Presque 5 ans se sont écoulés depuis la sortie européenne de Bayonetta sur Xbox 360 et PS3. Cinq années que la sorcière a passées entre enfer, paradis et purgatoire. De l’excellent accueil critique aux ventes décevantes, de l’oubli à la résurrection, du foutre des fans à leurs larmes quand le 13 septembre 2012, Iwata a lancé le premier trailer d’un second volet, directly to U. Une lune, des balles et un talon qui claque le sol, pistolet bleu vissé. Moins d’une minute pour des jours de glose stérile et des menaces d’écoliers. Bayonetta filait à l’anglaise botter des culs pour la firme de Reggie, autre expert en la matière. Un art de l’esquive, du contre-pied et du doigt d’honneur qui siéent parfaitement à la belle.

Si Bayonetta n’est pas le premier jeu de PlatinumGames, c’est sans doute celui qui symbolise le mieux le studio d’Osaka, sa philosophie et son savoir-faire. Prendre un genre et pousser tous les curseurs à fond, sans limite et au-delà, entre grotesque, style et toc. Le fond est dans la forme et Kamiya a presque toujours fonctionné ainsi, depuis Devil May Cry. Bayonetta est de la trempe des Dante, Joe ou Wonder Blue, grandes gueules lancées dans des trips où ils font l’équilibre entre classe et mauvais goût, WTF et références jeux vidéo.

Tout PlatinumGames et tout Kamiya sont dans la scène d’ouverture du cimetière, comme un Devil May Cry rejoué, les atours gothiques dynamités par l’exubérance et la fantaisie. Du moment où Enzo "Pesci" urine sur la tombe de Kamiya jusqu’au ballet de flingues et de danses, j’ai retrouvé dans ce portage WiiU, payant ou offert selon que vous voyiez le verre à moitié vide ou à moitié plein, tout ce pourquoi j’avais aimé Bayonetta : pompier, poseur et polisson, un jeu vidéo qui parle aux joueurs de jeux vidéo. C’est devenu si rare quand j’y pense…

Système B

On aura beau s’intéresser vaguement à ces histoires d’oeil, aux sorcières de l’Umbra et aux sages de Lumen, aux motivations du fantasque et ridicule Luka, aux origines de Rodin ou aux relations entre Bayonetta et la jeune Cereza, Bayonetta est avant tout un jeu à système. Il est né d’une frustration chez Kamiya et ses équipes, celle de ne pouvoir donner suite à leur Devil May Cry. Bayonetta sonne comme une réponse, 8 ans plus tard, à la vague de jeux d’action 3D que Dante a engendrée. Une manière de boucler la boucle et de remettre les pendules à l’heure.

Bayonetta est un jeu accessible et d’une profondeur inouïe. Poings, pieds, esquive et lock. On pourrait s’arrêter là et le joueur aurait toutes les cartes en mains pour s’amuser et expérimenter des heures. Détaillons quand même. Les armes (flingues, katana, fouet, carabine…) s’équipent à deux endroits : haut du corps (poings) et bas du corps (pieds). Le joueur peut créer 2 sets poings/pieds (A et B) entre lesquels il alterne par simple pression de la gâchette gauche. Chaque arme et chaque combinaison d’armes offrent des variations multiples  selon les combos que le joueur réalise en alternant les touches poing et pied ou/et en imprimant une direction sur le stick gauche.

Le c½ur du système c’est le Witch Time, ce ralentissement du temps que le joueur déclenche, via la gâchette droite, quand il esquive un coup adverse dans la bonne frame. Le Witch Time ouvre, durant quelques secondes, une fenêtre au joueur pour placer ses combos sur des ennemis ralentis, transformés en simples plots.

Ce système de dodge fait de Bayonetta un jeu passif agressif où le joueur va constamment rechercher l’attaque ennemie, la deviner ou l’anticiper, pour s’ouvrir une fenêtre de combo via l’esquive. Contrairement aux duels de l’Ouest, le vainqueur sera rarement celui qui tire le premier.

