À première vue, il est possible de penser que les scénaristes du Ryu Ga Gotoku Studio se sont contentés de reprendre la formule de Kazuma Kiryu lors de la création du personnage d'Ichiban Kasuga. Il est en effet question d'un mafieux orphelin au sens de la justice paradoxalement très prononcé, qui accepte de porter le chapeau pour un crime qu'il n'a pas commis et donc de faire une lourde peine de prison. En plus d'être déboussolé par l'évolution de la société lors de sa sortie de prison, il est quasiment immédiatement trahi par la personne pour qui il avait pourtant accepté de gâcher une partie de sa vie. Mais là s'arrêtent les points communs entre le mythique Dragon de Dojima et son successeur.

Déjà les deux personnages ne sont pas du tout situés au même niveau sur la chaîne alimentaire. Tandis que Kazuma Kiryu était une pointure au sein de la pègre nippone, un membre important d'une famille influente au sein du clan Tojo, Ichiban Kasuga est clairement un sous-fifre chargé des basses besognes, au sein d'une petite famille de seconde zone liée à ce même clan Tojo. Là où Kazuma Kiryu est une force de la nature stoïque, Ichiban Kasuga est très expressif, impulsif amical et un peu bas du front. Et tandis que les contacts du premier héros de la série s'adressent généralement à lui avec respect, les interlocuteurs d'Ichiban, amis y compris, n'hésitent pas à se moquer ouvertement de sa bêtise. Et cela fonctionne.

Started from the bottom

De par son statut et sa situation financière pour le moins précaire, Ichiban Kasuga se retrouve au début de son aventure dans une situation totalement différente de celle de Kazuma Kiryu. Laissé pour mort dans une pile d'ordures à Yokohama, un Ichiban blessé et sans le sou est "recueilli" par un groupe de SDF de la ville, parmi lesquels figure Nanba, un infirmier déchu qui va rejoindre sa quête. Car si Ichiban est bien le héros du jeu, il va être accompagné tout au long de son aventure, comme dans tout JRPG qui se respecte, par des personnages qui n'auraient normalement jamais dû se rencontrer mais dont les destins sont pourtant croisés. Cette bande hétéroclite s'avère très vite attachante et l'on prend plaisir à découvrir ces héros malchanceux au fur et à mesure qu'ils apprennent à se connaître au cours de l'aventure. Alors qu'il essaie de se reconstruire et de venir en aide à ses nouveaux amis, Ichiban va, Yakuza oblige, se retrouver au coeur d'un complot qui, en plus de lui permettre de comprendre ce qui lui est arrivé, touche jusqu'aux plus hautes sphères de la société japonaise.

Plot Twists à gogo

Si l'on n'entrera volontairement pas dans les détails de l'intrigue de Yakuza : Like a Dragon, il est possible de dire que son scénario (ainsi que les histoires racontées dans les quêtes et activités annexes) est une nouvelle fois de qualité avec des rebondissements à foison. Comme ses prédécesseurs, le jeu du Ryu Ga Gotoku Studio est clairement ancré dans son époque et offre une fenêtre sur le Japon actuel. Les yakuza ne sont plus ce qu'ils étaient et subissent plus que jamais la répression du gouvernement. Ils ont dû adapter leurs activités et ne sont plus aussi libre d'agir que par le passé. Mais malgré ces coups de vis de la part des autorités, les politiciens japonais sont loin d'être tout blancs et les "zones grises" autorisées par ces derniers et les liens de certains d'entre eux avec le crime organisé sont ici pointés du doigt (d'une manière évidemment romancée). Le jeu souligne également la situation des SDF japonais ainsi que celle des populations issues de l'immigration chinoise et coréenne (la Chine et la Corée du Sud sont perçus par SEGA et son studio comme un marché porteur et les appels du pied au public de ces deux pays se ressentent clairement ici). Peu de titres proposent un tel regard sur le Japon et cela a toujours contribué à la qualité et l'intérêt de la série.

