Fort de sa campagne Kickstarter réussie, Oovee Game Studio va donc tenter de réveiller le chauffeur routier qui sommeille en chacun de nous. Et les bougres ne manquent pas d'arguments pour nous séduire : des gros camions, des litres de boue, des kilomètres de routes à découvrir et un moteur physique dédié à la gestion de tous ces ingrédients. Pour le reste, on ne s'embarrasse pas de détails superflus. Le scénario tient facilement sur la tranche d'un ticket de métro, puisqu'on incarne simplement un chauffeur routier prêt à tout pour transporter des marchandises d'un bout à l'autre d'une map relativement ouverte. Je dis "relativement", car la topographie des lieux et ses nombreux obstacles naturels placés ici et là empêchent souvent toute fantaisie ; il est donc presque obligatoire d'emprunter les routes. Et à en croire les développeurs de Spintires, les routes en Russie... c'est l'enfer sur terre.

Lâchez les veaux

Evidemment, atteindre sa destination sur la carte n'est pas une fin en soi, car c'est bien le transport en lui-même qui constitue le coeur du gameplay et qui fait tout l'intérêt du jeu. Après avoir choisi une des 5 cartes disponibles, on démarre de son petit garage perdu au milieu de nulle part et la première chose à faire, c'est de partir explorer la carte. On peut effectuer cette première découverte à l'aide d'une Jeep, plus petite et maniable, ce qui permet de baliser le meilleur itinéraire possible, avant de prendre le volant d'un de nos monstres d'acier pour rallier l'autre bout de la carte. Mais attention, ne vous attendez pas à avaler les kilomètres tranquillement, en écoutant Radio Novodvinsk avec une bouteille deVodka à la bouche main : non, jouer à Spintires, c'est d'abord accepter un combat, un challenge de tous les instants. Vous allez vous battre avec votre volant, votre camion, vous allez suer sur votre siège dans une lutte à mort avec chaque flaque de boue. Ici, les ennemis, ce sont les cailloux, les arbres, les dénivelés ; les Boss de fin de niveau, ce sont les collines, les pentes raides et les marres de boue profondes. Bref, vous allez en baver.

L'aventure extérieure

Rien qu'en mode "normal", la tâche est ardue. On se déplace avec prudence et dès qu'on s'aventure sur un chemin boueux, on a l'impression de rouler sur des oeufs : il faut gérer sa vitesse, jouer du volant pour braquer et contre-braquer avec technicité et éviter de patiner. Voilà, tout le gameplay est là : essayer constamment de grappiller mètre après mètre, en évitant à tout prix de s'enliser ou d'accrocher un obstacle fatal à notre avancée. Au cours de notre périple, on peut également tomber sur d'autres véhicules abandonnés et ainsi les débloquer pour les compter parmi les véhicules jouables, ou tout simplement découvrir de nouveaux garages ou des points de ravitaillement en carburant.

En revanche attention, je dois vous avertir d'un point particulièrement fâcheux : vous aurez beau essayer de tapoter toutes les touches du clavier, vous ne trouverez point de vue interne. Pas de modélisation de l'intérieur de la cabine, ni même de vue du capot. Dommage, cela nous prive d'un pan tout entier de la simulation, avec par exemple la gestion des rétros ou d'éventuels indicateurs internes de l'état de la mécanique...

Heureusement, la caméra extérieure est diablement efficace et permet de tourner autour du véhicule à 360°, ce qui est fort pratique pour anticiper les obstacles ou mesurer jusqu'à quel point on s'est enlisé à jamais. Quoiqu'il en soit, le moteur physique réagit fort bien en fonction de la taille ou du poids du camion, avec un niveau et une vitesse d'enlisement différente en fonction du véhicule, de sa position ou de sa vitesse, ce qui procure des sensations particulièrement réalistes. Côté maniabilité, en dehors de la technicité et du doigté requis pour franchir les obstacles, le pilotage est très accessible. Le combo clavier/souris se prête d'ailleurs parfaitement à l'exercice : un bon pad n'est pas obligatoire, même si les manettes sont bien gérées par le soft.

Ecotaxe

Rarement la bouillasse n'aura été aussi belle à regarder sur un écran HD. Le moteur maison (le VeeEngine) fait des merveilles. La déformation du terrain est particulièrement convaincante, avec mémoire de forme s'il vous plait, un peu comme certains matelas. Les véhicules sont également bien modélisés et nombre de petits détails sont là pour renforcer l'immersion : les roues qui éjectent des particules de boue dans tous les sens, les échappements qui crachent leur fumée noire à chaque accélération pour s'extirper de la mélasse, ou encore le bruit des moteurs, réaliste et crédible. En revanche, l'interface est assez spartiate et certains aspects semblent tout droit sortis d'un autre âge, à l'image de la carte générale qui pique bien les yeux. En ce qui concerne les exigences techniques du titre, Spintires pourra s'accommoder d'une config moyenne, certes, mais vous serez tout de même bien plus à l'aise avec une vraie bécane de jeu, ne serait-ce que pour profiter de bons bains de boue en 1920 x 1080 sans sacrifier la moindre chute de framerate.

L'arbre qui cache la forêt

Mais tout n'est pas rose au pays des soviets, vous vous en doutez bien. Pas mal de petits grains de sable viennent enrayer cette grosse machinerie. Déjà, le jeu est cruel, peut-être trop : après avoir franchi des obstacles par dizaines, réussi à sortir de la gadoue plusieurs fois là où tout semblait perdu, versé des litres de sueurs froides, il faudra parfois accepter de rester enlisé à jamais à quelques mètres seulement de l'arrivée. Certains trouveront ça tripant, mais c'est aussi terriblement frustrant. Et puis sincèrement, je veux bien qu'on soit dans une simu, mais parfois, l'enlisement parait inévitable et il est souvent un peu trop difficile d'avancer sans s'embourber de manière systématique.

Les arbres, eux aussi, viennent souvent gâcher la fête et nous mettre des bâtons dans les roues, aussi grosses soient-elles. Les éviter tient parfois du casse-tête et percuter un petit arbuste planté là peut vite se transformer en cauchemar. Ce qui m'amène à signaler que le rapport de force entre l'environnement et les camions est parfois singulier, pour ne pas dire rageant : des petits cailloux ou des morceaux de bois qui devraient normalement être écrabouillés par un monstre d'acier de plusieurs tonnes suffisent parfois à stopper brutalement notre avancée. Là encore, c'est frustrant.

Enfin, en dépit d'un mode multijoueur coopératif qui permet à plusieurs camionneurs de parcourir la carte simultanément, le contenu global du jeu me semble tout de même un peu chiche. C'est un peu le gros problème de Spintires : on a parfois le sentiment d'être davantage face à une démo du moteur maison, plutôt qu'un jeu complet et bien muri depuis plusieurs années.