On entend par ici ou par là, régulièrement, que le succès de la Wii est un accident dans l'histoire de Nintendo. Comme si le déclin des ventes des différentes consoles qui ont marqué l'histoire de la firme et nos vies de joueurs passionnés était irrémédiable, impossible à éviter et Nintendo condamné à abandonner son rôle de fabricant de consoles de jeux.

Les chiffres ont la dent dure. La réalité est implacable. Depuis la sortie de la NES en 1983, les ventes des consoles de salon de Nintendo n'ont cessé de baisser, emportant avec elles une part de marché devenue marginale lors de l'actuelle génération (celle de la WiiU j'entends, face à une PlayStation 4 et une XBoxOne). Voyons cela en détails (source Wikipédia) :

  • NES : 61,91 Millions, 78,57% de PDM
  • Super Nintendo : 49,1 Millions, 48,56% de PDM
  • Nintendo 64 : 32,93 Millions, 22,15% de PDM
  • Gamecube : 21,74 Millions, 10,1% de PDM
  • Wii : 101,52 Millions, 37,3% de PDM
  • WiiU : 13,8 Millions, 14,3% de PDM.

 

Dans ce tourbillon infernal vers un affaissement des ventes, la Wii ressort comme une exception, un OVNI jeu-vidéoludique mal compris de nombreux joueurs. Et l'on commence à lire et entendre que la WiiU est la digne héritière du déclin de Nintendo,  qu'elle suit la même courbe depuis les 30 dernières années, et que la Wii est une exception.

Je l'écris, je le dis et je le pense : ce constat est faux et je vais tenter de vous expliquer pourquoi.

Un avant et un après

Il y a deux histoires chez Nintendo dans le développement des consoles de salon. La première histoire, c'est celle qui débute avec la NES et qui se termine avec la Gamecube. C'est l'histoire de la course à la puissance, l'histoire d'une concurrence acharnée entre les différents constructeurs du jeu vidéo face à Nintendo. D'abord la bataille frontale avec Sega, qui avait presque réussi à faire vaciller le papa de Mario grâce à une Megadrive très bien marketée. Puis l'arrivée de Sony. Face aux 32bits de la Sega Saturn et de la PlayStation, Nintendo lancée dans une course à la puissance, décide de proposer la console d'« après » avec sa Nintendo 64 et ses 64bits en faisant un monstre de puissance castré par les limitations du port cartouche. Sega jetant l'éponge face au rouleau compresseur PlayStation 2, Microsoft se lance dans la bataille. Nintendo proposera cette fois une machine facile à programmer, puissante et dotée d'un système de stockage à la capacité étendue mais propriétaire : la Gamecube. Nouvel échec. Rien ne résiste à la puissance marketing de Sony et à la latitude proposée aux éditeurs tiers, là où Nintendo les malmène avec des processus de publication complexes et hors du temps.

Que ce soit la Super Nintendo, la Nintendo 64 ou la Gamecube, toutes ces machines ont été conçues dans l'optique de proposer aux joueurs une machine techniquement mieux dotée que celle de la génération précédente. Et... c'est tout ! Ces consoles, et je vais certainement vous faire hurler, ne proposent, en tant que machine de jeu, rien d'autre qu'une montée en puissance de leurs composants par rapport à la génération précédente. Aucune d'entre elles ne propose un concept, un moyen de se différencier et de sortir de la course à la puissance.

Cette course à la puissance est donc une expérience très maîtrisée chez Nintendo. Ils ont réussi globalement à proposer des machines à jour et capables de faire face à la concurrence en termes de capacités techniques et d'expérience jeuvidéoludique.

Au regard de l'érosion des chiffres de vente, l'expérience a été très douloureuse pour Nintendo et le constat très clair : la course à la puissance ne réussit pas à Nintendo, il faut apporter autre chose au jeu vidéo que de la capacité à afficher des polygones et faire en sorte que le matériel permette d'apporter au jeu des expériences nouvelles. Autrement dit, une philosophie propre à la console, une console et le concept qui lui est rattaché. Dans ce constat, la console de jeu n'est plus au service du jeu vidéo, elle n'est plus un support qui permet de faire tourner un jeu dans de bonnes conditions. La console devient le jeu, elle l'accompagne en lui apportant des nouvelles fonctionnalités. On ne joue plus « grâce à la console », mais « à travers elle ». A travers cette « console concept ».

Toute cette philosophie a été appliquée à la Wii. Nintendo a fait un pari énorme afin de tester cette stratégie sur la Wii : prendre une plateforme matérielle rodée, celle de la Gamecube, sans l'améliorer drastiquement. Puisque la puissance ne fait pas tout et que la console apporte avec elle un concept (le motion gaming), alors ils ont tenté de voir si cela prenait. C'est la deuxième histoire de Nintendo.

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Le concept a complètement fonctionné. Pire que cela, il a surpris tout le monde et surtout Microsoft et Sony qui n'avaient rien vu venir. Nous nous retrouvons donc dans le cas où une console faiblarde techniquement pour l'époque, bien marquetée et apportant un concept clair et compris, peut cartonner.

