Un regard ému vers le passé. Voilà la raison d’être de la console virtuelle de Nintendo, sorte de machine à remonter le temps, qui permet à moindre frais de (re)découvrir tout un pan de l’histoire pixélisée du constructeur japonais. Et ça, la firme de Kyoto l’a bien compris, en usant et abusant, un peu, beaucoup, à la folie, de ce syndrome « madeleine de Proust ». Dernier exemple en date : alors que beaucoup de joueurs espéraient mordre à pleines dents dans la ludothèque Gamecube avec l’arrivée de la WiiU, c’est finalement à la Game Boy Advance, portable violacée sortie en 2001, que le constructeur leur propose de goûter. La déception digérée, penchons-nous de plus près sur l’un des premiers titres disponibles, Kirby and the Amazing Mirror. Son charme désuet, son gameplay éternel.

Le rose qui ose.

Depuis ses premiers pas monochromes en 1992 sur Game Boy, la boule rose qui ose n’a que rarement déçu les joueurs. Kirby and the Amazing Mirror ne déroge pas à cette règle. Seconde entrée de la licence à voir le jour sur GBA, cet épisode reprend tout ce qui fait le charme de la série, à commencer par un scénario plein de larmes, de suspens et d’injustices. Extrait : la vie semble suivre son cours dans ce bon vieux Pays Miroir. L’insécurité y est quasi-nulle, le taux de chômage proche de zéro, et la croissance florissante. Un vrai pays des rêves que rien ne semble pouvoir perturber. Et pourtant… Sans tarder, le mal arrive sous les traits de Dark Meta Knight, double maléfique de Meta Knight, qui d’un coup d’épée, tranche sans raison dans le gras de notre cher Kirby. Touché, l’ami câlin se voit détaillé en quatre exemplaires, des gloutons tout comme lui, mais de couleurs différentes. L’union faisant plus que jamais la force, cette joyeuse équipe se lance alors sans réfléchir à la poursuite du vilain Dark Meta Knight, avec un seul refrain en tête : donner une chance à la paix.

Difficile de se remettre d’un tel mélodrame en trois actes. Il faut pourtant s’y résoudre et prendre le pad en mains pour d’abord constater que cet épisode introduit un nouvel élément dans la série : une certaine liberté de mouvements. Il ne s’agit plus d’enfiler les niveaux comme des perles et de boucler l’aventure en un tour de cadrant. Vous devez cette fois explorer un vaste labyrinthe, découpé en huit mondes et quelques zones cachées. Des environnements que vous pouvez aborder sans ordre aucun, ce qui ne nous le cachons pas, engendre pas mal d’allers-retours, l’un des points faibles du titre. S’il est parfois rageant de devoir rebrousser chemin, il est en revanche plaisant de se frotter enfin à une difficulté -légèrement- rehaussée, les pièges disséminés dans les niveaux étant assez nombreux, et les boss parfois tordus. Histoire de se faciliter la vie, notre ultra-moderne rositude peut utiliser un téléphone portable pour appeler ses trois camarades coloriés à la rescousse, ces derniers déboulant ainsi à ses côtés pour terrasser le mal. Toujours le cellulaire au coin de l’oreille, en prenant soin de composer le 118 218, Kirby peut également s’échapper d’un niveau qu’il aurait au hasard, déjà visité plus que de raison. Et dire que certains pestent encore contre l’inutilité des portables...

Like a Rolling Stone.

Une fois ces quelques nouveautés évoquées, Kirby and the Amazing Mirror donne dans le classique. Attention : dans le très grand classique. Kirby gobe et gloutonne tout ce qui se présente à lui, soit pour ingérer de l’air et voler, mais surtout pour avaler les ennemis et leur pouvoir et ainsi, densifier le gameplay. Après digestion, vous pourrez tour à tour bander… votre arc, cracher du feu, geler des éléments du décor, devenir tel Mick Jagger une pierre qui roule, ou bien un chef de chantier, le petit marteau accroché à la ceinture. Des dizaines de transformations sont disponibles, allant des plus classiques aux plus loufoques. Et c’est bien là que réside le charme unique de Kirby dans l’univers très codifié du jeu de plate-forme : le plaisir coupable de devenir un autre, avec ce sentiment permanent d’invincibilité, de toute puissance.

Développé à trois mains par Nintendo, HAL Laboratory et Flagship (crédité sur Onimusha, Resident Evil : Code Veronica ou The Legend of Zelda : Four Swords), Kirby and the Amazing Mirror rend une copie quasi-parfaite sur le plan technique : des couleurs chatoyantes, une fluidité exemplaire, et des musiques douillettes, tout ceci au service d’un gameplay varié ET participatif, c'est-à-dire jouable à quatre. Du moins à l’époque.

Service minimum.

Les premiers reproches tombent comme à Gravelotte, quand on évoque le « portage » de Kirby and the Amazing Mirror sur la console virtuelle de la WiiU. Le jeu conserve évidemment tous ses atouts mais perd dans la manoeuvre, son mode multi-joueurs, qui en faisait un épisode unique à la série. Vieillir de 10 ans et régresser : l’équation est d’autant plus incompréhensible que Nintendo a pris soin de remplir son catalogue virtuel de titres GBA nés pour être partagés. Ce n’est hélas pas (plus) le cas. Autre grief : la négation du support. Console portable à l’embonpoint assumé, le gamepad n’offre aucune spécificité en termes de gameplay (oubliez le tactile), si ce n’est le mode off-tv et un confort certain de prise en mains (avec la possibilité de jouer au stick ou à la croix directionnelle). Quand Sega réédite avec succès ses classiques sur 3DS en faisant le choix de la stéréoscopie, Nintendo se contente du minimum avec ses propres licences, sur sa propre machine. Un comble. En résumé, un portage bête et méchant, très méchant d’ailleurs puisque de vilaines bandes noires verticales viennent manger une partie de l’écran, et que le filtre graphique proposé dans les options a tout l’air d’être un trompe-l’oeil. Alors certes, les mini-jeux sont toujours là (au nombre de trois, assez fun d’ailleurs), la présence des notices GBA de l’époque, numérisées pour l’occasion, apporte ce petit souffle de nostalgie, quand la possibilité de sauvegarder n’importe où, n’importe quand, installe le titre dans cette modernité qui l’accueille. Mais tiraillé entre un passé qu’il néglige, et un présent qu’il peine à maîtriser, Nintendo semble hélas bien incapable de maîtriser cet art délicat du grand écart.

Infos complémentaires : Prix : 7,99 euros. Poids : 17 Mo.

Derrick.