Separation débute dans une salle à l'apparence de station spatiale, avec en son centre une sorte de caisson d'hibernation. On est invité à ouvrir celui-ci pour y découvrir un ours en peluche accompagné d'une voix qui résonne dans notre tête et nous demandant de ne pas nous rendormir. On se questionne alors. Qui (ou que) sommes-nous ? Une âme ? Ne serait-ce pas plutôt un rêve ? Vous l'avez peut-être compris, Separation est typiquement une expérience sujette à interprétation.

Seul au monde

La première porte franchie, on se retrouve plongé dans un environnement aride, presque minimaliste, aux parois rocheuses et aux constructions vertigineuses rappelant parfois ICO. On est alors libre de nos mouvements, un peu perdu face à plusieurs chemins qu'il est possible de fouler sans restriction. Un mécanisme à manivelle qui ne semble pas utile aux premiers abords, un obélisque aux parois réfléchissantes ou encore une statue de Bouddha géante tenant une bougie qu'il est possible d'allumer, telles sont les premières découvertes énigmatiques de notre périple naissant.

Separation n'est jouable qu'à la manette. Les PlayStation Move n'auraient d'ailleurs aucune utilité, puisque nous ne possédons ni enveloppe charnelle, ni ombre projetée au sol, nous ne sommes peut-être même qu'une pensée qui traverse l'esprit d'une personne dépressive, qui sait ? Pas de téléportation ici, le contrôle est donc total tel un FPG traditionnel (First Person Game, rappelez-vous de ce sigle plus adapté). Le déplacement est plus rapide en marche avant, avec la possibilité de tourner artificiellement de façon angulaire (la rotation fluide sera proposée ultérieurement). Le jeu n'ayant pas besoin de "traquer" notre manette, nous avons pu y jouer sans utiliser la rotation in-game, c'est-à-dire debout en tournant physiquement dans notre salle de jeu, renforçant ainsi l'immersion dans ce monde virtuel étrange (un siège rotatif fait tout aussi bien l'affaire).

L'oeuvre d'un seul homme

Si c'était plutôt courant dans les années 80 et 90, développer un jeu vidéo seul est devenu de plus en plus rare tout en étant infiniment plus compliqué. Separation est pourtant l'oeuvre d'un seul homme, Martin Wheeler, également compositeur de musiques électroniques sous le nom de Vector Lovers. Si la qualité sonore et les orchestrations qui prennent aux tripes sont au rendez-vous, on ne peut en dire autant de l'aspect graphique du jeu. Ne lisez pas ce que je n'ai pas écrit : le jeu n'est pas moche pour autant, il propose même des panoramas magnifiques malgré des textures simplistes et parfois baveuses. Les couleurs sont ternes, à l'exception de quelques éléments "surnaturels" mais cela ne gâche en rien le plaisir de découvrir cet univers énigmatique. On y traverse d'ailleurs divers temples mais aussi des structures métalliques gigantesques qu'il est parfois possible de gravir à l'aide d'un ascenseur à manivelle, permettant ainsi de surplomber une partie de ce monde. Techniquement, le jeu n'utilise pas le flou "cache-misère" de certains jeux VR, tout est parfaitement net, même au loin. Le côté vertigineux des environnements est entièrement sublimé par l'immersion que procure la réalité virtuelle, que ce soit de jour comme de nuit. Parce que oui, le jeu jouit également d'un cycle jour-nuit naturel, incluant au passage quelques surprises un peu plus colorées.

L'ambiance sonore participe grandement à l'immersion malgré son côté minimaliste. La plupart du temps, ce ne sont que les bruits de nos pas qui résonnent, parfois le vent qui souffle, mais aussi les croassements des corbeaux qui sont eux, liés à notre quête. Ceux-ci représentent en effet les chagrins qui ont vraisemblablement provoqué la dépression de notre hôte. Les suivre nous amène tout d'abord à un mécanisme générant un faisceau lumineux bleu qu'il faut ensuite propager d'obélisque en obélisque, le tout ponctué par de petites énigmes. La progression est somme toute linéaire, bien qu'il faille parfois avancer à l'aveugle afin de débloquer une situation en amont dont la solution n'était pas spécialement évidente. Sur notre route sont parfois disposées des statues de feuilles mortes à la silhouette d'homme. En leur sein, un dodécaèdre rouge représente un des dix chagrins qu'il faut libérer au cours de l'aventure. C'est généralement à ce moment-là que la bande son sort de son sommeil avec des musiques composées par ce même homme, mélancoliques mais non moins puissantes. D'ailleurs, coïncidence ou pas, la toute première note musicale du jeu semble carrément être un écho de celle du célèbre thème d'un film de Stanley Kubrick, 2001 : L'Odyssée de l'Espace.

Un voyage symbolique

Separation est ce qu'on appelle plus communément un simulateur de marche, bien que cette classification ait une connotation péjorative. Ici, il ne s'agit pas simplement d'avancer mais d'oeuvrer afin d'emmener un faisceau de lumière mystérieux, résolvant une poignée d'énigmes et libérant peu à peu les chagrins de cet homme jusqu'au climax final, qui est d'ailleurs très réussi tant au niveau artistique qu'en termes d'immersion. Deux autres types de locomotion viennent cependant agrémenter nos pérégrinations, permettant d'accéder aux chagrins inaccessibles jusqu'alors. Enfin, le jeu propose parfois quelques séquences dont il est difficile de saisir tout de suite le sens, notamment celle des cabines téléphoniques, qui semble représenter l'appel d'un être cher qu'on attend mais qui n'arrive jamais, faisant de chaque appel une désillusion. Nul doute que le jeu regorge de messages forts, à condition de savoir les capter et surtout, faire preuve d'empathie pour celui qui nous fait vivre son mal de l'intérieur.

Separation est plus qu'un jeu, c'est un témoignage poignant d'une personne ayant réussi à vaincre sa maladie, une séparation tragique, la dépression et l'isolement. Un message fort qui se parcourt sans encombres durant 4 heures environ, par ailleurs intégralement traduit en français. Bien que les voix qui résonnent dans notre tête soient dans notre langue, il ne s'agit en réalité que de samples chuchotés de la prière catholique "Je vous salue Marie" en boucle qu'il est possible de reconnaître malgré le travail de modification effectué par le développeur. Ce ne sont pas les vrais dialogues du jeu, qui eux sont uniquement sous forme de texte. La traduction française n'est d'ailleurs pas optimale sur cette première version du titre mais celle-ci est en cours de refonte intégrale au moment où nous écrivons ces lignes.