Le succès a été tel, que Nintendo a craint de perdre la population captée grâce à la Wii avec la console d'après : la WiiU. Ils ont donc fait le choix de conserver la marque installée et identifiée dans la tête de nombreux joueurs. Mais cela n'a pas suffit. La WiiU apporte une mise à jour matérielle salutaire qui permet enfin à Nintendo de proposer des expériences en HD. Elle propose également un concept jeuvideoludique : le jeu asymétrique. Le quoi ? Beh le jeu asymétrique. Oui mais c'est quoi ? Et bien en 2017, je ne sais toujours pas clairement répondre à la question, car je n'ai eu en ma possession aucun jeu proposant la fonctionnalité. Peut être aurai-je dû acheter Nintendo Land. Ou pas.

Au même titre que la Wii, Nintendo a tenté de proposer une console matériellement mise à jour et apportant un concept qui essaie de réunir les joueurs. Mais la mayonnaise n'a pas pris.

L'interview de Philippe Lavoué, Directeur Général de Nintendo France,  est extrêmement enrichissante du point de vue de Nintendo. Le problème de l'expérience WiiU n'est pas la  stratégie différenciation par rapport aux autres consoles, en ne proposant pas des capacités matérielles à la hauteur. Ce n'est pas non plus le manque d'éditeurs tiers. Le problème de la WiiU, ça a été ce concept bancal du jeu asymétrique. Tellement compliqué que le marketing de Nintendo s'est pris les pieds dans le tapis et n'a pas réussi à nous l'expliquer correctement en 5 ans de vie de la console. Tellement compliqué à penser et développer que les expériences de jeu qui utilisent en ce sens la tablette de la console sont rarissimes.

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Une histoire d'astres

Tout n'est pour autant pas aussi simple. Il ne faut pas penser qu'un concept clair et facile à comprendre permet de propulser les ventes de consoles. La Wii a profité d'autres avantages que la WiiU n'avait pas en sa faveur, un alignement parfait des planètes :

  • Un environnement de développement maîtrisé sur le bout des doigts. Et oui, grâce à la Gamecube, tous les développeurs maîtrisaient déjà la Wii avant qu'elle ne soit disponible. Zéro apprentissage, les jeux sont sortis à vitesse grand V. La WiiU est arrivée avec des kits de développement buggués, compliqués à prendre en main et chers. Pire, le support était inexistant, toutes les demandes des développeurs étaient envoyées au Japon avec des traducteurs comme intermédiaires. Les moteurs tiers, tels que Unity, qui ont émergé lors de la génération Wii/PS360 n'étaient pas compatibles. Les quelques développeurs qui ont tentés l'aventure ont clairement galéré, à tel point que certains ont abandonné en cours de route leurs jeux.
  • Une concurrence qui ronronne. Actuellement, la PlayStation 4 cartonne. La Xbox One galère. Les exclusivités abondent chez Sony alors que Microsoft va nous parler de la prochaine évolution de la Xbox lors de l'E3 2017. L'affaire est pliée pour la PlayStation 4 et Sony va tout faire pour la maintenir au plus haut le plus longtemps possible. Nous aurions plus gagné en tant que joueurs à avoir une PlayStation un peu moins dominatrice et un Microsoft en meilleure forme sur cette génération. Avec une WiiU au concept bancal, sous exploitée et mal compris, Nintendo n'a fait peur à personne, et s'est lui-même mis dans la situation où il est actuellement. À l'époque de la PlayStation 3 et de la Xbox360, le marché jeu vidéo ronronnait déjà avec des machines proposant une « simple » mise à jour matérielle par rapport à la génération précédente. Cette génération a été étirée jusqu'à l'usure : plus de 7 ans, un longévité exceptionnellement longue pour une génération de console et des siècles en termes de développement technologique.  La Wii est venue secouer le marché avec le motion gaming et redistribuer les cartes.
  • Un concept limpide impeccablement marketée. Le gros avantage de la Wii, c'est qu'il fallait juste regarder quelqu'un jouer devant sa télévision pour comprendre comme jouer. Et par imitation tout paraissait simple, fun et accessible. La WiiU n'avait rien de tout ça. En 5 ans, on n'a rien compris et on n'a jamais vu ce concept visant à rassembler les joueurs se matérialiser. Un cas d'école !

Si les 3 planètes du concept clair et identifié, de l'environnement de développement facile et accessible et de la concurrence qui roupille sont là, Nintendo est capable de bouleverser le marché. Ces 3 planètes, Nintendo les a clairement identifiées et l'analyse faite de l'échec de la WiiU prend en compte ces 3 aspects.

Dans la nouvelle voie vers laquelle s'est engagée Nintendo, la « console concept », la Wii apparaît comme un modèle à suivre que Nintendo n'a pas réussi à reproduire avec la WiiU. Ce nouveau Nintendo, j'entends par là le Nintendo d'après la Gamecube, n'en est qu'à sa troisième expérience, avec la Switch, de « console concept ». Passé au filtre des 3 planètes, nous pouvons clairement comprendre que Nintendo va « changer de dimension » (source : Interview de Philippe Lavoué, Gamekult.) avec la Nintendo Switch.