Avoir un avis contraire, sur tout, tout le temps. Le plaisir de critiquer, de dénoncer, de juger, de catégoriser : est-ce un apanage typiquement Français ? Peu importe, à vrai dire. Mais tout sport national que cela puisse être, la critique facile pourrait aussi bien devenir la gangrène des sites spécialisés les plus consultés. C'est en tout cas ce que je pense. Oui. Alors on se fait une raison, on évite, on sélectionne, on passe. Et on se prend à rêver que certains fils de discussion, zones préservées, doivent bien encore proposer cette si délicate alchimie mêlant passion et débat.

Les forums ou commentaires associés aux sacro-saints tests de jeux vidéo sont-ils l'exception qui confirme la règle ? Ou bien, comme ailleurs, l'endroit idéal pour déverser son fiel sur le testeur, l'éditeur ou le constructeur ? Parler de tout sauf du jeu testé sans même y avoir joué, et édifier ainsi un temple du préjugé ?

Et avant, c'était comment ?

Vingt ans. En vingt ans, depuis que je suis assidument l'actualité de ma passion première qu'est le jeu vidéo, beaucoup de choses ont changé. Le papier a petit à petit cédé sa place au tout numérique. A internet. L'internet et sa liberté modérée d'expression. En 1990, tout était bien plus simple. Nous avions d'un coté les journalistes spécialisés qui remplissaient les pages colorées de nos mensuels préférés. Et comme tous bons journalistes spécialisés, ils transmettaient d'une façon passionnément subjective leurs avis sur les jeux vidéo. On appelait cela des Tests. Une fois le magazine aux douces effluves si caractéristiques d'encre d'imprimerie presque tiède entre ses mains, on se délectait d'un long texte argumenté, imagé, concocté avec amour et se concluant indubitablement par une note globale généralement chiffrée. Un test qui nous permettait de s'approprier au mieux le ressenti, le vécu du rédacteur et, pourquoi pas, tenter de pénétrer nous aussi un peu l'âme du jeu. Parfois, un second avis d'un autre testeur venait corroborer ou infirmer la notation finale. Soit pour apporter un second éclairage, soit pour confirmer que son collègue (ou rédac' chef) était bien dans le vrai (enfin bon, le rédac' chef il était forcément toujours dans le vrai).

Et il y a vingt ans, j'y croyais à ces avis. Je m'y fiais. Je comparais parfois les avis des autres rédactions, lorsque j'avais la chance - rare - d'avoir deux, voire trois magazines dans un même mois. Parce que les bonnes notes à l'école méritaient bien que ma maman me fasse ce petit plaisir, non ?
Je m'y fiais parce que ces avis là, des avis de pros, de spécialistes, ça comptait pour moi.
Ça comptait parce qu'ils étaient les seuls à avoir essayé les jeux, bien avant qu'on puisse en juger par nous-mêmes, et parce qu'on ne pouvait que leur faire confiance. Après tout, c'était eux les vrais spécialistes que l'on aimait tant retrouver, mois après mois.

Le lecteur 2.0 désabusé

Au fil des années, j'ai le sentiment d'avoir conservé cette confiance vis-à vis des journalistes spécialisés dans les jeux vidéo. Avec le temps, on apprend bien entendu à connaître les goûts du testeur qui lui font indubitablement majorer ou minorer son résultat final. On apprend à "déchiffrer les textes", et à "lire entre les notes. On comprend donc que la rédaction d'un test est une science parfaitement inexacte, forcément personnelle, et on apprend à faire avec, en piochant désormais ça et là les avis professionnels parsemant la toile afin de connaître la température du milieu sur un jeu que l'on attend depuis des années. Ou même découvrir un jeu "surprise" qui est révélé à nos yeux par la critique. Comme ce fut le cas dernièrement pour Batman Arkham Asylum, PixelJunk Shooters ou Darksiders qui ont été unanimement salués par la profession.

Mais maintenant que ces "années magazine papier" sont loin derrière moi, on me donne accès à bien plus avec internet. Un formidable outil qui nous révèle enfin ce que pensent les autres joueurs derrière leur clavier. Face à un même jeu, et en réponse à un même test. C'est magique ! Sans se déplacer, sans avoir à rechercher des personnes bien réelles pour discuter et débattre de ceci ou de cela, on peut instantanément obtenir de précieux avis de dizaines et dizaines de personnes sur un titre, fraichement sorti ou en passe de l'être. Mais force est d'admettre que d'année en année, cet espoir de vraie valeur ajoutée s'est transformé en triste désillusion. Les forums, en particulier les commentaires associés aux tests de jeux vidéo sur lesquels je fondais mes derniers espoirs, ne recèlent malheureusement pas les débats passionnants auxquels ont pourrait s'attendre. Surtout sur ces quelques sites francophones qui me sont chers, avec de si belles plumes... Ces forums se révèlent plutôt bien souvent être de bien piètres défouloirs, des boites de Pandore.