Bien sûr, à haut niveau, Bayonetta peut se jouer comme un Beat agressif grâce au contre offert par la lune de Malaa Kahaa qui se déclenche en poussant le stick vers l’ennemi au moment où il frappe.

La force du système Bayonetta c’est sa souplesse, sa possibilité de modifier ses attaques selon l’évolution de l’affrontement. L’esquive, les cancels, les combos mis en mémoire, les contre esquives, les prolongements de combos…permettent au joueur de ne jamais être bloqué dans une action ou bien esclave du système mis en place.

Un système qui rend Bayonetta aussi accessible pour les joueurs d’un run que profond pour les plus acharnés. Les mécaniques de base (Witch Time, incantations, attaques sadiques, châtiments, combos classiques) sont suffisamment simples et claires pour impressionner et passionner le nouveau joueur et suffisamment riches pour offrir de multiples combinaisons et subtilités au joueur qui voudrait pousser loin l’exploration du système.

Run, run, run

Comme tous les BTA de Kamiya (qu’on pense à Viewtiful Joe ou dernièrement à The Wonderful 101), Bayonetta obéit à une construction précise, en missions et versets, bâtie non pas pour un run mais pour plusieurs.

En normal, la difficulté est présente d’entrée, c’est-à-dire qu’elle se place plus haut que ce que votre courbe de progression peut atteindre. Kamiya n’est pas un adepte des didacticiels et du gameplay progressif. Le joueur est jeté dans l’arène et chaque nouvel ennemi ou nouveau gameplay s’appréhendent façon Die & Retry. En premier run, Bayonetta vous punche le visage avec ses QTE punitifs, ses ennemis et boss aux patterns difficilement lisibles, ses séquences de shoot et de poursuites avares en conseils. Bien sûr, ça n’empêche pas le joueur d’avancer jusqu’à la fin de l’histoire mais ça le met minable, avec pour récompenses des statues de pierre plein le sac.

Bayonetta est conçu de telle façon qu’en premier run, il est impossible de vider la boutique où se vendent armes, techniques, objets et accessoires. Il faudra jouer et rejouer, écumer les modes Difficile et Apothéose, qui se chargeront d’ailleurs de changer les règles et de redistribuer les cartes.

Tout le sel de Bayonetta, l’instant jouissif, tient dans ce moment où le joueur se sent maître du système de jeu, où sa courbe de progression le met à niveau égal avec la difficulté du jeu. Bayonetta offre alors un challenge et des heures de jeu pour joueurs persévérants de tous niveaux : portails Alfheims avec combats sous contraintes, boss, personnages et armes cachés, niveaux bonus, recherche du Platine ou du Pur Platine, handicap, maîtrise des accessoires…

Le même en pareil ?

Lancer ce portage WiiU permet de se confronter au passage du temps. Cinq ans ont passé sur le visage de la belle et on comprend mieux que pour le second épisode elle ait voulu se refaire une beauté, nouvelle coupe de cheveux, tenue à la mode, accessoires pour briller et qu’elle ait décidé d’ouvrir la fenêtre pour laisser entrer la lumière et les couleurs.

Bayonetta premier du nom, qui n’était déjà pas un canon inattaquable à sa sortie, a vieilli avec ses textures un peu faiblardes, son omniprésence du gris générationnel PS360 et ses cinématiques figées. Rien qui n’entrave le plaisir de jeu bien sûr, mais qui donne surtout très envie de voir tourner Bayonetta 2 et vite.

Cette version WiiU se calque sur la superior version 360 (oublions la version PS3) et se montre bon élève, un rien scolaire. En comparaison directe avec la version 360, l’image de Bayonetta U apparait moins contrastée, un peu plus « claire », pour un rendu visuel globalement assez proche. Très bons points, le tearing qui sabrait les versions précédentes a complètement disparu et les voix japonaises sont de la partie. Côté framerate, la version U chute aux mêmes endroits que la version 360, parfois un peu plus (le chapitre Ciel éclaté par exemple), parfois un peu moins (le chapitre Vertu cardinale de Justice).

