Ce jeu n'est pas un jeu : c'est un portrait. Je l'ai créé pour documenter quelque chose qui est selon moi humain, beau et réel, et si tu l'apprécie comme tel, parfait. L'art est fait pour ça.

C'est Will O'Neill, le créateur du jeu, qui le dit lui-même. Le ton est donné. Même si les captures d'écran font penser à un RPG japonais 16 bits, il n'en est rien. Enfin si, c'est techniquement semblable, mais en revanche ne vous attendez pas à dégommer des pixels à l'épée, à résoudre la moindre énigme ni à ramasser quoique ce soit. En fait, Actual Sunlight devrait plutôt se concevoir comme un récit, ou une nouvelle, passée à la moulinette du jeu vidéo.

Déprimer n'est pas jouer

On incarne Evan Winter, un pauvre type de Toronto qui se lève tous les matins à la même heure, qui prend le bus pour se rendre à son taf et qui se retrouve dans un petit bureau étriqué entre quatre murs. Sa vie se résume à ça, pas de famille, pas de petite amie, rien. Guetté par une profonde dépression et coincé dans cette spirale infernale, il n'arrive pas à en sortir. Et honnêtement, le joueur n'a pas une grande latitude pour intervenir : pas de choix à effectuer, ni dans les actions ni dans les dialogues. Ce n'est pas le but ici. Le joueur est avant tout là pour suivre un récit et le vivre de l'intérieur, manette en main. On prend donc les commandes de ce pauvre Evan simplement pour l'aider à se rendre d'un point à un autre, parler aux personnages et c'est à peu près tout. La progression est ainsi très régulièrement entrecoupée de textes, longs mais bien écrits. On suit donc le quotidien atone de ce personnage, au travers de ses actions journalières, de ses réflexions ou de celles de l'auteur... Ces intermèdes littéraires sont d'ailleurs particulièrement nombreux mais intéressants, ce qui compense avec plus ou moins d'efficacité la frustration de ne pas pouvoir intervenir des masses au niveau de l'interactivité.

Bientôt sur Kindle

Attendez-vous donc à manger des kilomètres de texte (en français, heureusement). Pas de narration sous forme de voix-off, pas de dialogues parlés et une musique très discrète, vous voilà prévenus. On frise parfois un peu l'indigestion de réflexions à portée philosophique, mais l'ensemble reste cohérent et suffisamment travaillé pour ne pas lasser le joueur. En revanche visuellement, je trouve que ça manque vraiment de détails, de matière, de consistance. Je veux bien qu'on soit dans un jeu indépendant, mais là c'est vraiment faiblard : quasiment aucune animation, même légère, pour donner vie aux personnages ou aux décors, c'est tout de même dommage. Et que vous ayez une grosse machine ou un petit PC de bureautique, le jeu tournera en 640x480. Toujours au chapitre des reproches, je rajouterais que la maniabilité n'est pas réglée au poil : le personnage a une fâcheuse tendance à glisser comme sur une patinoire et c'est un peu crispant, quel que soit le périphérique utilisé (manette ou clavier)... mais rien de très grave, en tout cas rien qui ne nuise profondément au récit.

Globalement, Actual Sunlight parvient donc à atteindre son objectif : nous raconter une histoire mature, qui traite de thèmes atypiques dans le paysage vidéo-ludique. De ce côté-là, c'est réussi. L'auteur est parvenu à utiliser le média jeu vidéo pour raconter son histoire, et à moins d'être totalement hermétique aux textes à rallonge, on accroche et on a envie de faire avancer l'histoire. Malheureusement, aussi intrigante soit-elle, cette aventure minimaliste dans son interactivité sera également de très courte durée : l'histoire se boucle en moins d'une heure et demi, en prenant son temps. Mais comme le jeu est moins cher qu'un menu frites-coca, on va pas déprimer pour ça.