On joue ?

Il faut d'abord séparer les véritables "jeux" vidéos, qui nous proposent des possibilités et des règles précises, qu'il faut utiliser au mieux pour battre nos concurrents ou la machine (jeux de baston, de plate-forme, party games...), à la manière des autres jeux ou sports, de ceux où le jeu est aussi jeu d'acteur (on bute encore une fois sur l'appellation "jeux vidéo"). Les bien nommés jeux de rôle en sont évidemment le meilleur exemple, mais la plupart des jeux d'action d'aujourd'hui nous proposent un minimum de scénario et de marge de manoeuvre. Il peut alors être important de jouer selon l'esprit du jeu, la vision des développeurs, et pas uniquement d'y voir un défi où tous les coups (possibilités offertes par le jeu) sont permis.

Respecter le credo

Le plaisir procuré par Assassin's Creed II, par exemple, dépend ainsi fortement de l'implication du joueur dans le rôle qu'il tient. On peut le voir comme un jeu, et donc simplement chercher à finir les missions, ce qui est tout à fait possible en bourrinant. Ou bien on peut se dire qu'on joue un assassin, et réaliser les missions "à la Ezio". Sa suite Brotherhood intègre d'ailleurs le comportement du joueur, puisque les missions s'accompagnent d'un pourcentage de réussite, et obtenir les 100% requiert de se comporter comme un véritable membre des Assassins. Chaque approche permet évidemment de s'amuser avec le titre, mais pour celui qui s'intéresse à l'histoire et l'univers du titre, la seconde paraîtra sans doute plus gratifiante. De même dans Arkham Asylum, on peut utiliser un baraqué plein de gadgets pour tabasser des ennemis, ou bien jouer Batman, et l'expérience en sera quelque peu différente.

"For now on, call me Big Boss"

Coller à l'approche voulue par les développeurs peut être sanctionné par le jeu ; pour revenir à Assassin's Creed, les Assassins ne tuent pas les innocents, et le faire peut amener un Game Over. Cette approche peut aussi amener des récompenses, comme celles obtenues en terminant un épisode de Metal Gear sans tuer personne. Mais oscillant sans cesse entre le réalisme et le pur jeu vidéo, MGS permet les deux approches. Dans Snake Eater, le joueur doit ainsi se soigner de façon "réaliste" ; mais il peut le faire en plein milieu d'un combat. Il doit se camoufler pour passer inaperçu ; et il transporte donc des dizaines d'uniformes sur lui. Mais si on veut y croire, qu'est-ce qui nous empêche de ne se soigner qu'au calme, de se limiter à l'uniforme de base et au maquillage ? De même, alors qu'avec Solid Snake je privilégiais toujours la discrétion et les tranquilisants, le fait de jouer Big Boss, l'époque, la jungle m'ont orienté vers un jeu beaucoup plus musclé (j'vous raconte pas la traversée du Styx). Et c'est donc par mon implication, ma façon de jouer le jeu, que j'ai pu autant apprécier cet épisode, sans pour autant que cela m'apporte un quelconque avantage de gameplay. On devient alors véritablement acteur du jeu, dans les deux sens du terme.

J'connais mon rôle

Mais parlons donc un peu des jeux de rôles. Comme précedemment, le gameplay peut être influencé par notre respect (ou non) de l'histoire. Dans Final Fantasy VII, on peut simplement viser l'équipe surpuissante, ou bien attribuer à chacun les matérias que l'on estime lui correspondre, selon son caractère, la façon dont on l'imagine combattre, et bien évidemment ses stats, car le jeu nous oriente tout de même un minimum. Mais on peut tout à fait transformer Cloud en mage blanc, si FFVII n'est pour nous qu'un jeu et que cela nous aide à progresser. Mais les modèles 3D (OK, pas pour FFVII...), les cinématiques et les cut-scenes nous donnent une image précise de nos héros. Avec les jeux de rôle et d'aventure des générations précédentes, l'implication du joueur était encore plus déterminante sur l'expérience de jeu. Par contraintes techniques, les décors et les personnages étaient assez sommaires. Comme avec un roman, le jeu nous fournissait le script, à nous de jouer les réalisateurs dans notre tête. Et comme avec un roman, chacun aura sa propre vision du jeu. Si aujourd'hui on sait tous la tête que devrait avoir Nathan Drake au cinéma (Nathan Fillion, réveille toi !), chacun a "son" Crono, "sa" Terra", malgré les sprites et les artworks, tout comme avant l'arrivée des films chacun avait "son" Frodo. Plus exigeante, cette façon de jouer pouvait amener des résultats étonnants. Ainsi, comme l'a montré récemment le sous-Joker qu'il est dans Dissidia, un personnage aussi subtil que Kefka n'est jamais plus terrifiant que lorsqu'il n'est qu'un sprite, un rire et des actes (c'est tout de même un des seuls vilains qui veut détruire le monde... et le fait), et que son apparence, sa voix, son jeu sont laissés à notre imagination. Une approche trop démonstrative lui nuit énormément ; et de fait, en suivant bien sûr les indications de l'oeuvre, mon imagination est le meilleur metteur en scène pour s'adresser à moi.

Jeux d'auteurs ?

Jouer à Resident Evil pour casser du zombie et y jouer au casque seul dans le noir sont deux expériences radicalement différentes. Et dans Shadow of the Colossus, filer de colosse en colosse uniquement pour les abattre le plus vite possible n'a honnêtement que très peu d'interêt. Certains jeux peuvent être plus qu'un gameplay. Il faut rentrer dans l'oeuvre, s'y immerger. L'éternel débat, le jeu vidéo est-il un art, tient peut-être là un élément de réponse. L'art implique un effort, une interprétation du récepteur, souvent différente pour chacun. Dans notre domaine, un jeu d'Art serait peut-être un jeu que chacun pourrait interpréter à sa façon, selon la manière dont il perçoit la vision de ses auteurs (à condition bien sûr que le jeu en propose une). Et auquel il pourrait jouer différemment, non pas uniquement selon ce qu'il peut faire, mais selon ce qu'il croit qu'il doit faire. Le jeu devra évidemment lui en laisser la possibilité ; mais ce serait finalement au joueur, et non au développeur, de faire en sorte que le jeu vidéo devienne plus qu'un jeu.