Et même si l'intrigue principale est tout ce qu'il y a de plus sérieuse, l'humour est malgré tout omniprésent et est une nouvelle fois saupoudré habilement sur l'intrigue principale grâce au caractère d'Ichiban et aux situations vues dans le contenu annexe. Certaines scènes comiques et répliques méritent vraiment d'être vues pour être crues. Certaines punchlines font rire à voix haute et la parodie de Pokémon présente dans le jeu mérite vraiment que l'on s'y attarde (les ennemis croisés tout au long de l'aventure servent à remplir une copie de Pokédex). À ce propos, la qualité de la traduction française doit être soulignée. La gestion des rapports humains si particulière au Japon (pour des yeux occidentaux) est bien retranscrite et les blagues sont habilement adaptées sans jamais donner l'impression d'avoir été trop francisées. Une fois n'est pas coutume, les personnes intéressées par le Japon et sa culture (y compris ses pans inavouables) ont tout intérêt à se pencher sur le cas de Yakuza : Like a Dragon.

Like a Dragon touched for the very first time

Ryosuke Horii, membre de longue date du Ryu Ga Gotoku Studio, a eu pour lourde tâche de réaliser cet épisode de la transformation. Jusqu'à présent responsables des activités annexes et parolier d'une grande partie des géniales chansons de karaoké présentes depuis Yakuza 3, Ryosuke Horii réalise ici son premier Yakuza. Un Horii pour diriger la création d'un RPG multipliant les références à Dragon Quest, cela ne s'invente pas. Et plutôt que se contenter de singer les références du genre en mettant en scène des combats au tour par tour sur plans fixes avec des personnages face à face qui agissent successivement, Ryosuke Horii et son équipe ont souhaité adapter la formule en y ajoutant la touche Yakuza. En combat, cela se traduit par la présence d'un système de combat dit "dynamique."

Ce dernier fait que les personnages n'arrêtent pas de se déplacer pendant le combat même quand cela n'est pas à leur tour d'attaquer. Dans le cadre d'attaques pouvant toucher plusieurs personnages à la fois, il peut donc être nécessaire d'agir rapidement avant que les ennemis ne s'éloignent les uns des autres. Dans la plus pure tradition des Yakuza, si un héros s'approche d'un ennemi pour l'attaquer au corps à corps alors qu'un objet de l'environnement pouvant servir d'arme se trouve à côté de lui, alors il s'en emparera automatiquement pour faire des dégâts additionnels. De plus, le temps ne s'arrête pas autour des combattants. L'un d'entre eux est envoyé valdinguer sur la route au moment où une voiture passe ? Cette dernière va alors causer de sérieux dégâts supplémentaires (et comme dans la vie, les voitures peuvent également renverser Ichiban et lui faire perdre une grande quantité de points de vie hors combat, il est donc essentiel de regarder des deux côtés avant de traverser).

Ces éléments viennent s'intégrer à des mécaniques de RPG plus traditionnelles mais toujours mijotées à la sauce Yakuza. L'univers réaliste dans lequel se déroulent les jeux de la série sert ici à adapter les éléments bien connus des joueurs de JRPG. Et ces derniers varient en fonction du job choisi pour chaque héros. Il n'y a pas de sorcier, de guerrier, de voleur ou encore de guérisseur dans Yakuza : Like a Dragon. Il est en revanche possible de faire des cuisinier, garde du corps, hôte, idole, ou encore voyant d'Uchiban Kasuga et sa bande. Avec les techniques de combat et compétence qui vont avec. Un hôte peut par exemple verser un seau d'eau glacée sur un ennemi afin de lui faire prendre froid. Une idole peut quant à elle charmer ses adversaires et les empêcher d'attaquer ou chanter une chanson pour redonner de la santé à ses coéquipiers. Le musicien peut de son côté casser les oreilles de ses adversaires en chantant une chanson ou faire des dégâts en jetant ses CD sur ses adversaires. Comme dans tout bon RPG qui se respecte, tous les ennemis ne sont pas sensibles à tous les coups et pouvoirs et c'est en remplissant son "Sujidex," la parodie du Pokédex évoquée plus haut, que l'on découvre ce qui est efficace sur tel ou tel ennemi.

Tout est connecté

Et là où les concepteurs de "Yakuza 7" s'avèrent particulièrement habiles, c'est que tous les éléments du contenu tentaculaire du jeu sont liés entre eux et influent sur les compétences d'Ichiban et le comportement de ses alliés. Gagner des peluches à l'UFO Catcher permet par exemple d'améliorer la gentillesse d'Ichiban (les différentes statistiques du héros sont elles aussi ancrées dans le réel). Ce même niveau de gentillesse du héros détermine ensuite son niveau de résistance à la rage en cours de combat. Autre exemple, Ichiban Kasuga fait de nombreuses rencontres au cours de son périple via des quêtes annexes. À l'issue de certaines d'entre elles les PNJ avec qui Ichiban a sympathisé deviennent "invocables" en cours de combat à l'aide de son smartphone (pour venir attaquer les ennemis, redonner des points de magie, provoquer des altérations de statut, etc.). Et le fait que ces invocations soient soit humoristiques soit spectaculaires n'est que la cerise sur le gâteau.

