Il s'agit donc une simulation de chasse, dans laquelle une poignée de "hunters" sur-équipés partent traquer des créatures dix fois plus grosses et dangereuses qu'eux. Des monstres issus d'un imaginaire heroic fantasy très occidental mais surtout inspiré des dinosaures, ces créatures aussi fascinantes qu'effrayantes. Un vieux trip de gosse, en réalité : terrasser le dragon puis le dépecer pour s'en faire une épée - de préférence plus grosse que celle du voisin. Et on assume. Parce que Monster Hunter Tri, c'est avant tout un jeu de chasse qui se pratique à plusieurs, en ligne, en collaboration. Au programme donc : stratégie, communication (un défi en soi, vous allez comprendre pourquoi), mais aussi fierté et, avouons-le, un peu de frime aussi. Comme dans toutes les virées entre potes.

Le dragon des copains

Pensez à un MMO en plus light. Après avoir créé votre avatar, vous devez tout d'abord passer haut la main quelques quêtes qui font office de tutorial, pour ensuite avoir le droit de vous connecter via le Wi-Fi de la Wii. Tuer quelques bestioles innocentes, miner pour la première fois, intégrer les rudiments des systèmes de ressources et de forge... Une petite heure et demi sera tout de même nécessaire. Lorsque la Beauté de la Guilde (une vraie peste) recevra finalement du travail sérieux à vous proposer - ça commence quand même par une collecte de champignons, faut pas pousser - il sera enfin temps de quitter votre village. Les aventuriers peuvent se retrouver jusqu'à quatre dans une même ville (en réalité une petite zone en ligne réunissant quelques échoppes et une taverne d'où démarrent les quêtes) selon des critères prédéfinis : ouvert à tous, par niveau, amis seulement... afin de communiquer entre vous, vous disposez d'un système de chat écrit plutôt fastidieux, et d'une liste d'emotes (ces petites expressions corporelles permettant de traduire une notion simple : content, "en avant !", applaudir, etc.). Les habitués des jeux en ligne le savent bien, ça rend complètement débile pendant dix minutes, puis on ne s'en sert quasiment plus jamais. Du moins en Occident, et seulement quand on a le choix de parler dans un micro. Mais il apparait très vite évident que le Wii Speak, pourtant testé dans sa version définitive, ne vous sera d'aucune utilité : grésillements, variations de volume,difficulté de comprendre les phrases de plus de cinq mots... C'était déjà incompréhensible à deux, alors on n'imagine même pas le boxon lorsque quatre joueurs seront réunis. Il est donc temps de se taire (et ça, c'est dur pour moi) de se rabattre sur le chat et les emoticons, puis de partir en silence à la chasse au monstre en choisissant parmi différentes catégories de quêtes : collecte, traque et capture.

Plus c'est gros, plus c'est chaud !

Chacune de ces catégories a ses spécificités. La collecte, plus simple en apparence, peut se révéler extrêmement fastidieuse lorsqu'il s'agit de rapporter un nombre astronomique de boyaux de monstres plutôt coriaces qui se déplacent en bans. Mais l'activité la plus excitante des chasseurs de Monster Hunter reste bien sûr la capture. Elle se révèle bien plus dangereuse que la chasse classique, où il "suffit" de tuer la cible, car il faudra traquer, débusquer une proie souvent entourée de ses petits, l'affaiblir suffisamment pour espérer la paralyser sans la tuer, puis enfin parvenir à la faire tomber dans un piège. La coordination est alors primordiale, les aventuriers devant se répartir le matériel en fonction de leurs affinités : "qui s'occupe des munitions paralysante ?", "qui fabrique et emmène les pièges ?", etc. Gloussements nerveux, interjections pas toujours très polies, appels au secours... les premières tentatives se révèlent aussi désastreuses qu'amusantes. Rapidement dépassés par la horde de prédateurs, déboussolés par le schéma de comportement de la proie qui a décidé d'inverser les rôles, les explorateurs même les plus vaillants prendront leurs jambes à leur cou à un moment ou un autre (les animations de changent alors et son d'ailleurs hilarantes). Bref, il va falloir s'y mettre très sérieusement s'ils ne veulent pas laisser la frustration prendre le pas sur leur amitié. Une excellente connaissance de l'environnement permettra de retrouver un animal blessé, une bonne affinité avec l'arme choisie assurera une plus grande efficacité en combat, et enfin l'équipement adéquat évitera de se faire totalement cramer les fesses par un monstre chasseur de feu !

Un inventaire d'apothicaire

Heureusement, Monster Hunter Tri encourage fortement ce que l'on appelle dans l'univers des jeux de rôle les équipements de grosbill. Rien à voir avec la boutique (quoique...), cela veut simplement dire que les armures et les armes se doivent d'être toujours plus abusément puissantes, améliorées, rares et chères. Et jolies aussi, car reprenant systématiquement le design des dizaines de monstres qu'il a fallu éventrer pour se confectionner ne serait-ce que le plus petit protège-tibia. Outre leur aspect exclusivement pratique et la nécessité de composer plusieurs sets d'armure adaptés aux différentes missions, elles tiennent aussi lieu d'indicateur social. Car il n'y a pas de points d'expérience dans Monster Hunter Tri, ni de niveaux et d'arbre des compétences. Ici, seules les armes et les armures évoluent.
Le plus intéressant pour se constituer un équipement décent, sans perdre trop de temps ou d'argent, c'est encore le troc. En mode hors-ligne, les héros pourront échanger matières premières, cultiver plantes et insectes, ou encore se procurer quelques raretés dans leur village. En ligne, il faudra s'adresser aux marchands de la ville ou encore s'arranger entre joueurs. Les japonais ont toujours été très friands d'optimisation à l'extrême, d'inventaires bourrés de petits objets amassés qu'il faut ensuite trier, combiner, échanger puis fondre en une armure parfaite. Cet aspect inévitable de l'univers de Monster Hunter Tri se révèle extrêmement cohérent, calibré à la perfection, et surtout tout aussi addictif que la chasse en elle-même. Vous êtes prévenus.

