Dans le petit milieu du point & click, on trouve quelques séries mythiques qui mettent beaucoup de monde d'accord, et celle des Gabriel Knight en fait partie. C'est donc particulièrement futé de la part de WizardBox de nous ressortir une figure importante du développement de ce classique : Jane Jensen, scénariste et réalisatrice. À vrai dire, son nom ne me parlait pas des masses, et la people-isation du jeu vidéo ne m'intéresse pas, mais quand même, on pouvait s'attendre à de la qualité pour l'histoire de Gray Matter. Et le pari est tenu : les personnages sont vraiment très intéressants, Sam Everett particulièrement : aveuglée par son rationalisme et sa personnalité introvertie, elle trompe son monde, ne fait confiance à personne et, se faisant, s'enfonce dans l'erreur de façon quasi irréversible. Elle se donne tout ce mal pour aider malgré lui le docteur Styles, un reclus avec qui elle doit se sentir des affinités.

Also...

Le but de Sam est de faire partie de l'élite des magiciens du fameux Daedalus Club de Londres. Il faut normalement pour cela monter ce qu'ils appellent "a game", c'est-à-dire un gros coup de bluff, un tour particulièrement impressionnant. Rien à voir avec the game donc, que vous venez d'ailleurs de perdre. Sam pense très rationnellement que les événements teintés de fantastique qui ponctuent les expériences du docteur Styles sont en fait une grosse arnaque montée contre lui. L'œuvre d'un magicien qui tenterait son propre super bluff. Et toute l'histoire va jouer sur cette ambiguïté jusqu'au dénouement : y a-t-il tromperie en la demeure ? Une vraie réussite de ce côté-là.

Poudre aux yeux

On oublierait presque qu'il y a un jeu d'aventure associé à ce scénario, et il y a plusieurs choses à dire à son sujet. Tout d'abord, ce n'est pas très dur. Certaines énigmes sont bien pensées et bien intégrées, mais le challenge intellectuel est rarement au rendez-vous. L'élément de design qui consiste à utiliser toutes sortes de tours de passe-passe est aussi un bon point côté scénar, sans pour autant s'avérer très passionnant niveau gameplay. Mais le plus dérangeant concerne de nombreux mécanismes qui tombent comme autant de cheveux dans la proverbiale soupe, tant au niveau du scénar que des manipulations d'objet, ou des dialogues.

Double WTF with extra lol

Laissez-moi vous parler de mon incrédulité. Elle est super pratique, mon incrédulité. On peut la suspendre partout, très facilement. Sans déconner, on peut même la suspendre à des conduits d'aération, c'est dire. Du coup, il y a pas mal de moments dans Gray Matter où l'action est tirée par les cheveux dans du gravier sur trois kilomètres, mais ça va, je tolère. Cependant, il suffit de deux ou trois occurrences qui franchissent les bornes et on se retrouve à se dessiner des sourcils en plus sur le front pour pouvoir les double-hausser. Le fameux panneau en bois de l'introduction (voir la preview Gray Matter) en était un exemple, mais il y en a malheureusement d'autres, et des gratinés, surtout sur la fin, juste avant la conclusion (qui est bien, je précise). Sans spoiler, le style de ce passage que je vous laisse découvrir n'est pas mauvais en lui-même, mais il dénote trop soudainement du reste du jeu, et on se sent un peu trahi par l'ambiance.

Faites un effort un peu, quoi...

Je ne peux pas conclure sans aborder auparavant l'aspect technique de Gray Matter, qui menace de passer la frontière entre old-school et décrépit-school. Les différents tableaux ne manquent pas de charme, mais on les aurait souhaités un peu moins statiques. Les dessins des cinématiques auraient pu se montrer d'une plus grande finesse. Les modèles sont animés, et c'est tout le bien que je trouve à en dire. Bref, ce n'est pas terrible-terrible, même pour un jeu à 40 euros. Les joueurs PC fans du genre n'en tiendront pas rigueur, mais les consoleux risquent de faire grise mine, plus habitués qu'ils sont à ce qu'on exploite à fond leur machine. Sans compter les contrôles au pad pas spécialement ergonomiques qui demandent un sacré temps d'adaptation. Faut en vouloir, du point & clic !

Gray Matter propose indéniablement un très bon scénario jouant sur des personnages et des situations complexes. Mais le gameplay risque de décevoir les pros du genre par sa facilité. De plus quelques grosses bavures de design cassent régulièrement l'ambiance. Comme si la technique n'avait pas déjà du mal à la maintenir... Merci néanmoins à Jane Jensen pour son histoire et ses personnages qui m'ont totalement séduit. Je lui conseille à l'avenir de trouver des game designers un peu plus rigoureux et du fric pour une réalisation légèrement améliorée. Il y a sûrement de quoi faire des titres vraiment mémorables avec des scénars pareils.