Pas la langue dans sa poche

En parallèle à tout ça, Ichiban dispose de différents moyens de renforcer ses rapports avec ses compagnons d'infortune. Passer devant un commerce spécifique peut déclencher un dialogue qui va améliorer leurs rapports. Aller manger au restaurant et commander un plat particulier peut lancer un dialogue caché qui lui aussi influe sur le lien entre Ichiban et ses camarades. Le yakuza déchu peut par ailleurs lancer des discussions avec ses compagnons dans le bar qui leur sert de repère et leur donner des conseils qui améliorent la relation qu'ils entretiennent tout en boostant les compétences du héros. En faisant progresser la sous-intrigué de chaque coéquipier d'Ichiban, ce dernier devient plus proche avec eux, ce qui influe sur ce qui se passe en combat. Un coéquipier proche d'Ichiban pourra par exemple attaquer automatiquement un ennemi tombé par terre à côté de lui ou encore débloquer une attaque en duo spéciale. Plus l'aventure progresse plus la toile tissée par les développeurs impressionne. Il apparaît qu'ils ont véritablement pensé à tout et ne se sont pas contentés de remplacer le gameplay des combats.

Pour ce premier essai pour le moins risqué, le Ryu Ga Gotoku Studio s'en sort donc d'une manière plus qu'admirable. Mais de petites améliorations seront malgré tout possibles dans un éventuel/probable Yakuza 8 (Yakuza : Like a Dragon 2 ?) Les développeurs pourraient par exemple s'assurer que les interactions avec les armes présentes sur le champ de bataille soient plus naturelles quand les ennemis sont éloignés, ou que les personnages ne bloquent pas plusieurs secondes contre des barrières quand un obstacle sépare un personnage de son ou ses adversaires. Mais ces remarques ne sont que de détails tant le système fonctionne dans son ensemble. Même si les fans de JRPG pourront clairement trouver leur compte dans Yakuza : Like a Dragon, ce dernier, grâce à son univers et sa manière de s'approprier et de modifier les codes du JRPG pourrait presque être qualifié de "JRPG pour ceux qui n'aiment pas les JRPG."

PS4's gonna PS4

Yakuza : Like a Dragon a beaucoup fait parler de lui ces derniers temps en raison de sa présence sur Xbox Series X le jour de lancement de cette dernière et de l'exclusivité Xbox "temporaire" de sa version next-gen. En attendant l'arrivée de la version PS5 de Yakuza : Like a Dragon le 2 mars prochain, les joueurs PlayStation peuvent se rabattre sur la version originale du titre, autrement dit la version PS4. À l'instar de ses deux derniers prédécesseurs (et Judgment), le RPG du Ryu Ga Gotoku Studio tourne sur le moteur maison, le Dragon Engine. Et les habitués de la série seront donc en terrain connu sur PS4. Les environnements fourmillent de détail et les personnages principaux bénéficient d'une modélisation très soignée avec des visages encore plus expressifs que par le passé (on aimerait que tous les PNJ croisés en cours de mission ou dans des cinématiques bénéficient d'un tel soin). Bien que le jeu tourne en 1080p sur PS4 Pro (la résolution tombe sous le Full HD sur PS4 standard), il apparaît que le Ryu Ga Gotoku Studio a continué d'optimiser son moteur. L'aliasing paraît en effet moins présent qu'il ne l'était sur Yakuza 6 par exemple. Et pour ce qui est du framerate, le jeu est en 30 images par seconde. C'est moitié-moins que sur next-gen mais les joueurs de Yakuza 6, Yakuza Kiwami 2 et Judgment ont réussi à faire avec jusqu'à présent. Ce framerate ne devrait donc pas empêcher les personnes qui ne disposent que d'une PS4 ou d'une PS4 Pro de profiter de l'aventure. À noter également que les temps de chargement sont sensiblement plus longs que sur next-gen. Mais une fois encore, faute de grives on mange des merles comme le dit l'expression.

