Mon tactical de chevet, c'est Final Fantasy Tactics. Un titre PSone récemment réadapté sur PSP dans sa version "War of the Lions", qui est à mon sens incontournable pour les amateurs de Tactical RPG, mais surtout le successeur spirituel (pour ne pas dire la repompe éhontée, dirons certains) de ce Tactics Ogre. Ce dernier suit enfin le même chemin pour bénir nos PSP. Et après des heures et des heures de jeu au plaisir quasi ininterrompu, remercions Square Enix d'en avoir eu l'initiative.

Scénario béton

Il s'agit là d'un sérieux remake. Car outre les révisions cosmétiques - réussies mais finalement secondaires - ce TO PSP a permis à Matsuno et son équipe de raffiner plus avant ce bijou du genre, pour l'expurger presque entièrement de ses défauts d'alors, et l'enrichir encore de quelques nouvelles fonctionnalités particulièrement bien vues pour permettre aux novices de rentrer en douceur dans un titre d'une immense complexité, mais surtout d'une profondeur vertigineuse. Pour la découvrir, les joueurs devront aussi plonger au coeur d'une histoire admirablement bien narrée. Dans la peau du jeune Denim, épris de vengeance contre les Chevaliers Noirs meurtriers de son père, le joueur est tiraillé entre sa soeur Catiua qui incarne plutôt la raison et le calme, et son ami Vyce, qui le pousse au contraire à ruer dans les brancards. Le tout, au beau milieu de luttes de pouvoir et d'intérêt entre différentes factions conspiratrices dont il fera bien vite les frais en passant pour un traitre aux yeux de son royaume. Du coup, toute l'histoire suit les décisions du joueur qui la fera pencher d'un côté ou de l'autre, au cours de dialogues ou de batailles qui l'aiguilleront sur une voie plutôt qu'une autre. Une fois le jeu terminé, il sera possible de revisiter ces embranchements, pour explorer les voies avortées la première fois.

Chaotique neutre pour moi, s'il vous plaît

La vision du joueur sur son personnage et ses choix commence d'ailleurs à naître dès qu'on a sélectionné "nouvelle partie". Au travers de cartes de tarot, au début, on choisit ainsi un premier squelette de personnalité en répondant à des questions simples qui détermineront l'alignement du Denim voulu par celui qui l'incarnera. Par la suite, les choix de dialogue, épargner ou non certains adversaires, s'entourer de personnages d'un certain alignement, pourront influencer le chemin parcouru pour traverser une histoire passionnante, riche en rebondissements, en sacrifices, en moments épiques. Le tout appuyé par un visuel restituant l'esprit d'origine, tout en s'appuyant sur les possibilités d'aujourd'hui. On peut manipuler en 3D la carte pour mieux appréhender sa topographie, jouir de petits effets spéciaux toujours justement conçus, profiter de personnages brillamment redessinés par Akihiko Yoshida (à mon sens l'un des plus "poétiques" chara-designers de la firme, à l'opposé d'un Nomura), et finalement retrouver toute la magie d'antan, avec le confort d'une pléthore d'améliorations et de corrections apportées à un gameplay dont les bases, à la fois solides, pointues, et d'une rare finesse, restent pour leur part les mêmes. Avant d'aborder ces nouveautés et révisions qui comptent, je glisserai pudiquement sur le mode "multi". Il s'agit d'y constituer des groupes d'unités (basés sur votre sauvegarde la plus avancée du solo), de leur attribuer des IA (mêlée, distance, soigneur, etc.), puis de les faire s'affronter, mais hors ligne. Vous pouvez défier les équipes adverses téléchargées depuis les PSP de vos amis, eux peuvent défier votre équipe, ou vous pouvez défier votre propre équipe si ça vous amuse sur la carte de votre choix. Un bonus agréable, sans plus.

