Au premier coup d'oeil sur l'écran, la patte ThatGameCompany est là. Un menu très dépouillé, non définitif, est constitué de piliers plantés dans le sable, entourés d'une légère brume. Aucun n'est aligné de la même manière, ils semblent anciens, mais partagent une même forme, élancée, surmontée d'un trou vaguement circulaire. Une des nombreuses formes qui colportent l'histoire de cet univers immédiatement séduisant, dans lequel tout nous invite au "Voyage" qui donne son titre au jeu.

Vers la lueur d'une large montagne

A l'écran, avec à perte de vue des dunes de sable scintillant, un personnage apparaît. Humanoïde, mais sans doute pas humain. Vêtu d'une toge brune, il fait face à une montagne, à peine visible dans la brume du lointain. Le but de Journey est de rejoindre cette montagne. Pour y parvenir, il faudra donc traverser différents environnements, tous magnifiquement stylisés. Le désert bien sûr, mais aussi des ruines antiques aux mécanismes curieux, vestiges d'origine inconnue, des forêts d'étoffes (une matière centrale dans le jeu, semble-t-il, nous y reviendrons), des grottes bleutées aux piliers phosphorescents... des décors différents mais qui tous partagent une beauté épurée saisissante, un cachet visuel unique. Dans le sable, le personnage laisse des traces crédibles. Il peut même tracer un sillon en surfant sur les dunes, tout en douceur. Il ne tarde pas ainsi, à pénétrer dans les vestiges d'un premier temple, dans lequel une écharpe lumineuse attend qu'il la saisisse. Il lance un appel (l'une des deux actions qu'il peut faire), se matérialisant par un écho lumineux tout autour de lui et une rune, son nom, notre nom. Une figure éthérée apparaît, partageant quelques attributs physiques avec lui comme ces yeux en amande sur ce visage sans traits, et semble lui accorder un objet particulier : une écharpe. Elle va lui permettre sa deuxième action : le vol.

Soif de désert

Journey reste un jeu simple, donc. La caméra est gérée au SIXAXIS, deux boutons permettent d'appeler ou de voler. Tout le reste est contextuel. Le personnage gravit les débris de colonnes en ruines automatiquement, il récolte les morceaux d'étoffe qui s'élèvent lorsqu'il déclenche des mécanismes. Ces morceaux d'étoffe colorent son écharpe de motifs vaguement réminiscents d'arts primitifs Maya. Et, lorsqu'il saute et prend son envol, plus il plane, plus elle se décolore et lâche derrière des myriades de morceaux d'étoffe. On peut bien sûr aller les rechercher, ou les laisser à l'autre joueur. Car Journey est un jeu multijoueurs, même s'il peut être fini en solo. Un multijoueurs pas comme les autres, bien sûr, puisqu'il se vit à deux, pour commencer, et qu'on ne saura jamais qui est cet autre humain rejoignant notre partie pour voyager avec nous vers la montagne. Il peut lancer un appel, lui aussi, matérialisant la rune unique qui correspond à son nom, mais le véritable patronyme, l'âge, la nationalité ou le sexe de celui ou celle qui l'incarne resteront volontairement mystérieux. Bien sûr, il restera possible de l'ignorer, voire de l'exclure si d'aventure il ne se comportait pas comme on le souhaite (il suffit de s'en éloigner pour qu'il soit déconnecté), mais le but de Journey reste semble-t-il de partager ce voyage avec un anonyme, en quelque sorte, puzzle après puzzle. Quoiqu'il arrive, quand on voit ces dunes qui ondulent comme une mer de sable, et les personnages fendant ces vallons comme s'ils surfaient sur le sable, s'envolant parfois pour toucher des oriflammes gris virevoltant dans le vent, qui s'illuminent et déclenchent de mystérieux mécanismes permettant de progresser, on n'a qu'une seule envie : plonger dans cet univers, découvrir ce désert.

Journey fait partie de ces jeux mystérieux qui titillent instantanément la curiosité. On n'en sait presque rien, et on s'en félicite : on devine d'avance qu'il s'agira d'une expérience à part, qu'il faudra vivre quand elle sera fin prête, dans le confort de notre imaginaire, aidé par un graphisme absolument sublime et une esthétique singulièrement hypnotisante. Plus familier dans sa présentation qu'un Flower, mais jouant sur les mêmes registres de la découverte et du langage purement visuel et sonore, Journey fait bande à part dans la masse des productions vidéoludiques, sans ennemi, sans points, sans interface, sans "but" apparent. Je crève d'envie de m'y plonger, mais j'ai peur à la fois d'atteindre sa montagne et la fin du voyage - alors qu'il n'a même pas commencé...