Pour ce qui est de la partie sonore de la réalisation du jeu, le Ryu Ga Gotoku Studio s'en sort une nouvelle fois avec les honneurs. Si le style Yakuza est indéniable, des pistes entendues ici ont des sonorités vraiment différentes de ce qu'on a pu entendre précédemment dans la série. Certaines musiques ont par exemple des petites touches "chiptune" qui rappellent discrètement qu'Ichiban, grand fan de Dragon Quest de son état, voit son aventure comme celle d'un jeu vidéo. Les nouvelles chansons de Yakuza sont sans surprise réussies et il est également possible de se procurer des CD in-game qui donnent la possibilité d'écouter au bar des chansons tirées de différents jeux SEGA (Sonic Adventure, Daytona USA, Persona 5, Yakuza, etc.) Du côté du doublage, le travail réalisé est là aussi de qualité. Les comédiens principaux sont une nouvelle fois efficaces, menés par un convaincant Kazuhiro Nakaya (déjà interprète de Nishiki dans Yakuza 0 et Kiwami) dans le rôle d'Ichiban Kasuga. À noter également la présence d'Akio Ôtsuka, l'interprète de Solid Snake dans la version japonaise de Metal Gear Solid, dans le rôle du sympathique ex policier Adachi. Votre serviteur est en revanche un peu moins convaincu par le doublage en anglais avec des comédiens qui ont tendance à surjouer. Ce doublage pouvant totalement être ignoré, il est finalement inoffensif.

L'anti-jeu service

Comme tout jeu Yakuza qui se respecte, Yakuza : Like a Dragon déborde de contenu annexe de qualité. Outre les nombreuses quêtes facultatives aux thématiques et situations pour le moins variées, le titre de SEGA permet de se distraire de très nombreuses manières. Certaines d'entre elles sont bien connues des fans de la série : cages de baseball, golf, salles d'Arcade avec les jeux SEGA rétro, karaoké, etc., d'autres sont totalement nouvelles. Le jeu contient par exemple un mini-jeu de kart parodiant Mario Kart (les carapaces vertes sont remplacées par des bazookas) dans lequel il est possible d'acquérir et d'améliorer son véhicule et de prendre part à des compétitions. Ichiban peut également se rendre dans un cinéma pour regarder des classiques du cinéma. Cette activité se traduit par un mini-jeu de réflexes dans lequel il faut empêcher le héros de s'endormir. Et comme dans le reste du jeu, prendre part à ses activités influe sur les compétence de l'ancien yakuza aux cheveux en pétard.

Yakuza 0 (et d'autres épisodes qui avaient proposé des modes similaires depuis) avait séduit les joueurs qui avaient pris le temps de s'y intéresser avec ses modes de gestion de société immobilière et de bar à hôtesse étonnamment étoffés. Dans Yakuza : Like a Dragon, la chose va ici encore plus loin. En effet, Ichiban se voit confier la direction d'une petite confiserie souffrant de grandes difficultés économiques. Aidé par un business angel, l'ancien yakuza va devoir faire remonter la pente à cette société en gérant absolument tout : achats et amélioration de locaux, recrutement, formation et licenciement du personnel, et même dialogue avec les actionnaires lors de conférences. Si elle peut impressionner de prime abord, cette activité annexe donne envie de s'y attarder longuement et souligne une fois de plus la grande créativité des membres du Ryu Ga Gotoku Studio.

Encore à peaufiner ?

Là où Kamurochô pouvait paraître densément rempli de par sa superficie relativement réduite, Yokohama, map qui ne doit clairement pas rougir en termes de choses à faire ou à voir, peut paradoxalement sembler un peu vide par endroits avec des longues rues où il ne se passe pas grand chose. C'est peut-être là où le Ryu Ga Gotoku Studio va devoir apporter le plus de modifications s'il envisage de renouveler l'expérience du RPG au tour par tour. L'aventure telle que l'imagine Kasuga, et telle qu'on l'attend dans un JRPG à la Dragon Quest, doit permettre de voir du pays. Les développeurs vont donc continuer de devoir user de leur créativité pour remplir encore plus les environnements. Et ce, même si Yakuza : Like a Dragon ne souffre absolument pas de la comparaison avec d'autres JRPG en ce qui concerne le contenu extrascolaire. Repenser à l'évolution de la série des Yakuza en termes de contenu proposé d'un épisode à l'autre, et constater la qualité de ce que les développeurs ont réussi à faire pour ce premier JRPG donne de quoi être confiant quant à l'avenir de cette nouvelle branche de la série. Ryosuke Horii, Masatoshi Yokoyama, Daisuke Sato et tous les autres ont en tout cas la pleine confiance de votre serviteur.