Les premiers mots que l'on peut lire dans Papo & Yo sont ceux de Vander Caballero, le directeur créatif du jeu, ancien de chez EA ayant créé Army of Two et Boogie, travaillé sur FIFA, Need for Speed ou Les Sims : "A ma mère, mes frères et mes soeurs, grâce à qui j'ai survécu au monstre qui habitait mon père". Oeuvre intimiste, Papo & Yo avec son jeune garçon Quico et "Monstre", la créature qui l'accompagne, se présente donc d'emblée comme une allégorie de l'enfance blessée vécue par Caballero. Si son propre père était dépendant à l'alcool et aux drogues, Monstre a lui un appétit insatiable pour les grenouilles. Une fois le batracien avalé, la grosse bestiole pacifique mi-rhino mi gorille n'est plus que fureur, comme pouvait l'être alors dans un état second, le père de l'auteur. Exutoire a une réalité cruelle, c'est dans ce monde imaginaire crée par l'enfant où les grenouilles remplacent les substances, que Quico va tenter de guérir Monstre...

Ville en tête

Dans son univers mental Quico peut, au contraire de ce qui se passe dans sa vie réelle, agir sur la situation dont il est victime. Ainsi, son petit robot Lula ne sera pas juste utile à être serré très fort pour un peu de réconfort mais servira de jetpack à l'enfant. De même, Quico pourra remodeler la petite ville aux airs de favela de son esprit. Les maisons se feront insectes, gagnant là des ailes, là des pattes, pour se déplacer et former par exemple un empilement colossal de bâtisses, faisant alors office de pont. Tout cela en actionnant des engrenages lumineux et magiques se dessinant sur les parois, s'évanouissant pour réapparaître ailleurs sous forme de clés, de leviers à tirer, dans ce titre associant plateforme et puzzle. Constamment à la poursuite d'une jeune fille indiquant le chemin qui mène au mystérieux shaman capable de guérir Monstre, il ne faudra pas oublier celui-ci dans sa progression. Si Quico pourra à l'occasion se servir du ventre du monstre comme trampoline, Monstre lui ne peut pas sauter. Il faudra ainsi l'appâter avec des noix de coco, sur des plateformes, des interrupteurs pour avancer. Mais au fil des cinq chapitres de Papo & Yo (il m'a fallu quatre heures pour boucler le jeu, à la rejouabilité nulle), Monstre perdra aussi l'esprit en gobant les grenouilles présentes sur son chemin. Si alors Quico est impuissant face à la grosse créature qui s'enflamme, littéralement, et valdinguera juste dans tous les sens à son contact, l'état de fureur de Monstre fait partie intégrante de certains puzzles. Seul un fruit pourri sera alors efficace pour apaiser le géant, hors de lui.

Le shaman, OK, mais le médium ?

De prime abord, les jolies mélodies acoustiques de Papo & Yo aux accents brésiliens, avec ses guitares, sa flûte de pan, ses percussions, donnent du souffle au titre. idem pour l'aspect coloré, relativement inédit dans le paysage du jeu vidéo, de cette ville imaginaire, aux murs bariolés recouverts de gigantesques graffitis évoquant l'art naïf, et ce malgré un rendu technique pour le moins faible, permettant d'adhérer à l'expérience proposée. Mais bien vite l'inconsistance du jeu dessert tout son propos. Les phases de plateformes sont d'une rigidité d'un autre temps, alors que les puzzles ne constituent que très rarement un amusement, la plupart du temps une corvée. Si dans la forme ils semblent inspirés (avec les maisons qui volent, etc.), dans le fond ils sont malheureusement très rudimentaires. Appuyer sur un engrenage magique au mur, fera apparaître un escalier qui donne accès à une autre clé, pour un autre engrenage, dans un cycle ennuyeux assez constant, ne faisant pas vraiment appel à la réflexion mais plus à la patience que l'on aura face à ces mécanismes qui se mettent en place. Et puis la progression manque de liant, seulement assurée par la jeune guide qui nous ordonne sommairement la direction à suivre pour avancer.

Les gros fils

Sans la métaphore filée que l'on tient à suivre, rien ne donnerait envie de continuer à jouer. Et la métaphore est souvent trop appuyée dans Papo & Yo, sans subtilité, comme si conscient de l'inconsistance de leur gameplay, les développeurs voulaient compenser. Car, et l'on touche là au coeur du problème de Papo & Yo, seul le propos et non pas l'intérêt du jeu donne envie de continuer (force ?) à jouer. On n'est simplement pas imprégné du propos par le jeu comme on a pu l'être avec d'autres titres. Dans Flower, on ne fait qu'un avec le vent, on prend plaisir à bénéficier de sa vitesse, de la liberté qu'il procure et la détérioration de notre environnement, alors qu'il est tellement grisant d'y évoluer, est un fait d'autant plus impactant. Le jeu sert un propos, disons dans un premier degré, écologique, qu'on retrouve défendu de manière bien plus barbante et moins efficace ailleurs. C'est le jeu, son plaisir, qui amène la réflexion. Dans ICO, pas grand chose n'est expliqué, et pourtant, difficile de terminer le jeu en se disant qu'il s'agit d'une simple aventure de sauvetage de princesse. Encore une fois, c'est l'attrait de ce qui est proposé en jeu qui amène à la réflexion et donne toute sa puissance au propos. Enfin, malheureusement, seuls ceux qui auront terminé Braid, pourront comprendre que l'aspect métaphorique n'est jamais aussi marquant que quand il se dévoile par toutes petites touches...

Papo & Yo est le premier titre du studio Minority, composé de passionnés qui se sentaient un peu à l'étroit dans des structures focalisées sur du blockbuster formaté. Il est aussi un jeu au propos fort, lourd, se déroulant dans un univers assez inédit pour le jeu vidéo moderne. Mais malheureusement, l'intention ambitieuse de départ n'arrive pas à s'exprimer à travers le jeu, peu inspiré dans ses puzzles, mal calibré, et glorifier Papo & Yo pour son unique singularité et la valeur de son sujet ne serait rendre service ni au jeune studio canadien ni au jeu indépendant. Considérer la valeur de jeux tels que Braid, Flower, ICO, Journey et j'en passe, c'est aussi considérer que certains titres dont on pourrait croire hativement qu'ils leur ressemblent, ne sont en fait pas du tout à mettre dans le même panier.