Révisions, correctifs, améliorations

Côté gameplay, donc, les habitués de l'original retrouveront avec plaisir l'essentiel : la très grande variété de classes et de compétences à découvrir, le scénario et l'univers bien sûr, ainsi que l'essentiel du game system en général, absolument brillant. Avec des ajustements d'importance, à commencer par le système de progression. Chaque niveau gagné par un personnage d'une certaine classe est à présent acquis pour cette classe. Par exemple, si l'un de vos combattants Archer atteint dans cette profession le niveau 7, tous les archers, nouveaux recrutés ou anciens personnages changeant pour cette classe, seront niveau 7, évitant le gros des fastidieux micro-managements de début de partie d'un personnage moins actif à l'autre. En revanche, les compétences achetées (dépendantes des classes), restent gérées au niveau individuel. Chaque personnage accumule ainsi des Battle Points, lesquels serviront à lui apprendre des compétences allant des différents collèges de magie, aux passives telles que la contre-attaque, en passant par le maniement des différentes classes d'arme, les améliorations de défense, d'attaque, les compétences et résistances spéciales, etc. Il y en a une telle masse que c'en est indécent ; par ailleurs, il faudra savoir choisir, car au maximum, un seul personnage ne pourra utiliser simultanément que 10 "skill slots" (à acheter au préalable, d'ailleurs). L'ensemble est ainsi mieux équilibré que dans l'original - au grand dam sans doute des amateurs "d'exploits" qui devront se reposer à nouveau sur leur cerveau et non sur des failles du système pour régner sur le champ de bataille. Il est aussi mieux structuré que FFT, pour lequel le "multi-classing" aboutissait vite à des personnages surpuissants (ah ! Les bons vieux calculateurs aux collèges de sorts bien remplis...). En revanche, l'apparition du Chariot System, qui permet de revenir jusqu'à 50 coups en arrière dans une bataille, permettra aux novices de mieux se dépatouiller avec des décisions qui leur auraient autrefois coûté très (trop) cher : et son utilisation reste optionnelle pour les gros hardcore qui aiment leurs tacticals bien difficiles. De même, la mort des personnages a été revue : ils faut trois tours complets pour qu'ils disparaissent du champ de bataille, et trois morts de cet acabit pour qu'ils soient définitivement perdus.

Plus tactique que jamais

Améliorer ses unités, découvrir de nouvelles classes, déployer la bonne combinaison de combattants pour une bataille donnée (lesquelles peuvent solliciter jusqu'à 12 personnages) ne sont qu'une partie du gameplay incroyablement fin de ce Tactics Ogre "director's cut", aux révisions multiples et bienvenues. Par dessus, les amateurs pourront s'affairer à recruter des monstres, ou se perdre dans les méandres d'un système de crafting très développé pour confectionner leurs armes, armures, potions, accessoires, et autres. C'est d'ailleurs un des reproches que je lui ferais : l'interface, unitaire, n'est clairement pas adaptée aux malades qui comme moi aiment crafter leurs armures treize à la douzaine, pendant une petite pause confection d'un quart d'heure après avoir accumulé une tonne d'ingrédients. Il faudra procéder élément par élément, tant et si bien que le quart d'heure peut vite devenir une heure pleine pour le même résultat. Autre défaut, d'autant plus grave à mes yeux pour mes camarades anglophobes : le jeu n'est pas traduit en français. Alors certes, pour ceux qui parlent bien la langue de Shakespear, les textes délicieusement traduits en pseudo-vieil anglais sont un régal, mais ils rendent aussi le jeu et son immense scénario totalement opaques pour les autres. Enfin, dernier point d'agacement : l'IA alliée des personnages "guest" prend parfois des décisions suicidaires, et plus régulièrement des initiatives qui ruinent des stratégies basées sur les sorts de charme ou de sommeil en frappant les unités ennemies ainsi contrôlées. Rageant.

Mais en dehors de ces écueils d'interface, et d'IA, et de cette absence tragique de traduction, presque tout a été amélioré ou raffiné. Visuellement bien sûr, mais aussi avec de nouvelles musiques réorchestrées, des personnages et scénarios additionnels, et ce qu'on devine simplement comme étant 15 ans d'expérience, de maturation, et de désir trouvant enfin de quoi s'exprimer pour Matsuno et son équipe, qui livrent assurément ici le volet définitif du Tactics Ogre dont ils (et les joueurs) pouvaient rêver.