Dans le monde de Shovel Knight, les chevaliers ont tous une arme distinctive. Le destin a voulu que celui que l'on incarne dispose d'une pelle. Dit ainsi, ça ne fait pas très sérieux. Mais mine de rien, son porteur n'a jamais été moqué. Il était même une des terreurs de sa caste, arpentant le monde en compagnie de sa douce, répondant au titre de Chevalier au Bouclier. Malheureusement, une de leurs pérégrinations a mal tourné. La jeune femme est restée enfermée dans la Tour du Destin, scellée. Triste, notre héros a alors vécu en ermite, sans pour autant perdre la foi. Lorsque les landes se voient contrôlées par huit Chevaliers corrompus aux ordres d'une Enchanteresse sortie de la fameuse tour, l'homme à l'excavateur sait qu'il y a toujours moyen de retrouver son aimée, qu'il imagine fréquemment sauver dans ses songes...

Garde la bêche

Alors, que peut-on faire avec une pelle dans ce jeu où chaque tableau s'apparente à un mix entre Mega Man, Wonder Boy et Castlevania ? Sachant que celui-ci, développé par des anciens de WayForward Technologies, ne cherche en aucun cas la complication, tant esthétique que ludique... Pas grand chose. Un coup "classique" devant le petit perso à l'armure cornue, la possibilité de creuser son chemin ou de déterrer, façon Super Mario Bros. 2, quelques trésors lorsque des amoncellements se présentent, ainsi qu'une une attaque dirigée vers le bas qui rappelle Duck Tales ou Zelda II, permettant de rebondir sur certains ennemis et objets : cela a l'air fort léger. Cette base minimaliste va pourtant profiter d'un étalage d'idées assez conséquent, liée aux monstres rencontrés et aux aménagements des différents niveaux, correspondant au boss, un chevalier aux pouvoirs spécifiques. Ainsi, il faudra apprendre à composer avec des projectiles que l'on peut renvoyer, des ennemis qui explosent à l'impact ou se protègent des attaques, des vents porteurs, des surfaces glissantes, des mottes de terre qui craquent au premier coup, des arbustes qui se maintiennent en altitude une fois exhumés et autorisent un rebond comme tant d'autres éléments de décor, la poussée d'Archimède, des moments en ombre chinoise, des trompes-l'oeil trahis par la pluie... Il y a tellement de concepts, qu'on croit inspirés mais qui sont souvent bel et bien originaux, qu'il est ici impossible de les lister. Retenez simplement que vous vous émerveillerez du début à la fin de l'ingéniosité des stages qui regorgent de passages secrets et peuvent profiter de fonctions plus "avancées".

La pelle store

A l'action et la plate-forme basiques s'ajoutent des moments plus à la cool. Le temps de la dépense. Car oui, tout l'or que vous récupérez a son utilité. Sur la carte du monde s'ouvrant un peu plus lorsqu'un chevalier est vaincu - et qui n'est pas sans faire penser à Super Mario Bros. 3, vous trouverez des villages qui, une fois encore, évoqueront un Zelda II ou un Simon's Quest. Outre interroger la population ou répondre aux demandes d'un barde désireux de récupérer ses partitions, vous aurez la possibilité d'acheter tout un tas de choses. D'abord, des reliques, principaux upgrades du jeu. Vous pourrez vous procurer une baguette décochant des boules de feu, une amulette de très courte invincibilité ou encore de quoi voltiger à l'horizontale, vous facilitant la vie mais usant, vite, de points de magie. Ajoutez à cela des forgerons pour que votre pelle déracine plus vite ou autorise une frappe concentrée ou que votre armure ne soit, par exemple, pas affectée par l'effet de recul à la moindre de touchette, le droit d'augmenter le plafond de points de vie ou de pouvoir et deux calices à remplir gratos pour regagner vitalité ou devenir intouchable pendant 10 secondes, vous comprendrez que ceux qui comptent un peu plus sur leurs ressources que leur niveau manette en mains n'ont pas été laissées sur la touche. C'est cela qu'on appelle la générosité.

