Une voiture rouge s'arrête lentement devant l'entrée d'une plage. Une jeune femme, le ventre rond en sort, l'air pensif. Le véhicule démarre à nouveau, laissant la future maman seule. Tenant un petit carnet de notes entre ses mains, elle avance lentement sur la plage déserte, laissant les traces de ses pieds dans le sable fin... Un voilier et un phare au loin, le bruit de l'eau, le cris des mouettes... Ici l'atmosphère est paisible. Soudain, alors que le personnage s'assied sur le sable et ouvre son carnet pour parcourir ce qui semble être ses dessins d'enfant, je bascule dans un autre monde. Celui de ces charmants gribouillages. Celui d'une ballerine au visage masqué. Quel est le lien entre ces deux personnages ? La jeune danseuse semble être l'incarnation de la mémoire de la jeune femme. Une mémoire fragile, abîmée, tourmentée...

Le lac des cygnes

Dans cet univers étrange et envoûtant, notre danseuse est chargée de sauver le monde des griffes d'un monstre gigantesque, ce qui pourrait s'appeler dans notre réalité, recoller les morceaux... La reine, qui n'est autre que sa mère lui a en effet confié ce fardeau qui semble bien pesant pour les frêles épaules de la jeune princesse... Son petit corps svelte, ses petits pieds, son casque ailé et chacun de ses mouvements font d'elle un personnage très recherché à qui on s'attache instantanément.

Car ce qui fait la particularité de Bound, au delà de son univers décalé, artistiquement puissant, c'est cette petite danseuse. Gracieuse, elle magnifie chacun de ses mouvements, tel un cygne. De la marche simple aux sauts, tout est empreint de délicatesse, d'élégance. Les sauts sont des entrechats et la marche qu'elle effectue à un rythme vif, se fait par petits pas, les bras tendus de part et d'autres de son corps menu.

Lorsqu'elle ne marche pas et que je ne touche pas à la manette, la tendre ballerine s'étire doucement ou fait des mouvements charmants. Si elle a froid, agressée par la pluie battante, elle grelotte, se frotte les bras nerveusement. Lorsqu'elle passe sur une corniche étroite, elle semble presque glisser sur ses pointes. Au contact d'herbes folles elle les caresses subrepticement de ses hanches en décrivant des arcs de cercles avec ses jambes... Comment ne pas y voir de la poésie ? Idem quand elle pousse un élément, ce sont des pas de tango qu'elle enchaîne et lorsqu'on appuie sur R2 elle nous offre une chorégraphie maîtrisée, libérant au passage des rubans de lumière évoquant la gymnastique rythmique...

Bref, le talent et la souplesse de Maria Udod, dont les mouvements ont été capturés ici, associés au talent de son chorégraphe Michał Adam Góral transparaissent dans chaque geste de notre héroïne et c'est un bonheur de la voir évoluer comme on regarderait une danseuse étoile sur la scène d'un opéra.

Un voyage plus introspectif que punitif

Notre princesse avance donc dans ce monde onirique aux couleurs vives dans lequel des milliers de polygones en mouvements semblent l'attendre pour dessiner le décor. Certains chemins se dessinent sous nos pas, quelques-uns se dévoilent après avoir déclenché un mécanisme, d'autres me permettent d'avoir les mains libres et je la regarde glisser de longues minutes sur des rubans gigantesques qui courent dans le vide loin devant nous... Ici, impossible de ne pas penser à Journey ou encore à Flower. La même élégance réside dans Bound. La réalisation artistique du titre est réellement surprenante et elle vous fera voyager sans aucun doute.

Ici, point de gameplay ardu ; il suffit de se laisser porter dans ce chemin initiatique où chaque particule mouvante semble être un morceau de la mémoire de cette jeune-femme sur la plage. La seule difficulté semble être de ne pas rater une plate-forme, ou de bien attraper une corde afin d'éviter de tomber dans le vide. Oui les amateurs de jeux où le gameplay est roi n'y trouveront pas leur compte c'est sûr. La part belle étant ici faite à la contemplation, l'exploration, le voyage...

Si je souligne ici la réalisation artistique grisante, je n'oublie pas non plus la bande-son dont les notes empreintes de tristesse soulignent le souffrance qui hante les souvenirs de notre parcours. En effet, à de nombreuses reprises, à chaque fin de chapitre, des scènes seront révélées. Celle-ci sont les réminiscences de la future maman, brisées en mille morceaux et qu'il faudra remettre en place, un peu à la manière d'un puzzle... Je m'y hasarde en vue subjective regardant les moindres détails qui se remettent en place comme des débris de glace que je recolle lorsque je les frôle... Étrange. Ces moments sont si tristes, plein de mélancolie. Notez qu'une fois les scènes reconstituées, une porte s'ouvre permettant de "sortir" du souvenir.

La petite ballerine semble terrifiée par ces derniers. Lorsque je la retrouve, elle se débat, comme possédée par la tristesse de ces images du passé. Le seul moyen de s'en libérer c'est de danser. Dévorée par un passé trouble la jeune princesse qui sommeille dans l'esprit de la jeune femme (ou incarne t-elle, comme je le pense, son esprit lui-même ?) doit donner libre court à son art pour ne pas sombrer. D'ailleurs, certains éléments d'un décor qui devient de plus en plus sombre au fur et à mesure de ma progression, m'attaquent sans prévenir et le seul moyen de me défendre est de danser pour créer un halo protecteur avec les rubans dont je parlais plus haut. Une manière bien élégante de lutter contre le mal.

Sens dessus dessous

Vous le verrez, le petit monde torturé de notre danseuse étoile se situe au dessus d'un océan. Elle devra traverser des ponts, rejoindre des plateformes, prendre des ascenseurs, gravir des marches, utiliser des échelles, des rubans pour se hisser plus haut ou descendre plus bas et elle se retrouvera aussi parfois la tête à l'envers... La caméra pourra vous donner le mal de mer dans ces passages qui sont littéralement sans dessus dessous... Mais l'équipe de Plastic nous offre ici un univers profond, riche d'images, de sens.

On sait que le titre a été crée selon les codes du Suprématisme notamment (mouvements d'art abstrait) dont on retrouve les formes de base dans le jeu : si vous êtes attentifs vous remarquerez que les gouttes de pluie s'écrasent sur le sol formant des croix, des ronds et des carrés... Au delà du clin d'oeil à la PlayStation, ces petits détails marquent bien le côté très abstrait du jeu ce qui , de mon point de vue est assez fascinant tant cet univers est réellement touchant, plein de sens, si chimérique soit-il.

Bound, s'il n'est pas parfait techniquement parlant (et peut-être plus efficace encore en réalité virtuelle tant son monde est incroyable), m'aura offert un voyage enivrant qui n'est pas loin de me rappeler ceux entrepris grâce à des titres d'exception tel que Journey comme je le disais précédemment. Un chemin bordé de réflexion qui mérite qu'on le parcourt les yeux et l'esprit grands ouverts... en réalité virtuelle comme à la manette.