"Week 1". On peut résumer toute l'industrie du loisir à ce laps de temps. Grâce à ce paramètre, on peut tout calculer, tout comparer et surtout tout projeter. Ciné, musiques, audiences télé, on n'a jamais fait aussi précis, jusqu'à l'invention du "clic". Week 1, de la mise en vente aux premiers chiffres rendus publics, on sait si ça va marcher. On peut argumenter sur tout mais il est rare que les chiffres se trompent. 425.000 exemplaires. Le fameux Week 1 de Jojo's Bizarre Adventure : All Star Battle a été glorieux.

Lorsqu'on connaît un peu comment ça se passe, on sait que les espoirs d'un jeu à licence ne reposent quasiment uniquement que sur les fans au garde-à-vous, et ce durant cette courte période. Après, c'est trop tard, ledit produit est rattrapé par les échos et les commentaires négatifs. Un deuxième épisode pour réparer les dégâts ? Ken ou One Piece Pirate Warriors s'y sont essayés récemment, mais au fond, tout le monde s'en fout déjà. "Fool me once, shame on you; fool me twice, shame on me". Et si on évoque Jojo's Bizarre Aventure sur PS3 aujourd'hui sur une note aussi lugubre, c'est parce que, croyez-le ou non, à chaque fois qu'il démarre, un petit chien est humilié.

A chaque démarrage, le petit chien Iggy s'excite. J'adore Iggy. Comment ne pas l'aimer, il est adorable, sans doute plus fin que l'infini majorité des humains. Iggy, lui et moi, c'est pour la vie. Mais de le voir systématiquement patauger dans la semoule pour vérifier si de nouveaux contenus téléchargeables gratuits et payant sont disponibles a quelque chose d'ulcérant. Jojo sur PS3 n'est certainement pas le seul à le faire. Tous les jeux Capcom sont maintenant pensés en économie globale à base d'updates et de mises à jour. Les Tekken ont franchi le pas du Freemium. Et Injustice, bon Dieu, Injustice et ses persos si raides qu'on ne sort le jeu en soirée que pour rigoler, étale ses combattants par paquets de 5 euro jusqu'à une version complète "GOTY". Même si Namco Bandai est coutumier de la manip, il parait injuste que que Jojo's paye pour eux.

Dans Jojo's Bizarre Adventure : All Star Battle, il y a du "pay to play" enfourné dans le mode "Campaign". Payer pour recharger sa batterie de jeu, ça sent la mauvaise idée de commercial imposée aux gus de CyberConnect2, qui avaient pourtant mis tant d'efforts dans le reste. Mais du "pay to play" dans une galette à 7.980 yens (60 euros), même pour un mode de jeu solo un peu nul, pour le principe, c'est vilain. Pendant ce temps là, le pauvre Iggy renifle encore en traînant son museau par terre.

Maintenant que la lumière est faite sur cette muflerie, le reste est nettement plus honnête. Si je ne vous ai pas fait un petit topo sur ce qu'est Jojo, c'est que c'est dans l'esprit du manga. L'esprit Jojo demande un peu d'exigence et de fidélité de ses fans. Il est, par la force des choses, devenu le shonen pour hipster, celui que "les vrais" connaissent. "Naruto, One Piece, DBZ, c'est pour la plèbe". Et comme les vrais, paraît-il, reconnaissent vrai, je vous renvoie au wikipédia des chapitres de la vie de la famille Joestar et de ses héritiers sur 8 générations. Ces décennies de personnages sont richement représentées dans le jeu. Et puis il y a les stands, concept malicieusement repompé par Persona 4 : Arena, abondamment utilisé dans les adaptations PS/DC, qui font de Jojo un manga particulièrement génial à adapter en versus game. Deux personnages à la fois, le sien et son double mystique bien balaise, c'est parfait pour un résultat explosif.