Remède de Shovel

La difficulté, parlons-en. D'entrée, on sent que Shovel Knight veut la jouer mère supérieure. Genre intransigeant qui fronce les sourcils et y va de sa petite baguette pour vous niquer les doigts à la moindre faute. Un peu fourbe. A l'ancienne dirons certains. On nous impose en effet, dès le niveau introductif, des sauts millimétrés sur un seul bloc, des petits passages où savoir rebondir sur des bulles, un mid-boss imposant et un boss remuant. Par la suite, cela ne va pas aller en s'adoucissant. Même si les vies sont infinies, on meurt. Souvent. Mais jamais on ne peut parler d'injustice. En premier lieu parce que le protagoniste répond à la perfection, comme rarement des titres de ce calibre nous l'ont proposé ces dernières années. Ensuite parce que tout est joliment construit, ciselé, pour ne jamais vous frustrer. Quand bien même vous trouveriez un passage trop ardu, vous comprendriez très vite qu'il ne fallait pas foncer tête baissée mais plutôt y aller piano-piano. Et votre progression, parfois conjuguée à la mémoire de vos échecs, devient évidente. Certes, le challenge en prend un coup dès lors qu'on use de toutes les options de customisation citées plus haut. Mais attendez : le mot "options". Vous n'avez donc aucune obligation et pouvez vous créer votre défi à la carte. Par exemple, pour corser l'affaire, pourquoi ne pas détruire les checkpoints et en récupérer l'argent plutôt que d'y réapparaître confortablement après chaque décès (qui entraîne la perte d'une certaine somme que l'on peut tenter de récupérer au passage suivant, évoquant Dark Souls ou Diablo) ? Ah ! Vous n'y aviez pas pensé. Bah les développeurs, eux, si. Entre ça, les différents défis annexes et les rencontres aléatoires, les 5-6 heures minimum de lutte ultra-rythmée pour parvenir à l'épilogue et à l'habituel New Game + ne seront pas de tout repos. Et ce n'est même pas terminé : Shovel Knight bénéficiera des mises à jour qui apporteront de nouveaux modes, dont un battle à 4 ou encore la possibilité d'incarner un des chevaliers affrontés.

La pelle du devoir

Finissons sur le seul aspect qui pourrait appeler à réserve. Face à nous se tient un jeu NES. Ne riez pas, il y en a à qui cela peut déplaire, ces graphismes 8-bits, cette palette de couleurs et ces animations volontairement limitées. Pour autant (© Julien Chièze), il s'agit d'un jeu NES fortement optimisé. Les tonalités, en phase avec les thèmes des mondes traversés, sont toujours bien choisies, on note quelques subtilités au niveau des scrollings et, surtout, on s'affranchit tout de même des ralentissements et scintillements inhérents à cette ère. Un peu comme s'il y avait l'intention de plaire aux "vrais de vrais" sans pour autant oublier qu'on vit dans un temps qui autorise, naturellement, la fluidité. Une manière de susurrer à notre oreille que regarder dans le rétro, s'inspirer, de façon évidente, des meilleures productions d'antan, c'est bien, mais qu'il faut aussi savoir faire entrer son époque dans l'équation. Tout ça pour dire que l'ensemble se révèle, pour qui apprécie le style, splendide, et profite d'une bande-son fantastiquement entêtante et pêchue - signée par Jake "Virt" Kaufman et à laquelle participe Manami Matsumae, chef d'orchestre sur le premier Mega Man. Un dernier mot sur le scénario et les dialogues ? Croyez-le ou non, ce n'est ni mièvre, ni même lourd au niveau de l'humour développé, malgré un postulat un peu grotesque. Les rencontres sont fascinantes, les échanges verbaux bien déployés et la fin plus touchante qu'on n'aurait pu l'imaginer. Mais ça, on vous laisse le découvrir. Sans trop tarder, si possible.

Je n'ai qu'une envie : dire merci à Yacht Club Games qui, pour son tout premier jeu, réussit à viser dans le mille. Un jeu de plateforme/action old school qui ne laisse rien au hasard, se permet de piocher dans des classiques sans jamais oublier de proposer ses propres idées, revient aux fondamentaux tout en restant moderne, propose un feeling qu'on croyait disparu : cela aurait pu être un jeu Nintendo, Konami ou Capcom de l'ère 8-bits. Et c'est probablement en cela que les sensations qu'il procure sont si intenses. Au point d'en faire, pour ma part, d'ores et déjà, un des meilleurs trips de l'année...