Après 5 ans d’attente, on aurait pu espérer une version définitive qui corrigerait tous les défauts techniques du jeu, il faudra se contenter d’un portage fidèle, sans zèle ni fioritures. On ne conseillera donc pas au fan de Bayonetta de troquer sa version 360 pour cette version WiiU même si on imagine qu’il a déjà précommandé l’édition collector européenne, aujourd’hui épuisée, qui réunit les deux épisodes.

La nouveauté de cette mouture WiiU c’est bien sûr les 4 costumes Nintendo qui sont là pour assurer le fan service auprès des amoureux de la marque. Les costumes de Peach, Daisy et Samus sont avant tout cosmétiques et ne changent en rien le gameplay. Mais voir Bayonetta en jupe courte, peluche de Mario ou de Luigi à la ceinture, balancer des poings de Bowser en incantations reste un spectacle réjouissant et décalé, bien dans l’esprit du jeu. Le costume de Link offre une variante appréciable pour les joueurs qui auraient déjà fini le jeu sur PS3 ou 360 puisque le bouclier du héros d’Hyrule offre un équivalent de la Lune de Mahaa Kalaa et permet donc de placer des contres sans dépenser les 200 000 halos de l’accessoire chez Rodin.

Le choix des armes

Cette version WiiU se distingue également par les différents types de contrôles qu’elle propose au joueur.

Gamepad ou Pro Controller, les deux manettes Nintendo offrent d’excellentes sensations. La présence de boutons plutôt que de gâchettes analogiques sur les tranches engendre moins de fatigue pour l’index lors d’esquives répétées (mon index se souvient encore de certains combats avec le pad 360). Les boutons plats et enfoncés facilitent également certains combos aériens, notamment les reprises avec le coup de pied aérien. Par contre, le placement du stick droit au-dessus des boutons et aligné avec le gauche m’a paru moins naturel, d’autant qu’avec le Pro Controller et son espace assez court entre les boutons et le stick, il n’est pas rare, lors d’un combo poing / pied, que le pouce vienne effleurer le coin du stick.

Si le joueur le souhaite, les fonctions gyroscopiques du Gamepad pourront être utilisées lors des phases à la Hang On et à la Space Harrier (les hommages rendus à SEGA pullulent tout au long de Bayonetta). Si le contrôle simpliste de la moto sied parfaitement au gyroscope ajoutant un peu de pêche et de fun à une phase un peu molle d’origine, le contrôle du missile est quant à lui un calvaire, peu précis et vite fatiguant.

Le Off TV est évidemment de la partie, mais la nouveauté des ces deux Bayonetta WiiU, c’est la présence d’un mode de contrôle tactile. Plutôt bien pensé, avec des combos automatisés qui permettent au joueur de se concentrer sur l’esquive, pas désagréable à essayer quelques minutes, malgré une gestion de la caméra pas évidente, on se demande juste à qui peut bien s’adresser un tel mode dans un jeu aussi axé sur les combos. Tout sauf indispensable, en rien dérangeant, on rangera poliment ce mode au rang des curiosités sympathiques…

Dancing a go go baby !

Même si on aurait pu espérer un peu plus d’un portage qui débarque 5 ans plus tard, on ne peut qu’envier et jalouser celles et ceux qui vont, pour la première fois et dans une version fidèle à l’original 360, poser leurs mains sur Bayonetta, son système de jeu aussi souple que précis et son univers, véritable hommage à la culture jeu vidéo. On leur souhaite de succomber mais on les prévient : Bayonetta est un jeu tellement riche, motivant et généreux qu’il est possible que, s’y lançant, ils ne jouent pas à Bayonetta 2 avant l’année 2015 !

Sopor