups qu'à la tête.
Sport/jeux violents donc, que l'on sera bien inspiré de ne pas juger à l'aune des époques reculés auxquels ils appartiennent. Ainsi, que ce soit la soule ou le calcio florentin, tout deux sont des sports qui consistent à se mettre sur la figure avec le vague pretexte d'une balle et d'un en-but.
Sachez d'ailleurs que c'est aux alentours du début du XXème siècle que les terrains de rugby ont cessé de laisser des morts entre la ligne des 22 et des 40...

Ils s'amusent, faites pas gaffe...

 Le jeu est parfois plus qu'un jeu donc, et les vertus cathartiques que l'on lui prête ont parfois du mal à se mettre en place, même si la pratique et la durée du sport à tendance a assagir les participants. (je n'ai pas l'exemple d'un sport ancien qui va vers plus de violence au fil des décennies).

Un parralèlle est alors possible avec l'activité martiale. Si la guerre a toujours consisté à conquérir ou a défendre en impliquant des violences entre les bélligérants et les tiers à ces derniers, on note suivant les époques et les lieux, des envies, des volontés de codifier la guerre pour en limiter les effets néfastes ou pour défendre certaines valeurs, les rapprochants légèrements du jeu ou du sport

Ainsi les combats d'hoplites de la Grèce Antique étaient très codifé. Outre les rituels religieux influençant les comportements (plusieurs fois Sparte et Athènes ont loupés des occasions. Sparte n'était pas à Marathon pour cause de fête religieuse par exemple), plusieurs lois empêchent de porter atteinte aux ambassadeurs, ou de tuer gratuitement les civils pour faire régner la terreur.

Le combat entre phalanges est lui aussi réglé. Les hoplites étant des propriétaires terriens pouvant se payer l'équipement, ils ont des obligations liées à la terre, car elle ne va pas se moissonner toute seule.

Si bataille il y a, on va donc déterminer de la date et du lieu de la rencontre, rappelant dejà l'organisation d'un match (on retombe un peu sur le délire du Gorafi, non?). Puis sachant que les deux armées respectent la formation hoplitique (combat entre cités sur la péninsule grecque, qui n'était pas, comme on pourrait le croire, unifiée sous l'égide d'Athènes. La Ligue de Délos est plus hégémonie qu'une alliance)  ils se retrouveront face a face avec le même équipement, la même structure mais un "blason" différent. Nouvelle similitude avec un sport ou un jeu.

Les deux armées vont donc se faire face avec la même formation.
J'explique rapidement: un hoplite est armé d'un xiphos (épée courte), d'une lance et d'un bouclier rond de près d'un mètre de diamètre. Ce bouclier sert à protéger son coté gauche tandis que l'on se serre avec son voisin pour avoir le coté droit de couvert.

C'est très efficace mais ça a une conséquence curieuse: à force de pousser vers l'avant au contact, l'hoplite a peur de voir son coté droit découvert et tire dans cette direction, il part donc à droite pour suivre son voisin. Résultat, toute la formation a tendance partir vers la droite et l'avant... Sachant que celui en face fait exactement pareil, les formations tournent. Alors bien sûr certaines modifications existent pour empecher cela, comme mettre ses troupes d'élite à droite. Moins trouillards, ils obligent la formation à resté cohérente.

Mais après le premier contact que se passe-t-il? Un bordel sans nom? La mêlée sanglante? Visiblement non, puisque la formation a le temps de tourner sur elle-même. De plus, les massacres ne semblent pas être l'apanage de nos chers hellènes. En effet, malgré l'absence de sources, on ne noterait pas de vide démographique sur la durée, ce qui serait problématique, au contraire des Guerres du Peloponnèse sur lesquelles nous reviendrons.

Les affrontements sont donc codifiés religieusement et militairement, ce qui semble avoir pour effet non pas d'empêcher les morts bien sûr, mais au moins d'éviter de tomber dans la sauvagerie irréprésible et le massacre, surtout celui de civils.
C'est la domination d'Athéna sur Arès en quelque sorte...