"On lâche rien"

Beau, Jojo l'est tellement. Les décors d'abord. Ce n'est pas seulement de la restitution d'un manga ou d'un animé, c'est aussi par simple bon goût, son shading si particulier. Ce "Jojo Shading Requiem" est une véritable émulation scientifique du style du dessinateur Hirohiko Araki. C'est beau et minutieux, comme si les crayonnés ne s'étaient déposés que sur des polygones choisis par l'oeil humain. Ce cel-shading simule littéralement "l'accident artistique", les petits détails que seul une main aurait pris la peine d'ajouter, avec naturel. C'est "rough". A chaque fois, CyberConnect2 se donne les moyens d'être à la hauteur de sa réputation de "Yesmen" de l'adaptation de manga. J'ai fait le test : c'est si abouti que même une personne complètement étrangère à la série trouverait le résultat magnifique. Oui, même quelqu'un qui ne connaît rien de l'allure volontiers LGBT des personnages. En gros, même Christine Boutin trouverait Jojo réussi. Même si, faute de temps, je n'ai pas vraiment pu essayer avec elle.

L'almanach Jojo

Bien entendu, quand il s'agit d'adaption, ce qui importe, c'est d'avoir Son Goku toutes versions confondues. Son Goku enfant, adulte SSJ1, 2, 3 et 4, tous sur la même galette et tant pis s'il n'y a que les cheveux qui changent. Ici, hors DLC, il y a 32 personnages qui donnent tous l'impression d'avoir une personnalité en plus de leur pose surnaturelle. Chacun avec une attitude bien unique et des coups identifiables, c'est du beau boulot. Je joue d'habitude les gros bourrinos comme Jotaro Kujo, donc je m'y retrouve facilement, les autres sont souvent plus subtils. Quoiqu'il advienne, Jojo's All Star Battle ne fait pas dans la dentelle. Malgré ses airs de jeu de baston travaillé et ses dizaines de features et autres modes spécifiques, les duels sont généralement bien bordéliques. On se demande si l'overdose de système ne finit pas par noyer les personnages de Jojo.

Stand, Heart Heat Attacks, Puttsun Cancel, Stylush Moves, Rush Mode, sans parler du Kankaku Mode qui ne concerne qu'un quarteron de combattants. Il faudra plusieurs combats (ou séquence YouTube) pour les comprendre toutes. Néanmoins, ça rentre assez vite. Le plus cool, c'est les petites trouvailles contextuelles. Chaque niveau a ses propres gimmick. Chacun de ses niveaux permet de faire un "Situation Finish", comprendre une fin bien classe et humiliante. Mais mon gadget préféré, c'est les bonnes vieilles provocations qui, une fois l'adversaire tombé à terre, se transforment. Caméra qui zoome, pose iconique du manga pour une barre de furie de son rival qui redescend... Jojo ne se prend pas au sérieux de manière appliquée.

Évidemment, il y a ces nombreux Infinite débiles qui peuplent déjà internet. Pas plus que d'habitude, hein. Il y en a des dizaines dans Tatsunoko Vs. Capcom ou dans Ken sans que ça ne m'aie jamais posé de problème. Et puis, ces trous mécaniques ne tiendront pas sous le poids d'une éventuelle mise à jour. Mais en plus de déséquilibrer le mode en ligne, ces coquilles donnent l'occasion de se moquer de ce jeu pourtant si beau. Oui, dans Jojo, on humilie un chien qui renifle les updates et on laisse un cheval se taper des combos grotesques. Mais ce ne sont pas ces raisons là qui justifient de passer à côté. C'est comme zapper Tekken parce qu'on n'aime pas les kangourous qui bastonnent les écolières à dos de panda. Ok, Jojo est un peu creux. D'accord, ça se la joue "gros fighting game à Shisutemu", Guilty-style, alors qu'on en fait le tour assez vite. Oui, ce sera une adapt' vite oubliée, mais il y a de quoi y trouver de mini-sources de plaisir. Dans tous les sens du terme, Jojo est un jeu "Week 1".