Taïwan, les années 80. Vous regardez la télévision dans votre petit appartement un peu bordélique. Votre épouse vous adresse la parole tout en restant dans la cuisine. Rien qui sort de l'ordinaire. Sauf que vous êtes comme cloué à votre canapé. Votre vision se brouille petit à petit, l'impression que votre esprit vous joue des tours. Vous rouvrez les yeux. Quelque chose a changé chez vous. Il fait plus sombre et, surtout, vous êtes seul. Vraiment ?

Chansons de foi

Dans la plus pure tradition des Walking Simulator de l'angoisse, lorsque Devotion commence, vous ne comprenez rien. Un dessin d'enfant sur la table, une photo de votre femme plus loin... Et le reste, vous allez le découvrir en marchant, en ramassant des objets d'apparence anodins mais qui trouvent toujours un réceptacle adéquat, et des notes qui révèlent plusieurs indices sur une troublante vérité. Des voix, également. Elles s'adressent à vous. Pas toujours directement. Pas toujours dans le présent que vous semblez avoir quitté. L'époque change souvent.

Vous évacuez votre lieu de vie pour y revenir par une autre porte et découvrir une pièce interdite renfermant un autre secret. Vous arpentez des couloirs délabrés, poisseux et des halls familiers. Vous réalisez que votre famille - une femme et une fille - est au coeur du récit. Chercher à recoller les morceaux du puzzle ne vous laisse pas indemne. Votre parenté, votre foi, la place que vous laissez à la mère de votre enfant sont questionnées. Elles façonnent un voyage claustrophobe et solitaire où, à la façon d'un Silent Hill, le réel se fond dans un imaginaire qui trempe dans un mysticisme aveugle et une imagerie enfantine. Où les blessures de la vie se matérialisent en salles sombres, inquiétantes, suffocantes baignant dans le folklore taïwanais.

Xièxie la famille

Se vivant comme un cauchemar douloureux et oppressant, Devotion se parcourt d'une traite. Scotché à l'écran, enrôlé sans peine grâce à une réalisation sublime et une partition audio de haute volée qui l'englobe tout du long, le joueur déambule dans des zones parfaitement conçues, où les obstacles et la place des sources de lumière, des couleurs, de la crasse, du sang, ont un sens. Horrifique, le jeu ne cherche pas à trop en faire, sait quand placer le bruitage ou la musique qui convient, à quel moment tenter le jumpscare, le malaise et même, dans une scène qui provoque encore le dégoût chez votre serviteur rien qu'en y pensant, le gore, pour s'imposer comme un véritable film d'horreur à la première personne. Non sans glisser un tantinet de poésie colorée, voire d'espoir - futile, bien entendu - qui ne sera pas sans faire penser au merveilleux What Remains of Edith Finch.

L'expérience touche au sublime grâce à une réalisation absolument épatante. Le moindre élément d'un environnement, la moindre silhouette, poupée, ou apparition furtive paraît à notre portée. Parfaitement compartimentée et maîtrisée dans son rythme, offrant des interactions claires, l'aventure s'avère volontairement lente et pesante sans jamais, pourtant, entraîner l'envie de décrocher. La façon dont l'histoire dévoile chacune de ses strates n'a rien à envie aux meilleurs des jeux du genre. Peut-être une fois pourra-t-on pester, c'est vrai. Ironique, puisqu'il s'agit du moment où l'on est autorisé à courir, et pas dans la plus grande des sérénités, que l'on trouvera le temps plus long. Reste qu'à la fin, c'est la sidération et la certitude d'avoir traversé un moment de jeu vidéo exceptionnel qui prévalent.