Plus tard, on notera une évolution assez semblable avec la chevalerie du Moyen-Age. Obligé par le système féodal et le code d'honneur des chevaliers de protéger les petites gens, le chevalier se doit de chercher le combat face à un semblable dans un duel. Sur le champ de bataille un chevalier vaincu peut demander grâce qui lui sera souvent accordée. Un chevalier vivant et prisonnier paiera une rançon qui assure les subsides du chevalier vainqueur, un chevalier mort ne sert à rien. Le clergé aussi s'assurera de limiter les combats en imposant plusieurs interdictions de dates et limitant ainsi les occasions de se battre et donc par la même le chaos de ce qu'a pu être les "invasions barbares" tandis que l'Empire Romain était sur le déclin.

Le combat réglementé et non sportif continuera dans les aspects civils de la société féodale avec le duel judiciaire. Dans els cours de justice, plutôt que d'essayer de déterminer une impossible vérité où c'est souvent la parole de l'un contre celle de l'autre, on préfèrera faire appel à des champions professionnels et rémunérés pour se battre pour une cause. Il arrive aussi que l'on se propose spontanément pour défendre l'honneur, d'une dame le plus souvent.

Le duel judiciaire durera jusqu'au rêgne de Saint Louis et revenant sporadiquement sous Philippe le Bel (le dernier duel judiciaire attesté sera en 1386).

Miniature du XVème siècle, Paris, Bibliothèque nationale de France

Le combat mortel codifié est donc une chose historiquement établie. Pourtant, on note vite la tentation de passer outre ces courtoisies. En effet, quand votre vie est en jeu, avez-vous envie de faire l'impasse sur quelque traitrise qui vous assurerai, plus que la victoire, la sauvegarde de votre vie? N'oubliez pas que jusqu'a preuve du contraire et quoi qu'en dise les monothéistes vous n'en avez qu'une seule.

Au final, aucune de ces valeurs militaires nobles n'a perduré. Ainsi au cours des Guerres du Peloponnèse qui opposaient Athènes à Sparte, les raids sur les civils furent légions, de même que l'abandon progressif de la phalange, lourde au profit de troupes plus légères et plus maniables. Fini le temps où l'on pouvait organiser une bataille, la circonscrire à un lieu et en respecter les conséquences par un traité dans la victoire ou la défaite.

C'est Phillippe II de Macédoine, avec une phalange macédonienne plus souple et flanquée intelligemment d'auxilliaires et d'une cavalerie, qui assurera la conquête de la péninsule égéenne avec la bataille de Chéronée en 338 av JC.

La fin de la chevalerie elle, éclatera avec la bataille d'Azincourt, où les anglais piègeront la cavalerie lourde française sur un terrain boueux. Les longbows, que les anglais ont appris à utiliser après les Guerres d'indépendance d'Ecosse et issus des archers gallois, feront des ravages en achevant une cavalerie clouée sur place.

Il est plus question de vaincre avec honneur  mais de vaincre pour assurer sa survie et la victoire.

Les conflits modernes continueront les ravages. Inconscience de l'état-major pendant la Première Mondiale qui enterrera le conflit dans les tranchées pensant au contraire le précipiter à sa fin, massacres de masses organisé par l'Allemagne Nazie, destruction volontaire de l'environnement avec l'agent orange durant la guerre de Viet-nam et enfin population civile instrumentalisée pour des buts militaires avec Hiroshima et Nagasaki.

Si les massacres aveugles ont toujours été le propre de l'Homme, et continuent même en des temps "civilisés"(Oradour-sur-Glanes par exemple), les derniers conflits perdent de vue une certaine éthique pour mener la guerre.
Si la convention de Genève existe, même si on limite les mines anti-personnels et autres armes NBC (Nucléaire, Bactériologique, Chimique), on en revient toujours a s'en servir. Regarder le conflit Iran-Irak ou la Syrie aujourd'hui. Une nouvelle fois, quand il s'agit de vaincre tout est permis. Quitte à utiliser la torture au passage, les consciences des quelques exécutants de cette basse besogne sauront s'en accomoder, de même que les "questionnés" si ils survivent.

Alors quand je relis l'article du Gorafi, je souris bien sûr, de ce décalage entre la réalité et le rêve de finir ce conflit interminable par un commun accord sur un jeu. Mais que va devenir la guerre de demain à laune des nouvelles technologies qui le sont de moins en moins?

