Roland, mon beau Roland...

Commençons par un petit cours de rattrapage pour ceux qui ont manqué le match du siècle dans le numéro 2 d'IG Magazine entre Virtua Tennis 2009 et Grand Chelem Tennis (personne n'est parfait, hein). Non content de s'être octroyé la licence officielle des quatre tournois du Grand Chelem, le titre d'Electronic Arts arbore une sacrée pléiade de sommités tennistiques d'hier (McEnroe, Borg, Sampras, Navratilova) et d'aujourd'hui (Federer, Nadal, Sharapova, les sœurs Williams). À l'exception d'un ex-chevelu et de son épouse (voire de Connors, Lendl et Seles pour chipoter), le casting réunit ainsi la crème de la crème de la discipline. Évidemment, ça en jette sur la jaquette ! GCT ne s'est cependant pas arrêté là, puisque le vice a été poussé très loin question authenticité. Cela se traduit par la présence de plusieurs courts pour chaque tournoi, avec par exemple le Philippe Chatrier, le Suzanne Lenglen, le n°12 et un court annexe à Roland Garros. Des arènes plutôt riches en détails d'ailleurs, nonobstant le public passé au rouleau compresseur. Nous sommes sur Wii, rappelons le, ce qui n'empêche pas GCT de restituer l'atmosphère de chacun de ces temples avec exactitude, notamment grâce à de savants jeux de lumière et autres effets de flou.

Des champions plus vrais que nature !

Cette réalisation toute en rondeurs s'étend à l'apparence un rien caricaturale des personnages, de véritables portraits crachés de leurs modèles ! Et je ne parle pas seulement de leur look ou de leur attitude sur le court (McEnroe maltraite régulièrement ses raquettes), car chacun dispose de sa propre palette de coups, y compris sa gestuelle, reproduite avec minutie. En clair, cela signifie que Federer se montre encore plus dangereux côté coup droit qu'en revers, même s'il se fend régulièrement de magnifiques slices avec ce dernier. Le plus fort reste l'intelligence artificielle qui reprend le type de jeu de nos champions, doublé d'un large éventail de réactions. Pour un peu, on croirait presque que la console s'adapte à notre stratégie, voire à la situation. Citons le cas du prodige nippon, Nishikori, qui campe sur la ligne de fond de court sur terre battue mais n'hésitera pas à multiplier les montées au filet lorsqu'il évolue sur surface rapide. Si l'on y ajoute les voix digitalisées de nos virtuoses de la raquette et des spectateurs qui savent s'enflammer au bon moment pour assurer l'ambiance, l'illusion de fouler le gazon de Wimbledon n'a jamais été aussi convaincante...

Wiimote or Wii Motion Plus, that's the question

D'autant que la Wiimote se substitue au manche de la raquette, selon deux configurations, avec ou sans Wii MotionPlus. À la Wiimote seule, l'expérience s'apparente à un prolongement du tennis de Wii Sports. Plus on frappe tôt, plus la balle est croisée, les effets dépendant de l'inclinaison du mouvement (vers le bas pour un slice et vers le haut pour un lift). Il faut subséquemment avoir recours aux boutons (A et B) pour se fendre de lobs de crocodiles et de classieuses amorties. Enfin les déplacements du personnage peuvent être gérés soit semi automatiquement (le pad sert éventuellement à s'avancer vers le filet), soit manuellement (en branchant le nunchuk) pour ceux qui souhaitent creuser un tantinet les choses. Et bien évidemment, GCT s'appuie sur le principe de latéralisation, de telle sorte qu'il faut préparer son coup, en vrai. Autrement dit, un droitier doit armer son bras vers la gauche quand la balle arrive sur son revers, à moins d'essayer de le contourner pour exécuter un coup droit et donc de se décaler en conséquence. Passé un petit temps d'adaptation, cette méthode permet aux néophytes de rapidement prendre plaisir à taper dans la balle.

Des sensations pures...

Naturellement ce n'est qu'avec le Wii MotionPlus que GCT dévoile son potentiel, du moins tant qu'on lui laisse le temps de se recalibrer entre les points (c'est le rôle de la pause marquée ostensiblement par les joueurs avant de servir). Le module détecte ainsi avec davantage de précision les effets (à partir de la rotation de la Wiimote), la puissance des frappes et par-dessus tout leur trajectoire, désormais déterminée par l'amplitude du geste (plus on accompagne, plus on croise). Soulignons que la réactivité du Wii MotionPlus n'atteint pas le rapport de 1 pour 1 promis par Nintendo, les développeurs ayant décidé de le brider afin de réduire l'incidence des gestes parasites. Cette efficacité accrue dans la prise en compte des mouvements n'en reste pas moins impressionnante. Pour l'illustrer, prenons le revers de votre serviteur, qui a tendance à être souvent slicé dans GCT. Et pour cause, puisque lorsque je gambade gaillardement sur un vrai court, j'effectue la plupart de mes revers à deux mains, ceux à une main étant réservés aux coups de défense ou aux montées au filet, des balles slicées, justement ! Bluffant n'est-ce pas ?