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Désormais, avant de parler du jeu, on y critique maintenant le test en lui-même, et le testeur. Son style. Son manque de ceci ou son excès de cela. Son coté trop technique et scolaire, ou ses envolées trop passionnées. Sa longueur et ses répétitions ou son coté "vite torché". On remet parfois même en question l'indépendance du testeur vis-à-vis de l'éditeur, et on croise systématiquement le fameux débat pipi-caca de "la note qui est bien trop faible" ou "c'est surnoté, encore un jeu over-hypé". Chaque intervenant du fil de discussion pourrait avoir finalement sa propre vision optimale du test... et cela s'étale parfois sur des dizaines et des dizaines de commentaires avant que l'on puisse enfin pouvoir lire des avis sur le jeu.

Il y a 20 ans, à la lecture de magazines papier, jamais je n'ai ressenti ce besoin de critiquer la forme ou le fond d'un test. J'acceptais ce que le testeur avait voulu partager avec plus ou moins de passion pour un jeu ou un genre pour lequel il avait plus ou moins d'affection...
Mais ce dont j'aurais eu envie de discuter, de partager avec d'autres, c'était du jeu.

Poursuivons la lecture des commentaires. Lorsqu'ils traitent enfin du sujet, le vrai, celui du jeu en lui-même, on retrouve les sempiternels avis de personnes qui émettent des opinions à l'emporte-pièce, totalement manichéennes comme "il défonce la concurrence", "c'est la superior version", "on est en janvier, mais on tient là le jeu de l'année", "j'ai joué à la démo, et c'était vraiment nul", "ce n'est qu'une succession de couloirs" et "y'a pas de scénario". Opinions tranchées. Oui. Cela peut être compréhensible. Mais lorsqu'à l'évidence on parle de jeux même pas essayés, au mieux à peine commencés, ou décortiqués uniquement à partir de vidéos HD sans n'avoir jamais eu le loisir d'avoir la manette en mains... Cela en devient fatiguant. Lassant.
Et ce n'est pas terminé. Cette série de commentaires est encore une nouvelle peau d'oignon à retirer avant d'arriver enfin au cœur du sujet : les commentaires des personnes qui, malgré la publication en avance du test, ont réussi à mettre la main sur une version review, ou ont attendu d'avoir eu le jeu en mains et joué suffisamment pour décrire efficacement leur ressenti face au titre. Des commentaires argumentés que l'on attend de lire parfois pendant plusieurs pages, ou que l'on ne lit tout simplement jamais. Soit parce que le lecteur aura été découragé par les 184 commentaires précédents prenant la forme d'une incessante partie de ping-pong. Soit, pire, le futur "commentateur" aura été lui aussi découragé parce que son opinion aurait été immédiatement suivie de remarques désobligeantes - lorsqu'elles n'auraient pas tout bonnement été ignorées par les autres acteurs du fil de discussion.

Espérer que cela change... "Mer il et fou" !

Alors, cette modernisation du journalisme vidéoludique, cette possibilité incroyable de participer et de commenter directement les tests de nos magazines d'antan, est-ce véritablement une bonne chose ? A ce jour, je pense malheureusement que non.

Tout lire et son contraire, voir se faire matraquer un titre sur des défauts insignifiants ou relayés à partir des "on-dit", cette ambiance pesante du "si tu aimes, c'est que tu es un fanboy !"... Des préjugés sans la moindre demi-mesure dans une ode constante à la mauvaise foi. On se demande si on a joué au même Uncharted 2. On en arrive à douter du plaisir que l'on pourra éprouver devant un Final Fantasy XIII attendu depuis des années. Et on lit même qu'Heavy Rain n'est pas un vrai jeu vidéo. C'est un mal qui touche encore plus les blockbusters, les porte-étendards, qui attirent à eux les nuées affamées des bienpensants et autres Monsieur jesaistout.

Alors, que faire pour que cela change ?

Les modérateurs font déjà ce qu'ils peuvent, et à partir du moment où les règles rédactionnelles sont jugées comme étant respectées, les forums sont des lieux de libre expression. Tant pis si le test d'un jeu attendu contient plus de 1.000 messages une semaine après la publication du test. C'est comme ça. Au milieu de cette montagne de messages, il y en a toujours à un moment ou à un autre un qui sortira difficilement du lot. Un message que l'on aime lire, et qui parfois donne même envie de répondre au plus récalcitrant des forumeurs. Un message qui parle du jeu, de l'expérience du joueur. De ce qu'il a aimé et de ce qu'il n'a pas aimé. Une bouffée d'air frais. Mais pour y parvenir et débusquer cette pépite, il faut - toujours - plonger en apnée dans les bas-fonds de la critique passionnée. Mais, pour moi, la lassitude s'est installée.

Ce qui m'anime, c'est la passion du jeu vidéo.

Je regrette de constater que, malheureusement, la passion de la critique passe bien souvent avant celle du jeu vidéo. Et en plus de m'abstenir de répondre à certains fils de discussion, je crois que je vais maintenant m'abstenir de les parcourir, tout simplement. Cet article dresse un constat, mon constat. Je ne prétends pas détenir la vérité, ni de solution au problème exposé. Mais je délivre ici l'expression de mes regrets... et l'espoir secret que lorsque j'y reviendrais, les avis argumentés des joueurs passionnés par le jeu vidéo auront remplacé les critiques gratuites des joueurs passionnés par leur égo.