Aujourd'hui la doctrine du conflit asymétrique semble être l'équation impossible à résoudre. Une armée régulière fait face à une troupe disparate, mal équipée mais maitrisant parfaitement la guérilla et qui se mêle à la population civile.

Si l'ONU essaye de donner des mandats pour faire la guerre, et donc la civiliser en la justifiant par une impérieuse nécessitée, les Etats-Unis sont passé outre pour la Seconde Guerre d'Irak sans grande diffuclté. 

La structure de ces conflits obligent aussi les troupes régulières a improviser sur un terrain difficile sans ennemi clairement établi. Ce dernier se dissimulant, on est tenter de soupçonner tout le monde dont les civils et de se montrer coercitifs voire cruel par crainte pour sa vie de soldat. 

Les drônes aujourd'hui essayent de recréer une éthique dans le conflit mais une éthique curieuse, que l'on peut qualifier d'unilatérale.
Le drone met à l'abri SES soldats, SES troupes, il empêche au pays en disposant de mettre l'opinion publique face à l'horreur de la guerre en tuant à très grande distance et sans risque pour le soldat qui appuie sur le bouton et qui rentrera chez lui le soir.
Alors si les États-Unis sont pour l'instant seuls dans ces batailles de drônes, qu'en sera-t-il demain?

Que se passera-t-il quand la Chine, la Russie, l'UE (lol), le Bresil, le Japon ou l'Inde auront accès à cette technologie? Quand aucun pays ne voudra impliquer des troupes qui refuseront de mourir stupidement?

On attaquera les populations civiles de l'autre? Auquel cas il faudra contrer les drones avec des anti-drones (les drones de combat aérien sont a l'étude au fait). Il faudra aussi protéger les gens qui pilotent ces drones, alors on voudra frapper les bases abritant les postes de pilotage, et pour répondre à  cela, on installera un bouclier anti-missiles comme décrit par le projet Star Wars de Reagan... Mais tout ceci nécessite de l'électronique et des réseaux qui peuvent se pirater, il faudra les défendre et attaquer ceux de l'adversaire. Les États-Unis ont déjà réussi avec Israël a détruire des centrifugeuses a uranium en Iran par le biais d'un PC piraté...

Irons-nous au final vers ce futur? Fait de robots pilotés de plus en plus autonomes, fait de batailles de virus electronique et de cryptographie? Eviterons-nous de toucher aux civils pour simplement abattre les infrastructures énergétiques et les réseaux de l'ennemi?

Et si la virtualisation allait devenir la nouvelle règle, la nouvelle éthique de la guerre future?
"─ Je ne tuerais pas volontairement un civil, mais tu vas retourner à l'âge de pierre car pas un avion, pas un seul mail ne pourra transiter..."

Jouer au lieu de faire la guerre? Non sans doute... Mais les guerres de demain faites par des anciens joueurs, par des habitués du pilotage virtuel et des codeurs qui créeront des virus et des pare-feux militaires entre une page 4chan et un achat Amazon, ça, c'est peut-être pas impossible...
Plus crédible peut-être que les batailles de drônes, il est possible que nous allions vers une nouvelle guerre froide, celle des réseaux, où dans le plus grand secret, chaque pays attaquera son voisin pour mettre à mal ses défenses, pour grapiller des informations, menacer Internet. A l'heure où Internet possède une résilience très forte (la résilience dans le cadre militaire est la capacité à survivre et à fonctionner malgré les destructions), il semble peu probable donc de "détruire l'Internet de l'autre", mais chacun en voulant protéger son réseau entretiendra un nouvel Equilibre de la Terreur, où il ne sera plus question de destruction mutuelle de populations mais de destruction mutuelle de réseaux.

Oh, je force le trait sans nul doute... La guerre est loin de devenir un jeu video. Mais il y a cent ans de cela, j'aurai dit a Joffres que dans le futur il aurait pu tuer Guillaume II dans son bain avec un aeroplane piloté depuis Paris, je ne pense pas qu'il m'aurait cru...

Et puis au passage, et pour conclure, à la base de l'enseignement militaire et ce depuis l'Antiquité il y a le jeu.
Ne l'oublions pas.