De l'art d'accompagner au toucher de balle... virtuel

En revanche, l'approche qui lie accompagnement et trajectoire est sujette à discussion d'un point de vue tennistique. Dans la réalité, la trajectoire de la balle résulte d'une infime différence d'inclinaison du tamis au moment de l'impact. Une telle subtilité semble à notre avis impossible à reproduire parfaitement avec la Wiimote, même associée au Wii MotionPlus, tout simplement parce qu'il n'y a pas vraiment d'impact. L'équipe d'EA Canada aurait pu se cantonner à utiliser le Wii MotionPlus pour le timing et les effets, sachant qu'il était envisageable de déterminer la trajectoire avec le stick du nunchuk, façon vieille école. Toutefois nos développeurs ont préféré exploiter au maximum les capacités ce nouvel accessoire. Résultat, il paraît assez étrange de devoir raccourcir son geste pour effectuer un coup décroisé, un phénomène encore plus délicat à négocier pour les volées, du fait de la rapidité qu'elles exigent. Dans ces conditions, un certain doigté est requis, pour ne pas dire un toucher de balle virtuel...

Faut boffer, et pis f'est tout !

Pas besoin de vous faire un dessin, GCT délivre des sensations incroyablement proches de la réalité, pour peu que l'on s'y investisse avec la rigueur que suppose une simulation. C'est-à-dire qu'avant de poser des amorties rétros millimétrées ou de claquer des passings rageurs le long de la ligne, il faut d'abord apprendre à garder la balle dans le court, les fautes faisant partie intégrante de GCT, comme en vrai quoi ! La marge de progression s'avère par conséquent ÉNORME. Heureusement, le titre a de quoi nous motiver dans cette tâche parfois ingrate mais ô combien gratifiante, qu'il s'agisse de passer des heures face à la machine lance balles, d'aller se mesurer à d'autres joueurs en ligne ou bien sûr d'essayer d'accomplir le Grand Chelem. Malgré l'absence regrettable d'un quelconque système de classement et d'un circuit limité à ce quatuor de tournois, ce mode retranscrit avec une fidélité admirable l'intensité d'un tel évènement, en particulier par la possibilité de jouer les rencontres au meilleur des cinq manches. Et ne nous y trompons pas, la carrière n'a rien d'éphémère si l'on veut débloquer l'ensemble du matériel et des aptitudes disponibles. Ces dernières s'apprennent en remportant des défis face aux légendes, proposés avant chaque tournoi. Entre la vitesse de Hewitt, la condition physique de Borg et le service de Roddick, on peut se tailler un personnage sur mesure avec les talents et les gestes de son choix, une perspective d'autant plus réjouissante qu'on peut les intervertir à tout moment.

Une future référence et une référence pour le futur

En somme, GCT mérite de figurer au panthéon de l'art tennistique et il ne fait aucun doute que l'on en reparlera encore dans longtemps, à l'image d'un certain Final Match Tennis... Peut-être n'est-il pas inutile de rappeler qu'à son époque, l'œuvre mythique de Human n'avait pas fait totalement l'unanimité au sein de la critique. Par manque de temps (parfois) ou de compétence (souvent), certains n'avaient pas su voir le joyau qu'ils avaient entre les mains. Une histoire qui se répète bizarrement, semble-t-il, avec GCT... Enfin, pas si bizarrement que ça, dans la mesure où l'on trouve un mordu (et un véritable joueur) de tennis à l'origine de GCT, en l'occurrence Thomas Singleton, de la même façon que Final Match Tennis est issu du travail passionné de Ryoji Amano. Pour chacun de ces titres, on pourrait d'ailleurs noircir des pages entières à décrire tous les petits détails qui rendent ces simulations si authentiques. Encore faut-il être capable de les percevoir...

Hélas, c'est un triste constat, les simulations de tennis souffrent toujours d'un déficit de (re)connaissance, notamment en comparaison des productions footballistiques. Pas besoin d'une enquête sociologique pour deviner que le ballon rond jouit d'une plus grande popularité que la petite balle jaune. Alors je ne dis pas qu'il faille s'appuyer sur une culture encyclopédique des jeux de tennis et être soi-même un joueur de tennis expérimenté pour donner son opinion sur un jeu de tennis, mais un tel bagage est préférable pour que cet avis soit suffisamment éclairé et par extension, pertinent. À bon entendeur...