Tout commence par une pipe. Non pas une banale pénétration bucale sous la couette et lumières éteintes, mais une véritable pipe. L'interdit, la tentation, le pêcher, la frustration, tout y est. Hank peut résumer sa vie en une simple fellation, peut être est-ce là l'origine de son manque d'inspiration. Autrefois écrivain à succès, avec la femme de sa vie et son amour de petite fille, Hank Moody avait le monde à ses pieds. La question est de savoir comment a-t-il fait pour en arriver à ce putain de merdier.

 

Hank Moody est un homme à femmes. Seul garçon d'une famille de trois enfants, père absent et émotionellement distant, Hank passe son enfance New Yorkaise entouré et aimé par les premières femmes de sa vie, sa mère et ses deux soeurs. Cette enfance baignée d'oestrogènes va faire de lui le receptacle attentif des besoins et des doutes féminins. Un charmeur. Un jeune homme capable d'humidifier les lèvres pulpeuses de la plus puritaine des demoiselles, la faisant frisonner d'envie par la parfaite musique des mots qu'il emploie. Hank aime les mots, sans doute plus que les femmes. Son rêve est de gagner sa vie en écrivant ce qui lui passe sur le coeur, écrire, baiser, le plus merveilleux de tous les cocktails. 

Petit à petit, de manière naturelle, il écrit son premier roman, et trouve les oreilles assez instruites pour s'intéresser à son travail. Au même moment, il rencontre une jeune décoratrice d'intérieur, Karen. Une femme sublime, aussi belle qu'intelligente, mais elle n'est qu'un flirt parmi tant d'autres. Mais le jour de la mort de Kurt Cobain, Karen apprend à Hank qu'elle est enceinte. Un jour doublement marquant dans la vie de l'écrivain le plus rock'n roll de la Grosse Pomme, puisqu'elle marque la fin d'une icône, et l'arrivée d'une idôle, sa fille. 

Une nouvelle vie commence pour Hank, où le succès commence à atteindre des sommets, et ce petit bébé bruyant commence à se transformer en une petite Becca rigolote et tellement intéressante. Puis c'est la consécration, son best seller God Hates Us All va être adapté au cinéma, et Hank est engagé comme scénariste sur le film. La petite famille des Van Der Moody quitte la côte Est pour sa Grande Soeur dépravée de Californie. 

C'est sans doute cette ville qui a brisé ce conte de fées. Hank reproduit le schéma du père, il est absent, il ne couche plus avec sa femme, qui trouve une épaule et un confident dans son client, Bill Lewis, un riche veuf vivant dans une grande et belle maison. Les petits problèmes de couple deviennent peu à peu, mais si rapidement à la fois, d'infranchissables obstacles que même Hank ne peut surmonter. Karen s'en va avec sa fille habiter chez Bill, Hank se retrouve seul. 

Ainsi débute la série, tout ce cheminement mène à une pipe. Hank est en panne d'inspiration, il n'arrive plus à aligner deux mots, ce qui est problématique pour un écrivain professionnel. Sa vie de famille n'existe plus, le film adapté de son roman est une sombre merde adulée par la critique, ce putain de monde part en couille, et Hank ne parvient plus à s'y accrocher. Alors, lorsque Karen lui annonce qu'elle va épouser Bill, c'est le glaçon qui fait déborder le whisky. 

Californication est une baffe dans la gueule, le renouveau du Romantisme, un hommage à Charles Bukowski et à un style de vie qui s'évapore peu à peu. L'histoire d'un homme analogique dans un univers numérique, le vinyle contre le cd, la machine à écrire contre le pc portable, le fond contre la forme, le ticket de métro contre la brésilienne, cet homme refuse de se plier à un Monde qu'il ne reconnait pas, un combat auto-destructeur qui pourrait faire d'énormes dégats, y compris chez les gens qu'il aime. Hank c'est l'Homme que veulent toutes les femmes, mais surtout l'Homme que veulent devenir tous les hommes. Un homme naturel, qui va dire ce qu'il pense à qui il veut, qui ne fera pas de courbette à une femme pendant des plombes pour s'accrocher à l'espoir d'un simple verre. Non, Hank est assez à l'aise avec les mots pour être lui-même, sans hypocrisie, sans manière. Un Père, un Amant, un Ami, un Homme qui cherche à sortir la tête hors de l'eau sans pour autant se renier. 

Accompagné par son ami et agent, Charlie Runkle, Hank va tenter de remonter la pente, tant bien que mal, essuyant les mauvaises rencontres, les fantômes du passé, et certaines conneries dont il n'est jamais vraiment responsable, mais qu'il devra porter comme sa croix, ou une épée de Damocles suspendue au dessus de ses couilles. Hank n'est pas un homme mauvais, mais il multiplie les excès : alcool, drogue, sexe...  Ses doigts passent plus de temps dans l'intimité d'une femme ou sur une bouteille de vodka que sur une machine à écrire. Cette philosophie pourrait faire de Californication une série subversive, quelque chose de glauque et sexuel qu'on ne laisserait pas entre toutes les mains, et pourtant... Malgré les femmes nues, les poils pubiens, les coïts à plusieurs, les sniffages de lignes, et les litres d'alcool dans le sang, Californication n'est jamais vulgaire, jamais border line. Le créateur, Tom Kapinos, a le talent et l'intelligence pour parler de ces sujets avec une finesse et une profondeur qu'on ne retrouve presque pas à la TV. Californication parle d'amour, un amour véritable, cru, qui n'a pas besoin de sentir la rose pour être émouvant. 

Voir cet homme tendre la main vers l'utopie de sa vie, se détruire à petit feu, jamais sans le vouloir, blesser les gens qu'il chérie par faute de vouloir améliorer les choses... On aime Hank. Malgré ses défauts, malgré l'image pathétique qu'il nous renvoie de lui-même, il est tout bonnement impossible de ne pas aimer cet homme. Il arrive également à forcer l'admiration, par le talent qu'il met en oeuvre lorsqu'il parle à une femme. Les mots justes, sans fioritue, une vérité qui efface tout faux-semblant, toute convenance. Il aime les femmes, et sait se faire aimer d'elles. 

Californication c'est aussi une suite incroyable de personnages délurés, toujours formidablement bien écrits, comme l'incroyable Lew Ashby qui restera l'un des personnages cultes de la série. Et le plus dingue dans tout ça, c'est qu'à aucun moment, malgré les thèmes et les situations, on ne se lasse d'un personnage. Ils sont tous tellement bien écrits, et si justement interprétés, qu'on ne voit plus des acteurs à l'écran, mais des gens. La série est également bourrée de références musicales, des Stones à Black Sabbath en passant par Nirvana, c'est toute une Ode à la gloire du Rock qui embaume l'air de Californication. 

 

Hank Moody continue sa route, pour encore très longtemps je l'espère. Douze épisodes de Vingt Minutes par saison, c'est déjà bien trop peu, alors que ça dure une bonne décennie. Californication est comme une dernière clope à griller devant un lever de soleil, les pieds nus qui glissent sous le sable encore frais. Une parenthèse drôle, triste, douce-amère, un moment de poésie contemporaine comme j'aimerais en voir sur la télévision française. A voir en VOSTFR, ou je vous enfonce un coton-tige dans l'urètre.