Le général Akamoto y était. Il lui restait deux mètres avant le bol de sangria. Une victoire, une seule petite escarmouche de rien du tout et il serait devenu Shogun. Las ! Voilà le redoutable guerrier trahi, lâchement assassiné et, devenu un squelette enarmuré, en route pour l'Au-Delà Glorieux. Problème : il y a une sacrée file d'attente, évaluée à 512 années terrestres. Autre souci : personne ne croit le samouraï, qui entend bénéficier d'un traitement en adéquation avec sa valeur, lorsqu'il décline son identité. Trop c'est trop, l'ascension se fera rapidement, les armes à la main. Avec plein de nouveaux copains, sur une vingtaine de champs de bataille.

Music for the masses

L'image des jeux de stratégie au tour par tour est souvent celle de titres chiants. Trop de chiffres, de paramètres qui nécessitent de passer par vingt menus différents, de temps passé à réfléchir. Et puis toutes ces petites cases, là, pour se déplacer, s'il vous plaît, je vous en prie. Skulls of the Shogun, lui, a quelques secrets pour éviter qu'on lui claque la porte à la tronche après s'être poliment présenté sur notre palier. Très avenant avec son style visuel dessiné à la main et son scénario hilarant, il charme dès lors qu'il dévoile les trésors d'ingéniosité lui permettant de se rendre digeste pour un public de novices. Plus encore qu'un Fire Emblem ou un Advance Wars, le titre de 17-BIT joue la carte de l'accessibilité. La simplification de la prise en main est extrême, le système de jeu assimilable rapidement. Il y a une parfaite utilisation de l'espace alloué par l'écran pour distiller les infos importantes. Un petit drapeau dans le dos de chaque unité en guise de points de vie, par exemple. Ou encore, concernant les déplacements - à la Phantom Brave, dans un périmètre cerclé -, l'apparition d'un autre rond, rétrécissant, pour signaler le chemin encore possible après l'accomplissement d'une action. Enfin, ajoutons que le rythme se révèle assez soutenu. Les développeurs ont instauré l'idée qu'un camp ne peut accomplir que cinq actions par tour. De fait, il y a peu d'attente et on a tendance à se focaliser, quelle que soit la taille de l'armée, sur des zones bien précises. Quant aux ressources, du riz, pour garnir ses rangs, elles s'épuisent. On n'est pas là pour s'éterniser et, dans l'exécution, cela s'avère très agréable à regarder.

De nouilles et d'os

Mais on ne va tout de même pas oublier qu'il s'agit de tactique et qu'il faut un minimum de jugeote pour espérer venir à bout de la grosse huitaine d'heures de jeu que propose la campagne solo. A mesure que l'on progresse, on découvre les unités présentes. Petite chose à savoir : vous ne choisirez personne, vous n'aurez pas d'XP à gagner ou quelqu'un à qui vous attacher. Aux côtés de votre général, assez puissant mais qui vous entraîne dans le Game Over en cas de trépas, que du générique, imposé. Votre team se verra composée de fantassins, très résistants mais peu mobiles, de cavaliers, moyens mais pouvant aller très loin, et d'archers, attaquant à distance mais diablement frêles. Un équilibre à la pierre-ciseau-papier qui aurait pu en rester là. Mais faut pas charrier. D'autres troupes viendront prêter main forte, mais elles seront en nombre très limité. Liées à un sanctuaire il faudra... les invoquer. Alors vous pourrez bénéficier des Moines Renards, qui soignent, des Moines Salamandres, qui lancent des sorts d'attaque, et des Moines Corbeaux, qui repoussent l'ennemi dans une direction. A eux seuls ils peuvent inverser la tendance d'une joute. Tout comme l'exploitation ou non d'un élément qui figure dans le titre : le crâne. En l'occurrence, celui d'un ennemi.

Tenter crânement sa chance

Lorsque vous venez d'occire un gredin, il laisse derrière lui sa boîte crânienne. Pour le prix, très lourd, d'une action, vous pouvez demander à une unité de gober celle-ci. Alors, elle gagnera un peu d'énergie. Mais le plus important vient au bout de trois. Pour une unité de base ou pour le général, cela entraîne la transformation en démon. Plus de points de vie et surtout le droit d'agir deux fois individuellement par tour. Un moine, quant à lui, accède à des sorts autrement plus puissants, comme par exemple un bouclier durant un tour ou l'appel à un Oni, un esprit surpuissant qui nettoiera volontiers les rangs adverses... comme les vôtres. On ne peut pas tout avoir, non plus. Quoiqu'il en soit, au coeur de l'action, profiter ou non de la carcasse d'un trépassé peut se montrer décisif et ajoute une profondeur certaine à l'ensemble. Il ne faudra pas non plus oublier de jouer avec le terrain. Planquer un gus dans les herbes hautes, accoler deux d'entre eux pour former un bouclier mystique (pratique pour empêcher une riposte d'archer), ne pas se placer près d'un rebord, choper les potions et, bien entendu, ne pas oublier de hanter (compte pour une action) rizières et sanctuaires pour, pourquoi pas, créer le surnombre... Cela a l'air complexe, dit comme ça. En réalité, vous ne vous en rendrez même pas compte, tant chaque pièce du puzzle stratégique est amenée de façon intelligente et subtile.

Samouraï de l'éternel

Aussi étonnante et plaisante que soit cette virée dans les quatre saisons de l'Au-Delà nippon, il faut reconnaître qu'elle risque de ne pas s'avérer ultime pour certains. Les vrais néophytes, qui auront bien du mal à s'accommoder d'une difficulté en dents de scie et d'une I.A. tantôt impitoyable, tantôt pas décidée à survivre. Les hardcore-Napoléons vidéoludiques, qui auraient bien vu des milliers de tableaux supplémentaires, plus ardus encore, avec des restrictions de folie, et qui accompliront les objectifs secondaires (ne pas perdre d'unités, gagner avec 4 démons de son côté, etc) sans broncher. Reste que, dans l'ensemble, on ne peut qu'apprécier une production de cette qualité, à ce tarif, aussi bien pensée et finie (quoi que parfois la sélection d'une unité ou la visibilité de celle-ci soit un peu compliquée dans de petites espaces). Sans oublier que l'on peut s'adonner au multi (6 maps, jusqu'à 4 armées/joueurs par équipes ou chacun pour sa gueule) offline, online et en différé, cela entre plusieurs machines différentes. Le cross-platform est en effet une composante essentielle pour permettre au plus grand nombre de s'éclater. Et pour peu que vous possédiez une 360, une Surface, un Windows Phone ou un PC Windows 8, vous pourrez vous la donner grave against the world et même interrompre une partie sur un appareil pour la reprendre sur un autre. Magique.

C'est le hasard qui m'a mis Skulls of the Shogun entre les pattes et je trouve qu'il a vachement bien fait les choses. Parce que le tour par tour a besoin de ce genre de titres pour montrer qu'il n'est pas que prise de tête. Le jeu de 17-BIT fait valoir bien des qualités - son ambiance, son esprit 16 bits/arcade, son accessibilité laissant à peine transparaître une réelle profondeur, son tonus - pour qu'on lui laisse sa chance, même si on n'a jamais accroché à un Tactics Ogre ou un Shining Force.