Le destin se joue parfois à rien. Si seulement Alex McLeish, ancien coach d'Hibernian, avait écouté les conseils de son rejeton, Lionel Messi aurait peut-être délaissé les rangs de la Masia barcelonaise pour poursuivre sa formation en Ecosse. Fan absolu de la série des Football Manager, le fiston s'amusait à dénicher les cracks en puissance de l'époque sur son écran et soumettait ensuite ses trouvailles à son paternel. Sur le cas du quadruple Ballon d'Or, il obtint une réponse négative pleine de condescendance et une petite claque sur la tête. Cette anecdote, tirée du truculent documentaire "The Football Manager Documentary", explique bien la relation délirante qu'entretiennent les professionnels du milieu avec la série. La frontière entre le réel et le virtuel n'a jamais été aussi floue depuis que plusieurs clubs, comme Everton ou Nice, ont passé des accords avec Sports Interactive pour utiliser la colossale base de données du jeu dans le cadre de leur recrutement.

Pionnier de la classe

Cette base de données, aussi complète que précise, demeure la grande force des Football Manager, dont le but est toujours de mener votre club vers les sommets au prix d'un dur labeur, d'interminables heures de jeu et autant de cernes indélébiles. 13.000 scouts, engagés pour faire le tour des stades du monde, ont couché des compositions d'équipes improbables et des notes multiples sur les caractéristiques des joueurs dans des cahiers petits carreaux à spirales. Un travail de fourmi reconnu pour coller le plus possible à la réalité et un gage de qualité pour la plus pointue des simulations de management sportif. De cette minutie, il en reste néanmoins des scories impardonnables pour les plus exigeants d'entre nous. Pour les plus chauvins, aussi. Car la BDD française a été complètement bâclée. Ceux qui, comme moi, privilégient la formation des jeunes et la recherche de la perle rare à la dépense sans compter, façon qatarie, seront déçus de voir que les équipes réserves n'ont pas beaucoup bougé, malgré des mouvements conclus lors de la dernière intersaison. Et que certains quadras, qui ont raccroché les crampons depuis belle lurette, restent disponibles pour un ultime challenge. Un mal sans doute corrigé par de futurs patchs - l'équipe s'est excusée, prévoyant de nouvelles méthodes de travail - mais qui la fout un peu mal pour un titre utilisé sans remord par de nombreux clubs professionnels à la faveur d'un partenariat avec la société Prozone.

Vers la Joga Bonito ?

Pour leur défense, les développeurs anglais ont pointé en priorité leur curseur sur le moteur du jeu, ce fléau qui rendait cet opus aussi sexy que la cuisine de Maïté. Longtemps, les mordus de Football Manager se sont contentés d'une bande de couleur sur laquelle défilaient les commentaires descriptifs des matches, sans aucune image. De là, certains ont développé une technique bien précise pour imaginer les actions et décrypter ces lignes de textes en un minimum de temps pour des parties ultra-resserrées. Aujourd'hui, nous sommes loin de ces balbutiements, et sans s'approcher des graphismes d'un FIFA 15, nous pouvons constater que la représentation des matches en 3D est enfin à la hauteur de la licence. Une nette amélioration rendue possible grâce à l'utilisation de la motion capture. Déplacements fluides, gestuelle des acteurs précise, stades modélisés, tout est plus maîtrisé pour donner aux actions des airs plus crédibles et moins redondants. Ce qui n'empêche pas des buts parfois venus d'ailleurs... Moi qui partais avec des a priori négatifs - le coeur du jeu ne se situant heureusement pas là - je me surprends encore aujourd'hui à assister à la totalité des 90 minutes, là où je revenais rapidement aux animations en 2D l'hiver dernier. Petite révolution dans ma vie de mec zombifié, qui a appris à occuper ses nuits devant son clavier...

La psycho pour les nuls

Car pour le reste, mes automatismes d'entraîneur en herbe n'ont pas été chamboulés. A une exception près; il est désormais possible de choisir son style de management dès le début d'une partie. A vous de voir si vous préférez vous glisser dans le survêtement Uhlsport d'un Guy Roux, réputé pour être une couveuse avec ses joueurs (demandez à Djibril Cissé !), ou dans le costard trois-pièces Armani de José Mourinho, aussi fin tacticien que bon communicant. C'est via un système de compétences, comme dans un RPG à l'ancienne, que vous vous attribuerez des points et que vous définirez votre profil. De ce postulat découleront des relations avec vos joueurs, poussées à l'extrême. Il est donc fortement recommandé de faire preuve de diplomatie et de psychologie dans sa communication (intégration de réunions individuelles et d'un conseil des sages) pour ne pas se mettre son effectif à dos. Surtout que vos protégés ont des sentiments exacerbés qui s'emportent pour un rien. Même ressort avec les supporters et les médias, omniprésents dans cette version (tabloïds comme presse spécialisée), qu'il faudra choyer pour compter sur leur soutien en cas de déconvenue sportive. L'aspect psychologique a donc été mis en exergue dans cet épisode, et ce n'est pas rien dans ce monde où la moindre petite phrase peut parasiter un vestiaire.

Comme toujours avec un nouveau Football Manager, on lance une partie, histoire de passer le temps et de croquer dans sa Madeleine, et on y laisse finalement notre vie. Notre oeil exercé de vieux routard des surfaces remarque vite les minimes changements qui optimisent sans cesse la consultation des menus. Si la barre horizontale en haut est toujours présente, celle-ci demeure moins fournie en raison de l'apparition d'un menu vertical sur la gauche de l'écran, qui permet d'accéder facilement à tous les domaines du club entraîné. De quoi déstabiliser quelques minutes les fans purs et durs, qui reviendront vite dans leur bulle colorée, épurée, personnalisée et y resteront cloîtrés des mois entiers. Quitte à perdre leur femme, leur gosse et leur job. Comme dirait Tony Jameson, comédien britannique accroc à Football Manager : "Ce n'est pas juste un jeu de football. Si tu perds, tu veux comprendre pourquoi et y remédier, et si tu gagnes, tu veux juste continuer à jouer". Amen.