Le roadtrip prévu et prouvé dans FFXV est l'incarnation même de la différence entre les RPG de l'ouest (WRPG) et les RPG japonais (JRPG), à une époque où les JRPG sont pourtant plutôt à l'agonie par rapport aux 90's et début 2000. À une époque même où les Elder Scrolls sont devenus une référence et pire encore, un schéma à appliquer encore et encore, avec son open world, son système de quête et ses choix possibles - l'opposé même du JRPG.

 

Bonnie, Clyde & Road 66

 

 Roadtrip, roadmovie ? Tout bêtement, un schéma de trame scénaristique qui se déroule le long d'une route (physique ou métaphorique). Instinctivement, on aurait tendance à l'associer avec les (très) longues et désertiques routes qui parcourent les États-Unis. Un grand voyage, donc, jonché de rencontres, de micro-aventures qui font évoluer le ou les personnages impliqués.

 Une bouffée de liberté en quelque sorte, hors de la ville, hors des chemins battus (et pourtant toujours sur la même route) et souvent hors des lois, loin du conformisme et des règles de la société. En somme, les gars de Square vont devoir grandement s'améliorer s'ils veulent respecter les codes du genre...

 Pour moi, le roadtrip est la plongée dans l'inconnu, un voyage, parfois exil, sans retour, sans regard vers l'arrière et sans regret mais surtout : un voyage volontaire. Que le départ soit voulu ou forcé, peu importe, mais tout ce qui se passera pendant ce voyage sera décidé par nous, pas par obligation ou par la volonté obscure de personnages hors de l'équipe.

 

 FFVII, j'y reviendrais, était déjà un roadtrip pendant une bonne moitié du jeu. Square y revient, dans leur quête éternelle de remplacer le 7e épisode dans le coeur des gens et de retrouver la recette du succès. Après avoir cloné Cloud pour en faire Lightning (c'est officiel, je n'invente rien), ils s'attaquent à quelque chose de bien plus profond et moins superficiel, le feeling derrière le jeu d'origine. Même si c'est fort possible que ce soit juste mon imagination, Nomura & co étaient déjà impliqués à l'époque - l'hypothèse n'est pas si improbable.

 Au-delà du concept similaire, le roadtrip symbolise beaucoup pour le JRPG, à mi-chemin entre le retour aux sources et l'adaptation des modes actuelles. Je vais vous le dire tout simplement : pour moi, c'est une excellente idée et ça peut donner un jeu enfin ambitieux.

 

 Le roadtrip peut générer des oeuvres originales parce qu'il permet des émotions différentes de celles des trames habituelles. Mais comme la plupart des patrons, il ne doit pas être appliqué tel quel... Il peut être facilement lassant et manquer de variété. Square a parlé de 40h pour finir le jeu en ligne droite : il est évident que le passage roadtrip ne durera pas tout ce temps.

 Contrairement aux autres genres, les références sur ce style sont plutôt à chercher du côté des films et des romans, de l'Odyssée jusqu'à Little Miss Sunshine. Le jeu vidéo qui défie les autres arts ? C'est pas trop tôt...

 

 Oui, je m'enflamme. Rêvons un peu, s'il vous plait.

 

Liberté

 

 Le roadmovie, c'est donc avant tout la liberté. C'est sur ce point-là que s'opposent philosophiquement les deux grands genres du RPG. On prône une aventure évolutive à l'ouest alors que par-delà le rideau de fer du jeu vidéo, c'est la tyrannie de la trame statique

 Où se trouve la liberté tant convoitée ? Pas forcément là où ça semble le plus évident. Ce sont, pour moi, les deux facettes de la liberté que peut proposer un média comme le jeu vidéo.

 

 Toute la structure narrative d'un WRPG tient en un seul concept : les quêtes. À l'intérieur de ces quêtes, vous faites des choix, parfois. Dans certains exemples les plus extrêmes (Elder Scrolls), vous avez même le choix de faire le choix (principalement en décidant d'accepter ou non les quêtes), un échelon supérieur dans la liberté. Alors, oui, dans une certaine mesure, le joueur est libre.

 Le joué, lui, le héros, le personnage, ne l'est pas. Trimballé à droite et à gauche d'un PNJ à un autre sans la moindre mise en scène, baladé comme un chien à qui on jette un os, le même os composé de points d'XP et de loots. Je ne vais pas discuter de la qualité générale des quêtes, ce n'est pas le sujet, j'aurais trop à dire et ce serait probablement trop agressive et négatif (Planescape et autres exempts de cette critique). Je parle du principe : le héros est un Pinocchio que la fée a oublié, une lune qui tourne autour d'astres plus brillants que lui, les PNJ. 

 

 Vous n'êtes pas libre dans un JRPG. Vous ne le serez pas dans FFXV non plus. Et ce n'est peut-être pas incohérent avec le choix du roadtrip : votre chemin vous est dicté par la route. Vous n'êtes pas libre; mais avez-vous besoin de l'être quand l'histoire vous entraîne avec elle, comme une tornade qui ne vous laisse aucun choix ?

