L'orage gronde. L'océan rugit. A tout instant, le Venture menace de s'empaler contre les récifs. C'est pourtant le moment choisi par Carl Denham, réalisateur fauché, pour mettre à l'eau une chaloupe. L'équipe sera restreinte. Son actrice : Ann Darrow. Son scénariste : Jack Driscoll. Et une poignée d'hommes de confiance... Face à eux, l'ombre grimaçante de Skull Island déchire la nuit ! L'œuvre de sa vie, Carl sait qu'il ne pourra la réaliser qu'ici. Les risques ? La peur ? Tout cela est bien vite balayé par l'ampleur de son ambition. C'est bien un nouveau pan du septième art qu'il s'apprête à révéler. A édifier. Son film mêlera aventure, frisson, réalisme et passion. Rien ni personne ne pourra le faire dériver de son objectif. Pas même ces cris perçus au loin. Encore moins ces sulfureuses fumées qu'on devine déjà derrière les montagnes aux crêtes aiguisées.

A peine le temps d'accoster que la pellicule s'emballe. Chaque détail doit être immortalisé. La caméra virevolte. Ici. Là. Elle capte chaque soubresaut de cette terre vierge. Inexplorée. Inhabitée ? Qu'importe, Ann donne déjà de la voix. Les premières répliques s'improvisent. Du naturel dans un décor surnaturel. Oui, voilà de quoi faire rêver des millions de spectateurs... Carl en viendrait presque à regretter que la pluie se soit calmée. Mais il faut avancer, explorer, trouver de nouveaux lieux, de nouvelles idées de mise en scène. Si chacun porte un fusil, c'est que l'incroyable peut s'inviter à tout moment. Il est d'ailleurs fiévreusement attendu... Après quelques heures de marche forcée, après s'être frayé un chemin tortueux dans cette jungle millénaire, l'équipe décide de se ménager un temps de répit. Il sera de courte durée...

Des arbres pleuvent des flèches, des mugissements retentissent. Distants, puis de plus en plus présents, oppressants. Des indigènes ! Des dizaines d'indigènes s'abattent sur le groupe désemparé. Au bois des sagaies répond l'acier des balles. Les douilles s'écrasent au sol. Les corps s'affalent, violement, sans pour autant ralentir le flot des assaillants. Jack Driscoll se bat comme un beau diable. Le sang se mêle à l'humus, tandis que Ann... Ann ? Où est-elle ? Dans la violence de l'assaut personne ne l'a aperç... Mais si, la voilà, dans les bras d'un de ces chiens aux maquillages de mort ! Il l'entraîne. Elle est vivante ! Il faut lui porter secours avant qu'il ne soit trop tard ! Mais aussi promptement qu'ils sont apparus, les indigènes se retirent. Pas de temps à perdre, il faut trouver leur refuge. Retrouver Ann ! Commence alors un nouveau périple dans cette forêt ruisselante, désormais résolument vivante. Vite, quelques centaines de mètres plus bas, des chants macabres jouent déjà avec l'écho...

Abritée derrière les murailles de bois, la horde indigène brandit ses lances, agitent des colliers produisant des cantiques aux accents cruellement funèbres. Les flammes dansent. Ann est bien là, en contrebas. Harnachée sur un autel de mort. Soudain, plus rien. Le silence tombe. Glacial. La terre semble retenir son souffle. Une hésitation générale. Une éternité sourde. Trop tard, de l'autre côté de la falaise, dans un déchirement, un colosse de poil surgit des sous-bois ! Un singe, un gorille, un monstre... un Roi ! Majestueux. Gigantesque. Irréel. D'un regard, il balaye l'horizon. Son allure massive et sa force imposent le respect. Face à lui, Ann se débat. Sa dernière heure est arrivée. C'est donc sacrifiée à ce titan qu'elle achèvera sa vie... Du haut des remparts, un borborygme se répercute lentement, puis de plus en plus vivement, scandé comme dans une transe collective : Kong ! Kong ! Kong !

Le grand singe marque un temps d'arrêt avant de répondre avec rage à cet obscur appel. Arc-bouté sur ses membres postérieurs, il mugit, frappe son torse en cadence, ouvre une gueule béante, farouche ! Puis d'un mouvement il arrache Ann à ses liens. Son attitude étonne. Il l'observe. La renifle. S'apprête à la dévorer... non, dans un même élan, il comprime délicatement sa proie entre sa main droite et son abdomen, pivote, et s'engouffre dans la jungle. Pour Jack, le sort d'Ann ne fait aucun doute. Mais advienne que pourra, s'il veut encore pouvoir se regarder en face, il se doit de se lancer dans cette course folle. Son cœur bat à tout rompre. Ses tympans résonnent si fort qu'ils estompent la cohue environnante. Désormais, un seul son guidera ses pas : l'appel désespéré d'Ann. La chasse royale peut débuter...