Ce test est une republication de celui originellement paru le 25/08/2010 (version import japonaise).

Plaisir, c'est le maître mot qui domine ce Ghost Trick. Capcom, l'éditeur légendaire, est pris en tenaille par son envie de gagner des sous en sortant des suites et des dérivés et sa volonté d'innover. Monster Hunter Super Street Alpha Evil Director's Cut, c'est eux. Et puis d'un autre côté, comme pris de honte de nous ressortir toujours les mêmes recettes, ils essayent de faire des jeux plus modestes pour, avec un peu de chance, nous refaire le coup de Gyakuten Saiban, le jeu culte bricolé avec deux francs six sous mais avec beaucoup d'idées. Ghost Trick est vraiment une récompense pour Shu Takumi, condamné à faire du Phoenix Wright comme un pisse-copie, une série qu'il avait pourtant créée dans le dos de Capcom. Inaba, son producteur d'alors, adore d'ailleurs raconter comment il a couvert la petite équipe de Gyakuten Saiban en faisant croire à la boîte qu'ils développaient un jeu de caisse bidon. Dix années plus tard, il est devenu une star qui a carte blanche. "Vas-y mon gars, tu nous refais la même". Facile à dire.

Vivant de rire

La mort, ici, n'a rien de glamour : pas d'acte héroïque, pas d'étreinte amoureuse, même pas de paradis rempli de vierges lascives. Dans Ghost Trick, elle a la forme de la gueule improbable de Sissel, étalé, les fesses en l'air. Si le ridicule tuait, il crèverait une deuxième fois. Pas de bol, c'est lui qu'on incarne. Après dix secondes de cliché du type "suis-je vraiment mort", Sissel se rend compte qu'il n'est plus qu'une âme dont la principale capacité sera de rôder d'un objet à l'autre. Petit à petit, il va recomposer sa mémoire mais l'urgence, pour dégager sa nouvelle priorité : sauver la jeune Lynne, cheveux tout aussi rouges que ses jolies bottes. Elle est sur le point de se faire descendre par le même gus patibulaire qui lui a déjà logé une boulette entre les omoplates.

Les enquêtes attendront. Vite, sauvons-la. Même dématérialisée comme un DLC, l'âme de Sissel va donc s'incarner d'un objet à l'autre. Pas de sauts fantastiques, mais à force de ricocher à droite et à gauche, de glisser par la force du stylet, il va traverser l'écran qui le sépare de l'assassin. Il dispose d'un autre pouvoir, celui d'interagir avec les objets qu'il vient habiter. Une lampe s'allumera, une valise s'ouvrira tandis que les pédales d'un vélo se mettront à tourner : de quoi gagner à chaque fois quelques précieux centimètres jusqu'à l'étape suivante. On tâtonne ainsi comme dans un puzzle jusqu'à trouver la bonne combinaison qui fera tomber un poids bien lourd sur la tête du gus malfaisant. Il n'y a qu'une seule combinaison possible. Mais il ne s'agira pas seulement de sauver des innocents. Sissel devra ainsi espionner ce que disent les vivants pour mener à bien son enquête, un peu à la manière de Miles Edgeworth dans son propre jeu. Il pourra aussi se déplacer par les lignes téléphoniques. Panthéiste jusqu'au bout des ongles, Ghost Trick nous permettra de parler à différents animaux ou même à des objets, toujours gorgés d'informations concernant l'histoire. C'est guidé par une lampe, tout droit empruntée du logo de Pixar, que notre héros décédé découvrira enfin son meilleur pouvoir : celui de remonter le temps, pas plus de quatre minutes avant l'heure fatidique. Ce petit laps de temps va transformer un jeu d'aventure déjà assez original en casse-tête, de type "Sauver cette pauvre petite fille du vilain assassin avant qu'il ne débarque." Alerter le chien pour qu'il aboie, claquer une porte bien fort, bref, des pouvoirs façon poltergeist. Pour un jeu d'aventure, ce déroulement en deux temps (enquêter puis sauver) n'est pas sans rappeler, encore et toujours, Phoenix Wright.

Mort à crédit

Il est facile de recenser les ressemblances de Ghost Trick et de Phoenix Wright. Même jeu d'aventure textuel ultra-bavard. Mêmes personnages charismatiques et hauts en couleur, etc. Le jeu des 7 erreurs peut continuer jusqu'aux bruitages, ponctuant vos trouvailles de sons rappelant les bonnes vieilles objections d'avocats survoltés made in Capcom. Mais c'est peut-être dans ses différences que Ghost Trick brille. Tout d'abord grâce à cette réalisation soignée. Fini les hommes troncs un peu figés, on peut enfin admirer des personnages de la tête aux pieds, animés d'une manière qui fait penser au rotoscoping d'Another World. Le rendu donne un petit côté "amécomics" (les comics US pour les japonais), un peu dans la même veine qu'Exit. Mais le plus important, c'est la mise au placard de ces moments frustrants purement "Phoenix Wright", quand il nous manque un tout petit maillon du raisonnement pour prouver la culpabilité manifeste d'un criminel. Ghost Trick est plus cohérent, les idées suivent un "flow" plus logique et plus organique. On comprend là où l'on doit aller au lieu de reconstituer des présomptions d'innocence comme on remplirait les blancs d'un questionnaire. Évidemment, comme tout jeu d'aventure du genre, c'est absolument linéaire, et il n'y a quasiment aucune replay value. Une dizaine d'heures pour le finir, comme d'habitude. Mais on joue en connaissance de cause, et Ghost Trick est à vivre intensément, pour profiter des effets "whatdeufeuck" de son scénario, pour le plaisir et la joie qu'il procure.

Avec son pitch abracadabrantesque et ses persos ultra-poseurs, Ghost Trick balance un vent de fraîcheur sur le jeu d'aventure DS. Un jeu que ses concepteurs ont indubitablement pris plaisir à faire, ça se sent aussi clairement qu'une star du X qui prend vraiment son pied sur un tournage : c'est suffisamment rare pour ne pas bouder son plaisir. Capcom ne nous ment pas sur la marchandise : Ghost Trick a ce petit souffle des jeux heureux d'exister et d'en mettre plein la vue. Réussir une première fois avec Phoenix Wright, c'était la classe, mais on s'incline devant cette manière de redémarrer l'usine de la cool attitude. Chapeau bas.