Cela fait déjà près de sept longues années que nous avons visé la lune avec le somptueux Portal 2, qui transformait l'essai du premier épisode en étoffant son univers et sa narration, et laissait éventuellement rêveur quant à un hypothétique troisième opus. Mais de Portal 3 il ne sera point question, puisque Valve aura finalement décidé de filer les clés de la boutique aux autrichiens de ClockStone, un studio qui se sera fait une petite réputation sur la toile depuis la sortie du premier épisode de leur série de construction, Bridge Constructor en 2011.

Under (and over) the Bridge

Et c'est ainsi que débarque quelques semaines après son annonce officielle Bridge Constructor Portal, un étonnant bac à sable situé de manière assez improbable entre Lemmings et World of Goo. Les petits curieux qui auraient déjà testé leurs talents d'ingénieurs en herbe sur l'un des précédents opus thématiques de Bridge Constructor ne seront pas difficiles à convaincre, puisque cette nouvelle déclinaison se "contente" de démultiplier les possibilités en intégrant les mécaniques de Portal à cette ingénieuse simulation de construction.

Pour les autres, Bridge Constructor Portal prend la forme d'un jeu de construction à la physique savamment réaliste, avec tout ce que cela comporte de points de tension, de pression, et autres principes de soutien qui font le quotidien des partisans du génie civil. À partir de points d'attache déterminés, il va donc vous falloir dresser des ponts de toutes sortes : suspendus, portées, à poutre, toutes les folies seront permises, pourvu qu'elles résiste à cette foutue gravité.

Des nouvelles de Jean ?

Et parce que tous les joueurs n'auront pas eu l'occasion de vivre pleinement les quatre années réglementaires d'école d'ingénieur, le jeu prend évidemment le temps de vous enseigner quelques rudiments architecturaux avant de vous propulser dans la cour des grands. Si les vétérans de World of Goo pensent ne plus avoir grand chose à apprendre des principes physiques régissant nos frêles bâtisses, la perspective de se faire malmener par la plus sarcastique des IA fait passer la pilule sans même ronchonner. Le menu propose même de potasser librement un recueil des meilleures constructions qui révèle tout son potentiel passé le premier tiers du jeu.

Il ne faut pas s'y tromper : si les premiers niveaux n'opposent pas une grande difficulté, l'ajout savamment progressif des mécaniques chères à Portal vont rapidement venir pimenter l'ensemble. En effet, le Fenwick (© Shenmue) qu'il vous faudra systématiquement mener à bon port va rapidement devoir franchir des bassins d'acide en vol plané, éviter les tirs mortels des tourelles ou encore effectuer des saltos aériens à la réception plus qu'improbable, de quoi perdre en sus quelques passagers distraits. En l'espace de 60 tableaux variés, le joueur patient et curieux apprendra à maîtriser de nombreuses astuces pour ne pas faire s'écrouler trop vite leurs installations facturées au prix fort. Il est cependant dommage que le budget ne pèse absolument pas sur la réussite, puisque les moyens s'avèrent illimités et donc purement indicatifs.

Ma cabane au cas par cas

Alors il va falloir tester, se tromper, sacrifier un nombre incalculable d'employés pour que l'un d'entre eux finisse par franchir cette fichue ligne d'arrivée. Mais c'est bien là l'une des forces de Bridge Constructor Portal : en l'espace de 60 niveaux, vos méninges seront mis à rude épreuve, mais l'échec n'est jamais une fatalité. À chaque essai infructueux, le jeu affiche en rouge les points de tension problématiques : à vous de trouver un palliatif pour équilibrer votre structure, quitte à tout reprendre de zéro. Ce n'est d'ailleurs pas véritablement une punition, dans la mesure où Bridge Constructor Portal s'avère relativement simple à prendre en main.

Que ce soit pour poser des entretoises, les déplacer, les supprimer, ou les raccorder à l'aide d'élastiques à l'extension salvatrice, chaque structure se bricole en quelques secondes avec un peu de pratique, et il sera parfois plus simple de tout défaire pour corriger le tir. Seulement voilà, une fois le premier Fenwick amené à bon port, le jeu vous propose de sérieusement mettre à mal votre génie en vous proposant le véritable défi : celui du convoi. Si vous aviez pu faire le malin parce que vos bricolages de fortune ont réussi tant bien que mal à valider le niveau, les structures pensées pour un usage unique s'écroulent souvent comme un château de cartes sous le poids de la dizaine de chariots élévateurs qui doivent parfois faire preuve de timing pour donner l'impression d'un ballet aérien chorégraphié.

Pata Pata Pata Pont

Optionnels à souhait, ces convois sont pourtant le meilleur moyen de garantir à Bridge Constructor Portal une durée de vie conséquente : si la difficulté progressive se veut aussi addictive que diabolique, accoucher d'un ensemble viable sur le long terme pourra vous empêcher de fermer l'oeil plusieurs nuits durant, pour peu que vous voyez comme votre serviteur du genre obsessionnel. D'abord pensée pour le PC, la série des Bridge Constructor s'adapte relativement bien à la Switch, en proposant de combiner Joy-Con et tactile, en tous cas pour les joueurs nomades. La possibilité de sauvegarder plusieurs slots pour chaque puzzle rend le jeu merveilleusement souple, puisque l'on pourra ainsi sauvegarder ses meilleurs réalisations, ou au contraire les moins glorieuses, histoire de faire rigoler les potes de passage à la maison.

L'ajout des éléments emblématiques de la dilogie de Valve ouvre tellement le champ des possibles qu'il pourra piquer la curiosité même des joueurs les plus distants du genre. Les fans seront quant à eux ravis de trouver du fan service à tout, même si les saynètes ponctuant chaque dizaine de niveaux ne vont pas finalement chercher bien loin. Et si la présence indispensable d'Ellen McClain au doublage de GLaDOS occasionnera quelques sourires, l'écriture de Bridge Constructor Portal n'atteint certainement pas les sommets déjà légendaires de la série originale. En même temps, il y avait fort à faire.