Dur, dur d'être un chasseur

Mais une grosse épée ne suffit pas à faire un bon chasseur. Même la Morpho-Hache (toute nouvelle arme de cet épisode, qui change d'apparence d'un geste du poignet élégant) ne suffira pas à vous éviter l'évanouissement. Car dans la pratique, Monster Hunter Tri se révèle extrêmement difficile à manier. Sa jouabilité rigide hérité des MMO des années 90 ne permet pas de conserver une visée automatique sur la cible, ni d'annuler une action en cours. Pire : des animations d'un autre temps indiquent l'utilisation d'objets... Quel est l'intérêt de se soigner en plein combat si le signe de victoire ridicule de votre personnage a permis à votre proie de vous rejoindre ? Celle-ci n'a plus qu'à cueillir votre malheureux avatar. L'autre point noir du jeu, ce sont les combats sous-marins. Les joueurs sont déjà déstabilisés par la profondeur, et ce qui s'annonce comme un défi plutôt excitant (d'autant plus que les environnements aquatiques étonnent par leur variété et leur beauté) va probablement dégoûter plus d'un joueur impatient ou frustré par le manque de précision globale du jeu, que la latence sous-marine ne fait qu'augmenter. Heureusement, oserons-nous dire, derrière les animations parfois bluffantes des monstres se dévoilent très rapidement des patterns, ces modèles de comportement qui répondent à des situations précises (à un certain pourcentage de dégât reçu, la créature choisit de fuir pour se soigner, par exemple). Ainsi, si la nervosité et la fluidité des productions récentes ne sont pas au rendez-vous, un sens aigu du timing et une parfaite compréhension des différentes phases du combat assiéront la prédominance des joueurs old-school. Mais pour tous, la bouffée de fierté et l'immense joie que provoque la réussite d'une quête difficile, ça n'a que le prix de votre manette classique fracassée sur la table du salon et qu'il a fallu racheter !

Poor Lonely Hunter

Soyons honnêtes, le jeu en solo est un passage obligé de l'expérience Monster Hunter Tri. D'abord parce que c'est la honte de débarquer en ville avec son armure de maille de débutant, ensuite parce que le butin d'une quête suffit rarement à produire une seule pièce d'équipement sur un set complet. Il va donc falloir partir en chasse libre et réaliser quelques quêtes presque seul pour avoir accès à de nouvelles zones de chasse en multijoueur. C'est à ce moment qu'entre en jeu "Chacha", le petit lutin qui nous "aide" lors des combats. Honnêtement, il fait surtout un bon appât capable de distraire l'attention de la cible... à condition qu'il ne tente pas de vous rejoindre. Parce que là, c'est la cata. Il faut donc ne pas trop attendre de son intelligence artificielle (qui n'en est pas une) et savoir apprécier lorsqu'il tape un peu, se soigne en disparaissant un certain temps après un K.O., revient... On peu aussi lui attribuer capacités spéciales et bonus en changeant masques et chants. Pas très au point, mais inévitable, il est aussi très mignon. Ça compte aussi. L'arène quant à elle s'adresse aux joueurs en duo, qui peuvent jouer sur le même écran. Vous aurez là, en réalité, une version très allégée de la vraie chasse. Lieu fermé oblige, il n'y a pas d'aspect traque, juste les deux joueurs et un monstre. Léger, mais mieux que rien. Cela dit, chasser seul a aussi du bon. On regrette forcément à un moment ou à un autre que la Wii scintille, que les couleurs soient parfois un peu ternes... Fatalement, la profondeur de champ s'obtient grâce à un morcellement du terrain de chasse en petites zones. Mais le jeu reste tout de même très joli et l'ambiance de la traque en solitaire (affronter seul à seul des ennemis que l'on devait autrefois fuir ou combattre à plusieurs, ramasser des champignons, etc.), c'est un tout autre type d'expérience, pas moins hardcore je vous l'accorde, mais qui a tout de même son lot d'excitation et de récompenses.

Monster Hunter Tri démontre encore l'excellence japonaise dans la ritualisation de la guerre et la préparation du chasseur. Mais il faut aussi faire avec le mutisme propre à l'expérience en ligne des nippons, incompréhensible chez nous, ou encore l'obligation de faire quelques achats... Enfin, son univers cohérent et ses graphismes qui coupent littéralement le souffle sur Wii ne cachent pas une jouabilité plutôt rigide et old-school, mais qui a le mérite de faire remonter à la surface des psychés de gamer, des sentiments de frustration et de dépassement de soi-même qui ne sont plus si courants avec les jeux d'aujourd'hui. Recommencer, ne jamais abandonner, et à la clef une gratification bien plus importante à nos yeux qu'une barre chocolatée ! À recommander principalement aux joueurs hardcore donc, ceux qui n'ont pas peur de dresser un gameplay rebelle jusqu'à le maîtriser totalement, et bien entendu ceux qui sont prêts à s'allier pour défier et terrasser le jeu.