C'est Geoffrey Robertson qui représentait Rockstar pour cet appel, et il a commencé fort en attaquant le nom même de BBFC (British Board of Films Classification), arguant qu'il devrait être renommé en British Board of Videogame Censors. Mais ce sont surtout les études qui seront le coeur de la bataille de cet appel. "Il n'existe pas de preuves que jouer à des jeux vidéo interactifs puisse mener vers une propension à les reproduire dans la vie réelle", avançait Robertson, "Nous nous demandons pourquoi Manhunt 2 est seul à avoir été traité différemment". Du côté de Rockstar, l'attaque est la meilleure défense semble-t-il.

"Vous ignorez ce qu'est le jeu"

Robertson accuse directement la BBFC d'être "tout simplement ignorante de ce qu'est l'expérience de jeu". Face au comité d'appel, il pointe du doigt : "Vous voilà, vous sept - pas un seul d'entre vous n'a fait l'expérience, me dit le président, des jeux vidéo, ni n'est un joueur". La réponse ne se fait pas attendre, lorsque l'un des sept s'en défend de suite : "Ce n'est pas vrai. Certains d'entre nous ont en l'occurence déjà joué à un jeu vidéo". Mais peu importe : l'argument principal de Rockstar relève presque, finalement, de la présomption d'innocence. "Des millions de personnes jouent aux jeux vidéo et aucun crime n'a jamais été directement attribué à cette activité, à une exception près", explique Robertson, qui fait référence astucieusement à ce fait divers du meurtre de Stefan Pakeerah, qui fut en son temps mis en relation et attribué à Manhunt, premier du nom. Par la suite, la police avait déclaré officiellement que le tueur de Pakeerah n'avait pas même possédé le jeu et qu'il n'y avait aucune connexion entre les deux. "D'après nous, Manhunt 2 a été banni non pas parce qu'il y avait une probabilité qu'il cause du tort aux joueurs, mais pour celle qu'il avait de causer du tort à la réputation de la BBFC".

Status-quo

Face à l'argument qu'aucune étude ou recherche n'a pu mettre en avant la moindre preuve de lien entre les jeux vidéo violents et des comportements anti-sociaux graves, la BBFC ne nie pas. Andrew Caldecott, représentant de la BBFC, explique : "La position du comité est la suivante : il n'y a pas de preuves suffisantes pour prouver, par des faits, qu'il existe un lien de cause à effet entre les jeux violents et les comportements nuisibles... C'est un point tout à fait valide, et que nous acceptons, mais ce n'est absolument pas une réponse complète à la question sur laquelle le comité d'appel doit statuer". La stratégie d'appel de Rockstar, en effet, s'attache judicieusement à distinguer Manhunt 2 lui-même d'un débat de fond plus général ; c'est même son argument principal, qui consiste à dire que Manhunt 2 n'a pas de raison d'être traité différemment du reste. Caldecott continue : "L'étude parvient indéniablement à montrer que la recherche ne démontre pas qu'il y ait de lien de causalité. Mais, indéniablement, elle ne n'établit pas plus qu'il n'y en a pas". Ah, ça, on peut continuer longtemps ainsi. Un point en tout cas sur lequel tout le monde semble d'accord : il n'est pas question, pour Rockstar comme pour la BBFC, de considérer Manhunt 2 approprié aux moins de 18 ans, et ce à aucun moment.

Jeux vidéo et cinéma ; comparables ?

Autre argument ; pourquoi juger les jeux vidéo différemment des films ? Face à cette question, la BBFC explique, toujours par la bouche de Caldecott : "le cinéma est un média différent ; c'est tout simplement une expérience différente. Il est peut-être plus impliquant par certains aspects, parce que vous faites face à quelque chose de plus réel, avec de vraies personnes, dans un film. D'un autre côté, beaucoup de gens regardent des films d'horreur, dans une certaine mesure, du point de vue de la victime. Ou de celui de ce qui va se passer. Pas de ce point de vue très particulier qui vous place dans la peau de celui qui tient l'arme, et qui est récompensé pour avoir tué de la manière la plus sanglante possible". Caldecott pense également que les jeunes enfants ont plus de chances d'être exposés à des jeux violents qu'à des films violents, généralement visionnés tard. "Vous ne rentrez pas du boulot, vous faisant un thé et regardant Saw III. Les jeux sont joués à toute heure de la journée, lorsque des enfants sont dans les parages".

Un problème complexe

On l'aura compris, et comme nous l'évoquions auparavant dans nos colonnes, l'affaire Manhunt 2 appelle au moins à une réflexion plus importante sur des thèmes nombreux et complexes (à commencer par le besoin d'avoir des organismes type BBFC). Pour le comité d'appel qui aura à statuer sur l'affrontement Rockstar / BBFC, les choses ne sont pas simples, et chaque parti a des arguments recevables. On est au moins sûr que si Caldecott s'est contenté du premier niveau du jeu pour se faire une idée de ce qui pose problème (en particulier le fait qu'on ne tue pas des aliens ou d'autres créatures, et pas avec des lasers ou des armes, mais des objets de tous les jours), le comité, lui, a joué à quatre niveaux. Ses membres sont "plutôt satisfaits de l'idée qu'ils ont pu se faire des tenants et aboutissants de tout ceci". Aucune date n'a pour l'instant été arrêtée quant au rendu d'un verdict sur l'appel, mais pour le comité "C'est un dossier très important et il y a énormément à considérer. Nous travaillerons dur et prendrons une décision aussi rapide que possible". Les pronostics sont ouverts, chers amis.