L'effet d'annonce a fonctionné. Hier, la tension était montée d'un cran entre constructeurs et chantres du tout dématérialisé (Gaikai en vedette) après des déclarations fracassantes visant à donner plus de visibilité au Cloud Gaming. Le Games Summit - une des nombreuses tables rondes qui ont animées le CES de Las Vegas - réunissait panélistes, analystes, et spécialistes du téléchargement autour de ce brûlant sujet. Les discussions ont tourné autour des menaces que ce nouveau marché ferait peser sur la distribution dite classique des jeux vidéo, ainsi que sur les désordres industriels provoqués chez les fabricants de consoles de salon.

Tous s'accordent sur la forte croissance de l'ensemble de l'industrie du jeu vidéo. Le cabinet Gardner prévoit un chiffre d'affaires de 100 milliards de dollars en 2015 (contre 74 milliards attendus pour 2011). La vente de hardware ne faiblira pas selon la synthèse de l'étude, mais le marché du dématérialisé s'envolera dans quelques années... Pour devenir la norme ? Les analyses sont partagées. Les joueurs auraient une préférence pour le jeu en boîte, l'aspect chaleureux du packaging (tout l'aspect merchandising) garde leur faveur. Toutefois, le gain indéniable du dématérialisé "est la construction d'une relation directe avec le joueur" a déclaré Chris Early de Digital Publishing (filiale d'Ubi Soft). Pour Nanea Reeves de Gaikai : "c'est une extension du canal de distribution physique" , il n'y aurait ainsi aucun risque de cannibalisation entre les deux modes d'acheminement des jeux auprès du consommateur final. A contrario, Gene Hoffman, PDG d'une société spécialisée dans les solutions de facturation numérique, prévoit des lendemains qui déchantent pour la vente physique. Pour ce dernier, le marché du tout en ligne est en pleine mutation, l'Apple Store est l'arbre qui cache la forêt. "Il existera une multiplicité de canaux de distribution online qui permettra d'atteindre le client de différentes manières, et ce à différents moments de la journée".

Le jeu en streaming, s'il est perçu comme l'avenir du jeu vidéo, pose tout de même quelques questions sur notamment la valeur économique du bien acheté par le joueur. Selon une étude de marché menée par le cabinet Magid Advisors, moins de 20% des joueurs sont intéressés par le jeu en streaming : "il faudra attendre que l'offre soit accessible à partir de 6$ au lieu de 60$". Cependant, les récents accords qui lient l'industrie du jeu vidéo ou assimilée avec les géants de l'électronique grand public (LG) et informatique (Apple, Google) risquent de renverser la donne, voire d'accélérer le processus de dématérialisation, et pas seulement des contenus : "je pense que les consoles seront en grande difficulté", prévient Gene Hoffman, "les consoles de salon sont en voie d'extinction". Opinion soutenue par Sean Vanderdasson de Wild Tangent : "oui, c'est bien la dernière génération de consoles telle que nous l'a concevons aujourd'hui". La représentante de Gaikai sera plus tranchée : "Encore un cycle mais pas un de plus avant de les voir disparaître . Ce sera le scoop de l'E3 2012 [...] je ne sais pas quel constructeur sera concerné mais il y en aura au moins un". Mike Vorhaus pense que Nintendo "va être le seul à faire ce que vous suggérez", en s'adressant à l'auditoire. Les dés sont jetés.

D'aucuns prévoient Gaikai comme la société dominante de ce marché appelé à exploser dès 2015 : "la raison pour laquelle le marché des jeux HD traditionnels restera désespérément plat jusqu'en 2015 est en partie dû aux sociétés telles que Gaikai, qui capteront une bonne part de croissance des jeux en boîte" anticipe Jesse Dinvich, de l'agence EEDAR. Il ne faut pas pour autant signer la fin de règne des consoles de salon, se défend l'analyste : " bien que l'industrie ne s'attende pas à réaliser une croissance à deux chiffres au cours des cinq prochaines années, il est illusoire de croire que la technologie, l'innovation et la création de nouvelles consoles vont subitement s'interrompre. Nous parlons d'un marché du logiciel d'une taille de 25 milliards de dollars par an au niveau mondial, et quand bien même cette activité restera atone, il y a annuellement un gâteau de cette importance à gagner encore pendant trois ans ". Pour lui, aucun des constructeurs actuels ne peut se permettre le luxe de faire l'économie de ce marché, ce serait un non-sens économique : "on peut théoriser sur la capacité du marché HD à supporter trois constructeurs [...] je pense qu'au final deux d'entre eux resteront profitables et concurrentiels".