 

Une aventure dont vous ne voulez pas être le héros

 

 Vous incarnez un héros, vous incarnez une équipe. J'en reviens à FFVII. Pendant toute la première partie, vous voyagez. Vous n'êtes aux ordres de personne, votre équipe prend ses propres décisions. C'est pour moi une différence fondamentale. Il n'y a pas non plus de rallongement artificiel de la durée de vie via des quêtes annexes (ou pas annexes même, parfois) totalement inutiles d'un point de vue scénaristique. Le rythme est respecté, les transitions sont fluides - l'histoire triomphe sur le gameplay, l'histoire, même, triomphe sur la description de l'univers. 

 Là où le WRPG décrit en détail un monde, une faune, une flore, le JRPG zappe tout ça et vous entraîne (le mot est important) dans une histoire au milieu d'un univers que vous n'avez pas forcément besoin de comprendre entièrement. Les deux sont respectables. Ça dépend grandement de ce qu'on attend d'une histoire.

 

 Ainsi, ce que vous perdez en en connaissance sur le monde, vous le gagnez indéniablement en fluidité. Vous ne vous dispersez pas. Est-ce qu'on va aider les mineurs de Corel à se sortir de leur misère ? Non. Est-ce qu'on va acheter du pain pour l'aubergiste de Junon qui n'a pas été livré ? Devinez. On reste concentré sur un objectif, NOTRE objectif, et très franchement, je me sens impliqué dedans beaucoup plus que dans n'importe quel WRPG.

 Vous pouvez répliquer qu'il est possible d'ignorer les quêtes annexes dans un WRPG. Premièrement, je doute que vous le fassiez. Deuxièmement, je critiquerais alors autre chose : faire des quêtes annexes prend du temps, c'est du temps en moins sur le reste de la production. Vous pensez qu'ils en rajoutent des couches pour le plaisir ? Mass Effect 1 en ligne droite, c'est 4 ou 5 missions, 4 ou 5 endroits différents.

 

 Le roadmovie respecte exactement les codes des anciens FF. Malgré ça, je suis certain qu'ils vont intégrer des side-quest parce que c'est la mode, tout comme ils ont restauré l'open world (qui sera au fond un semi open world à l'instar des anciens FF) mais le roadmovie se passe le long d'une route, comme son nom l'indique. Une aventure linéaire dans un monde non-linéaire. Ça n'a rien de révolutionnaire, les FF ont toujours été comme ça, mais c'est pour moi une excellente nouvelle pour le genre.

 C'est une aventure humaine, autant qu'une aventure tout court. Parler de bromance est un peu caricatural mais si c'est bien mis en scène, ça peut être sacrément intéressant. Les possibilités de camper, pêcher et autre peuvent paraître cheap mais c'est une occasion de plus de développer le concept d'une véritable équipe... À condition que ce soit fait proprement. Quand on choisit un concept aussi ambitieux (et peu importe le budget), l'excellence est requise, d'autant plus que le roadtrip peut facilement tomber dans le cliché non assumé et la médiocrité. 

 

Moralité...

 

 La vraie question est peut-être là. Peut-on faire confiance à Square-Enix ? (A-t-on déjà pu faire confiance à Square-Enix ?)

 C'est ce que FFXV nous apprendra. L'équipe de développement est composée d'anciens de la Dream Team (Squaresoft, 90's), d'un des meilleurs remplacements possibles pour Uematsu (Shimomura) et d'un directeur visiblement prometteur (Tabata). Ils ont un projet qui a été réfléchi depuis des années et ils ont eu suffisamment d'échecs récents pour savoir dans quelle direction ils doivent aller. C'est beaucoup plus que n'importe quelle autre boite et que n'importe quel autre jeu. Je ne plaisante pas, les astres sont alignés. C'est une situation théoriquement parfaite pour Square.

 C'était un peu théatral, non ? En vérité, de ce qu'ils feront de cette situation parfaite ne dépendra sans doute pas grand-chose. Ils vont bien, ils ont encaissé les années de développement inutiles de ce jeu depuis longtemps et de toute façon, ils ne feront pas pire et plus mal aimé que la trilogie XIII. Il n'y a peut-être que moi qui perdrai espoir pour de bon.

 

 Le JRPG a besoin d'être sublimé à nouveau. Plus que n'importe quel autre genre, c'est celui qui permet, de par sa longueur et sa structure, d'aborder le plus en profondeur les patrons d'écriture classiques (de par sa trame romanesque) et les thématiques complexes (think Xenogears). 

 Oubliez le débat sur le système de combat axé action, oubliez l'open world démesuré qui s'annonce. Un RPG, c'est une histoire, une ambiance et une mise en scène. Square annonce un jeu basé sur un roadtrip. Si FFXV réussit ce concept cinématographique, même en ratant le jeu, alors ce sera déjà un grand pas en avant pour le genre... Ou plutôt, un excellent retour en arrière.