C'est dans un contexte compliqué qu'est né le bébé de Valhalla Game Studios, la société fondée par le géniteur de Dead or Alive après son départ de Tecmo. Tout d'abord annoncé en 2010 sur 360 et PS3 sous l'égide de THQ, le titre perd son parrain deux ans plus tard. Il faudra attendre 2014 pour qu'il bénéficie du soutien de Nintendo et devienne par la même occasion une exclusivité Wii U. Ce n'est pas pour autant qu'il s'en tire beaucoup mieux, puisque de persistantes rumeurs font état d'une annulation sur le sol américain. Bien que ces dernières aient été démenties peu après par Nintendo of America, déclarant être excité à l'idée de sortir le jeu aux Etats-Unis, le doute reste permis.

En effet, alors que Devil's Third est déjà disponible au Japon depuis le 4 août et se retrouvera sur les étals européens dès la fin du mois, il ne pointera pourtant le bout de son nez qu'à la fin de l'année au pays de l'Oncle Sam. Bizarre, tout de même. Et ce ne sont pas les previews occidentales qui rassurent, la plupart d'entre elles - assassines - dénonçant d'énormes soucis, autant techniques qu'au niveau du gameplay. Itagaki, comme à son habitude, se la joue un brin provoc' en invoquant une question de "skill", et ajoute qu'il faut utiliser une manette Wii U Pro, le Gamepad étant inadapté à l'exercice. Ce n'est pas totalement faux, mais pas tout à fait vrai non plus...

Modern Gaiden Solid ?

Un accouchement dans la douleur, donc. Et pour quel résultat ? Autant le dire de suite : malgré du potentiel, le produit à l'arrivée ne se révèle guère fameux. Commençons par féliciter la vision du studio qui a du sens : Devil's Third est un beat'em all à la troisième personne, qui passe en vue FPS dès qu'il s'agit de viser avec l'une des nombreuses pétoires mises à notre disposition (fusils d'assaut, à pompe, sniper, mitraillettes, artillerie plus lourde).

A ce sujet, il est bon de noter que la prise en main globale est plutôt bien pensée, avec une utilisation intelligente des différentes touches, alliant le meilleur des deux genres. On dirige naturellement le personnage principal via les sticks analogiques. D'une pression sur celui de gauche, il se met à courir, une sur celui de droite, il se baisse (très utile pour se mettre à couvert derrière un abri). En appuyant sur les deux en même temps, il effectue une glissade. Ce mouvement lui permet de passer sous les obstacles, d'éviter les assauts adverses et d'effectuer des attaques-éclair. Les gâchettes, elles aussi, sont utilisées à bon escient : celles de gauche servent aux manoeuvres un peu tactiques, telles la visée et les esquives, tandis que celles de droite permettent de tirer avec les armes à feu et de lancer les grenades. Enfin, les boutons Y, X, B et A renvoient aux attaques au corps-à-corps, au saut et au rechargement.

En fait, il y a peu de choses à redire quand il s'agit des contrôles choisis. Même à bord des véhicules qu'il faudra conduire ici et là, avec un maniement rappelant le Warthog des Halo. Un vrai gage de qualité. On donnera toutefois raison à Itagaki quand il avance que le Gamepad peut poser problème dans le feu de l'action, à cause de la taille de l'appareil, de la forme des sticks, etc. Mais bon, cela n'est pas propre que pour ce jeu.

La mise en scène tout à fait kitsch avec ses personnages grandiloquents et "too much" (certains manquent pas mal de charisme quand d'autres flirtent allègrement avec le mauvais goût) peut légitimement déplaire. De notre côté, c'est ce ton décalé, que l'on pense assumé, cette espèce de "parodie" des productions Kojima, qui nous aura permis de tenir le coup et d'aller au bout de l'aventure.

Ivan le boloss

Non, ce n'est pas le scénario de série Z qui nous a déçus. Ce n'est pas non plus le déroulement chaotique de l'aventure (on enchaîne des missions dans différents spots sans réelle cohérence) qui est mis en cause. Ni même le fait de jouer le rôle d'un russe chauve, tatoué, aux lunettes noires portant le nom d'Ivan. Quoique... Non, ce qui nous a réellement gênés se situe au niveau technique : sans exagérer, on se croirait devant une mauvaise production de l'ère PS2. De textures pauvres en modélisations coupées à l'opinel, Devil's Third enchaîne les tares. Le framerate étant loin d'être constant, ça rame à tout va (jusque dans les cutscenes !). La caméra passe son temps à s'emballer et les protagonistes se perdent derrière des pans entiers du décor.

A côté de ces désagréments d'ordre visuel, nous noterons aussi que la judicieuse prise en main se retrouve gâchée par une imprécision générale des commandes. Si la visée en ironsight ne facilite pas les tirs, car trop lente et par à-coups, le combat au corps-à-corps, lui, manque clairement de finesse : on spamme les attaques tout en abusant des esquives dans un ballet brouillon et bourrin. Et ce n'est pas l'éveil d'Ivan qui y changera grand-chose. Bien au contraire. Cet état, il y a accès en effectuant suffisamment de kills à l'arme blanche. Il suffit alors d'appuyer sur Y et B simultanément une fois la jauge en bas de l'écran remplie et notre ami entre dans une folie furieuse, ne craignant quasiment plus les coups et frappant plus fort. Entre cette condition cheatée, certaines animations invincibles lors des éliminations et l'inexistence d'IA ennemie, il n'y a aucun mal à avancer. Seuls quelques boss posent (de gros) problèmes. Mais plus par injustice aléatoire que par réelle stratégie. Bref, du skill qu'il disait ? Tout ceci est d'autant plus étonnant qu'Itagaki nous avait jusqu'alors habitués à des productions minutieuses et soignées.

Le sourire sur le ghetto...

Dans ce capharnaüm sans nom se pose la partie multijoueur, un poil plus complète et "captivante". Au point que l'on en oublierait presque les défauts énumérés plus haut. Plusieurs raisons à cela. Tout d'abord, la customisation se trouve au coeur de ce multi. D'ordre cosmétique bien sûr, mais pas que. Il est possible de configurer son arsenal jusqu'au moindre détail : arme principale, secondaire, de poing, spécialisation de la classe, etc. On regrette cependant la possibilité d'acquérir les meilleurs équipements par le biais d'oeufs dorés. Ces derniers servent de monnaie rare que l'on gagne au fur et à mesure des matchs et connexions mais l'on peut aussi les acheter avec de l'argent réel !

Ensuite, il y a de quoi faire avec tous les modes de jeu disponibles : chacun pour soi, en équipe, sans armes à feu, d'autres options originales impliquant des fruits (!) ou le mode Siège où il est demandé d'attaquer/défendre un territoire. Celui-ci est particulièrement intéressant dans la mesure où il influe directement sur les différentes factions. Une bonne avancée permet ainsi d'avoir accès à des meilleurs bonus qui peuvent faire la différence pendant ces guerres de clans. Encore faudrait-il qu'il y ait des joueurs. Juste pour vous donner une idée, j'ai passé des journées entières à attendre. Pour finalement ne faire que quelques parties. Même pas pleines !

Tel un ado terrible sur le chemin de la rédemption, le multi de Devil's Third tente de réparer les erreurs et errances passées du solo. Malheureusement, il reste correct mais n'a rien d'exceptionnel non plus, et ne peut de toute façon pas faire oublier l'énorme déception que constitue le produit final dans son ensemble. Un premier enfant définitivement maudit.